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25/10/2001

Les derniers éclats de l’âge d’or américain

(MFI) Installé à New York depuis un an, l’écrivain indo-britannique Salman Rushdie nous livre avec son roman Furie une vision explosive de l’Amérique dorée.

Né en Inde et élevé en Angleterre (où il est arrivé en 1961), Salman Rushdie s’est imposé dès les années 80. C’est son roman Les Enfants de minuit, grand récit baroque sur les tribulations de l’Inde post-coloniale, qui l’a fait connaître en remportant en 1981 le prix Booker (équivalent du Goncourt). Depuis, Rushdie a publié plusieurs autres romans et recueils de nouvelles, et notamment Les Versets sataniques qui ont bouleversé sa vie. Ce roman, dénoncé comme un ouvrage blasphématoire par l’Imam Khomeiny qui a lancé une fatwa contre son auteur, a déchaîné la haine des musulmans dans le monde, obligeant Rushdie à vivre dans la clandestinité, sous la protection de Scotland Yard, contraint de changer de refuge constamment (trente fois en dix ans). Devenu symbole de la lutte contre l’intolérance et l’obscurantisme religieux, il n’a jamais cessé d’écrire, puisant paradoxalement sa raison de vivre dans l’écriture et l’imagination, celles-la même qui ont mis sa vie en péril.
New York, où Rushdie habite maintenant, est la toile de fond de son huitième roman, Furie. Fuyant l’Angleterre, une épouse et un fils de quatre ans, son protagoniste quinquagénaire Malik Solanka qui ressemble furieusement à l’écrivain, est venu se réfugier à Manhattan. Nous sommes au début du troisième millénaire. La métropole est au faîte de sa puissance et de sa gloire. Du haut de ses tours et de ses gratte-ciels, elle éclaire la planète, entraînant dans son sillage les économies et les peuples d’un monde devenu simple satellite des Etats-Unis. Ce nouvel empire romain connaît aussi sa part de dépravations et de vices. Des jeunes femmes y sont violées et scalpées par des tueurs anonymes. Des rues surpeuplées montent les imprécations des islamistes qui tiennent l’Amérique pour responsable de tous les malheurs du monde musulman et appellent au djihad. L’heure de la vengeance a-t-elle sonné ? « L’Amérique insulte, s’exclame Solanka, le reste de la planète (...). New York était devenu l’objet et la cible de la concupiscence mondiale, et « l’insulte » ne faisait que rendre encore plus jaloux le reste de la planète. » Ou encore: « La planète entière était assise sur de la dynamite. (...) Des explosions retentissaient de toutes parts. La vie se déroulait désormais dans l’instant qui précède la fureur, quand la colère montait, ou pendant la fureur, quand la bête fauve était lâchée, ou tout de suite après l’immense déchaînement, quand la fureur refluait, que le chaos se tassait, avant le retour de la marée. Les cratères - dans les villes, les déserts, les nations, le cœur - étaient devenus des lieux communs à tous. » Des propos qui résonnent étrangement après les attentats terroristes contre les « Twin Towers », d’autant plus étrangement que la sortie aux Etats-Unis de ce nouveau roman était programmée pour le fatidique 11 septembre 2001!

« Je ne suis ni Cassandre ni Nostradamus »

L’auteur a lui-même été intrigué par ces coïncidences. « Je suis fatigué que mes livres finissent par devenir vrais », protestait Rushdie récemment, rappelant qu’il était ni Cassandre ni Nostradamus, mais simple romancier. Furie est son premier roman dont l’action se déroule entièrement aux Etats-Unis. Installé à New York depuis un peu plus d’un an, l’écrivain est tombé amoureux de cette métropole atlantique dont la ligne d’horizon l’emplit d’optimisme. Alors, pour rendre hommage à la vigueur et au bouillonnement de cette ville-monde, il a écrit Furie. « Il s’est passé quelque chose de très étrange avec ce livre, explique Rushdie. Alors que j’étais en plein dans la rédaction d’un autre roman, celui-ci s’est imposé à moi. Il a surgi au milieu d’un autre, exigeant absolument d’être écrit, comme si j’étais pressé de saisir les derniers reflets d’un âge d’or. » « Je n’avais pas compris que l’époque que je décrivais allait disparaître si vite, faisant de ce roman le testament d’une époque. Du jour au lendemain, ce qui était censé être un roman contemporain est devenu un roman historique. »
Salman Rushdie est habitué à voir l’actualité faire irruption dans son univers fictif et le prendre en otage. Cela a beaucoup à voir avec sa pratique originale de l’art romanesque. Originaire de Bombay - le Hollywood indien - où il a vécu jusqu’à l’âge de 13 ans, Rushdie a été nourri du cinéma et des épopées orales millénaires de l’Inde antique où la réalité et les mythes s’entremêlent, les digressions s’accumulent pour donner au récit une épaisseur encyclopédique et une exceptionnelle intensité narrative. Les romans de Rushdie fonctionnent sur le mode de ces œuvres ouvertes, baroques où le fil linéaire de la narration est constamment brisé par les intrigues secondaires, par les accumulations et les ressassements des histoires, par les rapprochements surprenants entre la réalité et l’imagination.
Ses récits sont d’autant plus originaux que leur sens n’est jamais donné d’avance. Ils sont soumis à l’interprétation, à l’exégèse qui à leur tour s’infiltre à travers la narration. C’est ce qui s’est passé, par exemple, avec Les Versets sataniques dont la lecture demeure toujours fortement influencée par la malheureuse fatwa. Plus de dix ans après, il suffit de prononcer le titre du livre pour évoquer les images de l’intolérance et de l’extrémisme religieux. Combien se souviennent encore que ce sont les heurs et malheurs de l’Angleterre multiraciale, et ni l’Islam ni les tentations du Prophète, qui étaient le véritable sujet de ce livre tant contesté dans le monde musulman ? De même, à la lumière des événements récents qui ont secoué New York, Furie prend des accents prophétiques, bien que, si l’on en croit l’auteur, son objectif ne fût pas tellement de raconter les menaces terroristes ou les mécontentements du Tiers Monde, mais de décrire au contraire la séduction qu’exerce l’Amérique sur la planète entière. « L’Amérique était, Rushdie fait dire à son protagoniste, le terrain de jeu du monde, son règlement, son arbitre et sa balle; même l’antiaméricanisme était de l’américanisme déguisé, car il reconnaissait que l’Amérique était le seul match à l’affiche et la question américaine la seule affaire en cours. »
Bourré de références tant socio-politiques que culturelles contemporaines, Furie révèle aussi un autre aspect de l’art romanesque rushdien. Tel le monstre légendaire de la cosmogonie hindoue, Rushdie absorbe et restitue le chaos du monde. Furie ne déroge guère à ce principe fondamental de sa création romanesque. Elian et sa famille cubaine hystérique, Bill Gates et ses soucis de milliardaire, Oprah, Charleston Heston, George « Bush-Trou » et Al « Gore-Tex », pour ne citer que ceux-là, traversent les pages de ce livre. L’objectif manifeste de l’auteur est de se coller au présent, à la réalité et à ses mythes, afin de faire exploser le réel et non seulement de le représenter. C’est sans doute cela qui rend ce roman à la fois si hyper-réaliste et prémonitoire des furies qui guettent l’âge d’or américain.


Furie, par Salman Rushdie. Traduit de l’anglais par Claro. Plon, collection « Feux croisés », 295 p., 124,63 FF.

Tirthankar Chanda





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