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MFI HEBDO: Culture Société Liste des articles

26/04/2001

Chronique Livres

L'essentiel d'un livre
Mohammed Dib : l’art des bonnes questions

(MFI) Depuis bientôt cinquante ans, Mohammed Dib pose un regard attentif et généreux sur le monde et ce qui l’entoure. Certes l’Algérie, sa terre natale, demeure au coeur de ses préoccupations mais il ne cesse d’emprunter des chemins de traverse afin de conduire sa réflexion sur la nature humaine en ce qu’elle a de plus universel.

Depuis la trilogie pionnière (La Grande Maison, Le Métier à tisser, L’Incendie) jusqu’à L’Arbre à dires en 1998, en passant par les étapes scandinaves (Les Terrasses d’Orsol, Le Sommeil d’Eve, Neige de marbre) et en ne cessant de ponctuer l’oeuvre de jalons poétiques, l’écrivain algérien a bâti une oeuvre majeure, tout à la fois exigeante et accessible. Il publie un nouveau livre, Comme un bruit d’abeilles (Albin Michel), recueil composite de textes divers, nouvelles et contes mêlés, tous liés les uns aux autres par un récit, lui-même scindé en quatre parties, intitulé « Le sourire de l’icône ».
Si le mot « roman » figure bien sur la couverture de ce dernier livre de Mohammed Dib, le contenu ne paraît pas en immédiate adéquation avec l’idée attendue que l’on se fait de ce genre littéraire. Avec Comme un bruit d’abeilles, l’écrivain algérien nous emporte, en effet, en des lieux et des situations divers, dans un entrelacs complexe, foisonnant et multiple. Ainsi, lorsqu’il nous conte la disparition d’un journaliste, parti pour Prague et emporté dans une étrange histoire de clonage humain... On croirait lire une nouvelle de Kafka à l’heure des manipulations génétiques. Ailleurs, Dib établit dans Tlemcen, une confrontation des générations, entre deux craintes, entre les regrets et les remords, entre les doutes et les incertitudes. Cette fois, c’est à Diderot que l’on pense, entre fatalité et dialogue... Plus loin, il nous invite à l’étrange confrontation d’un avocat et d’une femme « nue sans un haïk qui la drape », dans la folie de l’attente de son fils tué dans un attentat. Ou bien encore, il nous conte la revanche meurtrière d’une jeune femme violentée qui se venge de son bourreau, assassin et tortionnaire. Ou l’étonnant dialogue d’une bande de gamins, « ninjas d’une banlieue merdique », auteurs d’une razzia dans un supermarché, avec un « prophète-béquillard », devenu pour l’occasion animateur-philosophe social... Autour de ces rencontres, ancrées dans le tumulte du quotidien, Dib entrelace la destinée de Rassek et Nina, deux êtres éperdus dans les bouleversements d’une Histoire qui confine au mythe, comme pour mieux prendre distance avec les contingences d’une actualité meurtrie. Comme un bruit d’abeilles, ainsi constitué d’éléments épars, trouve son unité (romanesque ?) dans la même volonté de rétablir l’échange et le dialogue, seules armes pour vaincre l’absurde et la déraison des hommes.
Selon son habitude, Mohammed Dib cultive dans ce livre le goût des mots rares, de la phrase finement ciselée ou de l’abrupt décalage provoquant la surprise du lecteur. C’est ainsi que, plus de trente livres plus tard, le romancier et poète poursuit donc cette même quête de l’autre, entamée à l’aube des années cinquante par cette trilogie romanesque alors surtitrée avec une pertinente impertinence « Algérie ». Comme un bruit d’abeilles prend ainsi place dans une oeuvre qui a définitivement choisi d’interpeller, d’interroger, de poser les questions, plutôt que d’y répondre.

Editions Albin Michel, 278 p., 98 FF.

Bernard Magnier



Les amours éperdues d’un jeune Mauricien

(MFI) A Londres au début des années trente, Delcourt et Kewal, deux étudiants mauriciens, tout d’abord amis et complices bien qu’opposés quant à leur relation avec les femmes, voient leurs destins diverger. L’un choisit l’implication militante et rentre dans l’île. L’autre demeure en Europe où il est employé au service d’une famille et, en quête d’absolu et d’un idéal féminin, refuse les avances, nombreuses et pressantes, dont il est le sujet. Leurs chemins se séparent, pourtant ils se retrouveront lorsque Delcourt, de retour dans l’île auprès de son père mourant, demandera l’intervention de son ami Kewal, leader syndicaliste, afin de pouvoir retrouver Marika, une jeune réfugiée palestinienne dont il est devenu amoureux. Amour exclusif, amour éperdu, amour aux lendemains qui déchantent...
Après Quartier de Pamplemousses en 1999, qui offrait une lecture de la vie politique mauricienne, Le Voyage de Delcourt, ce nouveau roman d’Alain Gordon-Gentil est une nouvelle plongée dans la diversité et la complexité du peuple mauricien. Un roman qui brasse à fusion les rencontres et l’errance des peuples confrontés à l’exil, à la cruauté du destin et à l’objectivité du hasard. Un livre qui semble trouver dans le passé quelques exemples (et mises en garde !) pour une plus immédiate actualité. Un livre qui trouve incontestablement ses racines dans l’Histoire et porte en lui la lourde charge d’un romanesque aux évidentes intentions édifiantes.

Julliard, 212 pages, 129 FF.

B. M.



Les Maçons doivent reconstruire

(MFI) Longtemps auréolée de mystère, suscitant parfois l’inquiétude ou l’hostilité des non initiés, la franc-maçonnerie fait toujours couler beaucoup d’encre. Mais quand l’un de ses membres prend la plume pour en dénoncer les erreurs et dessiner les contours d’un avenir différent, l’intérêt que portent les profanes aux loges se trouve renouvelé.
En 1996, Jean Verdun publie Le Franc-Maçon récalcitrant, ouvrage dans lequel il dénonce sans ambages les errements de la Grande Loge de France à laquelle il appartient depuis l’immédiat après-guerre. La franchise du propos surprend au point de provoquer l’exclusion de ce Grand Maître trop bavard. Revenu depuis au Grand Orient de France, l’homme n’a rien perdu de sa liberté de ton et son dernier livre La nouvelle réalité maçonnique ne fait aucune concession aux dérives qui entachent, année après année, l’action des différentes loges. Après un retour sur son parcours personnel, l’auteur analyse la situation présente et propose des voies de travail pour sortir de la crise. Secret, rites initiatiques, mixité des loges, Jean Verdun aborde tous les aspects de la vie maçonnique et pose la question de leur actualité. Mais ce fin connaisseur des rouages de l’organisation déplore également les mises en examen qui touchent plusieurs de ses frères et le manque de préparation des différentes loges face à l’avenir. En dépit de ces faiblesses passagères, l’auteur demeure confiant dans les capacités de réforme de l’institution et en appelle aux valeurs fondamentales que sont le travail, le courage, la volonté et la solidarité.

La nouvelle réalité maçonnique, Jean Verdun. Albin Michel Spiritualités, 245 p., 120FF.

Geneviève Fidani



La mondialisation sur le divan d’une psychanalyste

(MFI) Il était une fois… un monde moderne qui se croyait adulte mais qui était très infantile. Pris comme le bébé dans un sentiment de toute-puissance - comme en ces temps merveilleux où la mère comble tous les désirs -, il croit que toute la réalité lui appartient. Le monde entier est à sa portée. Rien n’existe pour lui hormis les sensations, et la faim, aussitôt comblée par le sein maternel. De même, dans ce monde globalisé mais infantile -encore plus infantile qu’à d’autres époques de l’humanité-, c’est la satisfaction des désirs les plus immédiats qui prime, et la bouffe, et la consommation. Le bébé n’a pas encore compris que l’Autre existe, il ne le voit pas, n’en a pas conscience. Une conséquence, parmi d’autres : « Et si les valeurs suprêmes du monde devenaient la performance, l’efficacité ? Si toutes les pulsions étaient assouvies virtuellement, immédiatement par les images et les techniques ? » Repus, les nantis, les techniciens, les financiers dominent, ou croient dominer, la planète. Pour le moment, ils imposent en tout cas leur loi à ceux qui souffrent, à ceux qui sont en état de manque, de nourriture et de reconnaissance. C’est le cas des quelques personnages vrais qui forment la chair de ce livre, didactique et sensible : Cheng le petit Chinois obèse, qui ne mange plus que des hamburgers alors que la gastronomie et la culture de son pays sont d’une richesse exceptionnelle ; Marianne la Française qui veut faire un enfant par insémination artificielle, via Internet, car elle a peur d’une relation suivie avec un homme ; Alfredo le cadre italien naguère performant acculé au suicide par une firme dont le seul but est le profit ; Cindy la petite Nord-Américaine qui joue avec Marv-le-condamné-à-mort sur sa chaise électrique (ce jouet existe vraiment aux Etats-Unis) ; et Anita la jeune Philippine qui a dû abandonner enfants et mari pour aller travailler dans la capitale d’un pays riche et envoyer de l’argent à sa famille - qui lui manque mais qui, après quelques années, finit par l’oublier. Précisons que Kathleen Kelley-Lainé, la psychanalyste qui co-signe ce livre avec la journaliste Dominique Rousset, a longtemps travaillé pour l’OCDE. Les économistes et les soi-disant réalistes ne pourront donc pas l’accuser de douce rêverie.

Kathleen Kelley-Lainé et Dominique Rousset : Contes cruels de la mondialisation. Ed. Bayard, 144 p., 98 FF.

Henriette Sarraseca



Coups de foudre pour le continent noir

(MFI) Les «fous d'Afrique», dont nous parle dans ce livre Jean de la Guérivière, ne sont pas des aliénés bons à enfermer : ce sont les explorateurs, les administrateurs des colonies, les missionnaires, les écrivains et les artistes, qui ont été irrésistiblement séduits.

L'auteur, qui pendant vingt-cinq ans sillonna l'Afrique pour Le Monde, s'écarte délibérément des poncifs habituels : pas de réquisitoire contre le colonialisme ou le néo-colonialisme, pas de dénonciation virulente d'une «Françafrique» empêtrée dans ses scandales, Elf ou l'Angolagate. Mais la simple «histoire d'une passion française» - c'est le sous-titre du livre - pour les déserts, les jungles, la brousse et plus encore les hommes - et les femmes - de ces terres d'aventure qui faisaient rêver les Français de tout poil.
Jean de la Guérivière les passe en revue, depuis René Caillé qui retrouva Tombouctou jusqu'aux coopérants d'aujourd'hui, avec une sympathie qui n'exclut pas de temps à autre une ironie discrète envers leur ardeur de néophytes. Les missionnaires d'abord, qui avaient entrepris «l'oeuvre laborieuse et délicate de la moralisation des Noirs», comme le disait en 1839 un ministre de la Marine dans une épitre au supérieur des Spiritains. Les militaires qui, après la conquête, embrigaderont cette «force noire» - le mot est du général Mangin - jetée sur les champs de bataille des deux guerres mondiales. Les administrateurs des colonies, rebaptisés plus tard administrateurs de la France d'Outre-mer. Les francs-maçons, dont le prosélytisme a laissé des traces, puisqu'aujourd'hui plusieurs chefs d'Etat africains sont entrés en loge. Et puis bien sûr, les hommes d'affaires, depuis les firmes bordelaises qui firent la fortune de Saint-Louis du Sénégal, jusqu'aux grandes entreprises qui ont prospéré dans la zone franc, la MIFERMA en Mauritanie, FRIA en Guinée et évidemment ELF dans le golfe de Guinée.
Sous le titre «Eros noir et mariages dominos», l'auteur consacre tout un chapitre à ce qu'on appelait autrefois les «amours coloniales» - auxquelles succombaient parfois les missionnaires. Toute une littérature s'en est longtemps inspirée : ainsi Pierre Loti avec son Roman d'un spahi, mais aussi nombre d'écrivains moins talentueux, fournisseurs des librairies de gare, puis d'aérodrome. Depuis, note—t-il, la Sorbonne a fait office «d'agence matrimoniale», et les «mariages dominos» ne sont plus une rareté, quelques chefs d'Etat africains ayant d'ailleurs donné l'exemple.
Dans cette revue de détail de tous ceux qui ont aimé l'Afrique, Jean de la Guérivière n'oublie pas les livres de ceux qui ont dénoncé le colonialisme et ses iniquités : notamment André Gide dans son Voyage au Congo et Albert Londres dans Terre d'ébène. Il n'oublie pas non plus l'influence profonde de la sculpture africaine sur les grands peintres français au début du siècle dernier, dont Picasso, Braque et Matisse.
Cet inventaire se termine par un chapitre intitulé, «L'immigration, rançon de la colonisation ?». On y retrouve les propos de Jacques Chirac sur «l'odeur et le bruit» des immigrés polygames, et ceux de Jean-Pierre Chevénement sur les «sauvageons» des banlieues, propos qui suscitèrent de vives polémiques. L'auteur rappelle l'échec de la politique de rapatriement des clandestins par avions-charter, et celui du mécanisme de leur «ré-insertion aidée» dans le pays d'origine au terme de «conventions de co-développement». Et il note en conclusion sur ce problème d'actualité : «Sans préférence linguistique, les Africains seront fondés à considérer la francophonie comme un vain mot».

Jean de la Guérivière : Les fous d'Afrique - Histoire d'une passion française - Seuil - collection «L'Histoire immédiate» - 380 p., 135 FF.

Claude Wauthier





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