La France est le pays européen où le bouddhisme et le chef spirituel des Tibétains (qui s’y est rendu 17 fois), ont le plus de succès. Reconnu comme quatrième religion par l’Etat, le bouddhisme dispose d’une riche production éditoriale, 200 centres de méditation où 15 000 personnes se retrouvent régulièrement, d’une émission télévisée le dimanche matin... et 5 millions de personnes s’en disent « proches ».
Les facteurs politiques – l’occupation chinoise du Tibet depuis 1950, l’exil de nombreux tibétains et du dalaï-lama Tendzin Gyatso – n’expliquent pas à eux seuls la “bouddhamania” occidentale. Celle-ci, qui ne date pas d’hier, comme l’explique le philosophe Jean-François Revel, est aussi le fruit d’un a priori favorable : « On y a toujours vu une doctrine épurée, susceptible par conséquent d’être acceptée par l’esprit critique, par le rationalisme occidental en y ajoutant une dimension morale et spirituelle » (Le moine et le philosophe, co-écrit avec son fils Matthieu Ricard, éd. Nil, 1997).
Depuis le début des années 90, la presse magazine française tente de rendre compte de ce phénomène de société. Régulièrement, elle lui consacre des dossiers spéciaux : origine, histoire, diffusion, rites, monastères, lieux de pèlerinage, témoignages, etc. Et à chaque fois, au centre des interrogations, figure celle de la nature du bouddhisme : philosophie, religion, ou, plus étrange encore, “religion sans Dieu” ? « On y trouvera difficilement les repères traditionnels qui marquent l'unité d'une foi par-delà la diversité de ses manifestations », affirme dans L’Express (du 21 septembre 2000) Jean-Noël Robert, directeur d'études à l'Ecole pratique des Hautes Etudes. Il n'y a ni « Ecriture, ni langue sacrées ou traditionnelles pour l'ensemble du monde bouddhique ». Encore moins, ajoute-t-il, d’« autorité commune qui puisse définir credo et dogmes par-delà les frontières et les cultures». De plus, la multiplicité des traditions bouddhiques, incite certains spécialistes à n’utiliser le terme qu’au pluriel. Bernard Faure, enseignant à l’Université de Stanford (Etats-Unis) est de ceux-là. Avec audace, il compare, dans un entretien au Nouvel Observateur, le bouddhisme à un oignon : « On a beau le peler, on ne trouvera pas de noyau (...), c’est pourquoi je préfère dire “les” bouddhismes ».
Spiritualité sans dogmatisme
En France, les pratiques les plus courantes sont les bouddhismes zen et tibétain. Le premier, « par sa sobriété, et l'accent mis sur le rationnel, attire plus les hommes (60%) qui y viennent aussi par les arts martiaux » , précise pour le même magazine, le sociologue Frédéric Lenoir. Le bouddhisme tibétain, bien que représentant 70% de l’ensemble des pratiquants dans l’Hexagone, attire plus les femmes car, selon lui, il est « beaucoup plus coloré et compassionnel ».
Dans son ouvrage Le Bouddhisme en France (Fayard, 1999), le sociologue souligne que la plupart des adeptes et sympathisants ont entre 35 et 50 ans, ont un niveau d’étude très élevé (bac+4). Ils sont souvent artistes, enseignants, de professions médicales ou libérales, cadres supérieurs et vont chercher dans le bouddhisme ce que les croyances traditionnelles, en l'occurrence le catholicisme, n’ont pu leur offrir : une spiritualité dénuée de dogmatisme, de moralisme et un énorme travail sur soi. La journaliste Ursula Gauthier fournit, dans l’enquête fort instructive qu’elle a menée pour le Nouvel Observateur, un aperçu de la vie de ces bouddhistes. Constat : « Les plus impliqués ont longtemps fait l'impasse sur les aspects dévotionnels et institutionnels inhérents à toute religion, préférant mettre l'accent sur la “voie intérieure” et la “recherche spirituelle” », rapporte-t-elle. Témoignage d’Alain, consultant en marketing et adepte convaincu : « La méditation m'aide à dissoudre des parasites. J'étais coléreux, j'ai trouvé une paix que rien ne m'avait donnée. »
Auteur très sollicité, Frédéric Lenoir veut mettre en garde contre cet enthousiasme généralisé. Il remarque, dans la revue Histoire, que la pratique du bouddhisme en Occident apparaît « essentiellement métissée et réinterprétée en terme parfois contradictoires avec le message fondamental du Bouddha». Ainsi, explique-t-il à Ursula Gauthier, les Français font « fausse route » lorsqu’ils voient en la réincarnation une «possibilité de renaître indéfiniment, une forme d'immortalité ». Car un bouddhiste tend « à échapper au cycle éternel du samsara, afin d'atteindre le nirvana, c'est-à-dire l'arrêt des renaissances - la paix définitive ». Autre malentendu : « L'immense majorité des gens touchés par le bouddhisme disent y trouver le moyen de développer leur potentiel individuel ». « Cet avènement du sujet, dénonce-t-il, est une idée ultra-occidentale ». Le sociologue plaide pour un dosage équilibré entre « l’action sur le monde » développée par l'Occident et une « action sur soi » prônée par le bouddhisme. Cette rencontre, croit-il, «permettra peut-être de faire les révolutions de l'avenir avec un peu plus de sagesse ».
Les avatars du bouddhisme
Le bouddhisme naît en Inde entre le VIe et le IVe siècle avant J.-C. Indigné par les souffrances humaines, le prince Siddhârta Gautama quitte sa famille pour mener une vie ascétique rigoureuse et atteint l’illumination (Bouddha dit l’Eveillé). Il transmet cette “conscience éclairée de la destinée humaine” à des disciples-moines, explique Odon Vallet, spécialiste des religions, dans la revue Histoire (janvier 2001). Très vite, ces derniers se scindent en deux grandes branches : l'Ecole des Anciens (theravada), centrée sur la communauté monastique, et le Grand Véhicule (mahayana), qui étend au plus grand nombre l'accès au salut grâce à l'intercession d'un sauveur, le bodhisattva. Le theravada reste l’orthodoxie des pays bouddhiques d'Asie du Sud-Est (Sri Lanka, Birmanie, Thaïlande...), tandis que le Grand Véhicule se répand en Extrême-Orient sous deux formes essentielles : le bouddhisme zen, de tradition chinoise (transmis notamment en Corée, au Japon) et le bouddhisme tibétain.
Ce dernier, fortement marqué par un rituel ésotérique, conciliant “rationnel et merveilleux”, suscite le plus d’intérêt en Occident. Il se diffuse en Europe à partir des élites, qui depuis le XIXe siècle, en font l’éloge (Ferry, Michelet, Schopenauer, Jung, Lévi-Strauss...). Mais en France, hormis Alexandra David-Neel ou Matthieu Ricard, très peu ont adopté l'idéal ascétique, se “cantonnant à un rapport purement intellectuel” avec le bouddhisme, souligne Lionel Obadia, auteur de Bouddhisme et Occident (L’Harmattan, 1999).
Malgré ces diverses écoles, aujourd’hui, explique l’historien Jean-Noël Robert au Nouvel Observateur, “tout bouddhiste reconnaît une certaine allégeance aux Trois Joyaux : le Bouddha, son dharma (loi ou doctrine) et son sangha (communauté monastique).”