(MFI) Depuis la rentrée, les éditeurs français font la part belle aux livres sur la guerre d’Algérie. Quatre d’entre eux sont spécialement remarquables.
Lorsqu’il y a un an, Raphaëlle Branche, étudiante en histoire, soutient une thèse de doctorat saluée par le jury sur « La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie », la polémique fait rage autour des propos du général Aussaresses, qui avoue pour la première fois avoir torturé. Après cinquante ans de silences et de gêne, le voile qui recouvrait cette période de l’histoire se soulève enfin. Ce sont aujourd’hui les éditeurs qui, après les journalistes, se précipitent pour publier témoignages, dossiers et réflexions sur le sujet. Remanié - passé de 1211 à 470 pages ! – le travail de la jeune chercheuse constitue une somme incontournable à lire par tous ceux que l’époque intéresse, mais aussi, tout simplement, par ceux qui s’interrogent : comment la France, état démocratique, a-t-elle pu en arriver là ?
Sujet difficile, immense travail… La facilité avec laquelle se lit pourtant cet ouvrage est remarquable. Dans une langue légère, suivant de manière sûre le chemin de ses découvertes, à partir des archives de l’armée de terre ou bien privées, de témoignages, de récits et d’entretiens, Raphaëlle Branche réussit une démonstration imparable : loin de n’avoir été utilisée, comme l’Etat a voulu le faire croire, que pour obtenir des renseignements, la torture pratiquée par l’armée française constituait bien, comme c’est encore le cas aujourd’hui dans de nombreux pays, un moyen d’obtenir la soumission de la population tout entière.
Si la torture a pu naturellement prospérer en Algérie, c’est qu’elle s’inscrivait dans le contexte d’un siècle de colonisation où les Algériens, bien que français, n’étaient considérés que comme des « citoyens de seconde zone ». C’est dans les commissariats que les soldats apprendront les techniques de la torture, « actes de transgression auquel un gouvernement croit avoir besoin de recourir », comme le souligna à l’époque Pierre Vidal-Naquet, l’un des premiers à la dénoncer, dans un petit journal militant, Témoignages et documents.
Journalistes et militants
C’est dans ce même journal, créé en 1957, que Denise et Robert Barrat, un couple de journalistes militants, amoureux de l’Algérie et proches du FLN, publient un ensemble de témoignages, premier bilan de la répression, qui « mêle des voix françaises et étrangères », à celles des insurgés. Ce livre blanc reparaît aujourd’hui, fait d’éléments aussi divers que des articles de journaux algériens, des lettres de soldats, du témoignage d’un séminariste, du compte-rendu d’une réunion du conseil municipal de la ville d’Alger ou encore de la liste des journaux français victimes de la censure. Si les auteurs sont partisans – leur but était de fournir au FLN un rapport à présenter aux Nations unies – leur engagement de chrétiens de gauche et de pacifistes leur a permis de fournir un témoignage essentiel à tous ceux qui, dès cette époque-là, tentaient de regarder la vérité en face.
Sans avoir jamais visité l’Algérie, Monique Hervo, soixante-douze ans aujourd’hui, « se sent presque algérienne ». Membre du Service civil international, elle a travaillé entre 1959 et 1962 dans le bidonville de Nanterre, si justement surnommé « La folie ». Zone de non-droit absolue, où « des milliers de tôles enchevêtrées se mêlent à des briques cassées », et où s’entassent des familles algériennes qui vivent la période de la guerre dans un isolement terrible. Ce qui bouleverse le plus Monique Hervo, c’est peut-être de savoir qu’à deux pas de là, « les Français, indifférents, vivent dans la quiétude ». A partir des notes écrites journellement, elle livre aujourd’hui un témoignage à ne pas manquer sur ce lieu qui fut une véritable caisse de résonance du conflit.
Enfin, comment ne pas être fasciné par le petit livre qui rassemble les photos qu’Elie Kagan, photographe de presse, avait prises le soir du 17 octobre 1961, lors des manifestations d’Algériens dans divers quartiers de Paris, dont le bilan - plus de deux cents morts selon l’historien Jean-Luc Einaudi qui en a rédigé l’introduction – n’a été enfin reconnu que très récemment par la France, avec notamment l’installation d’une plaque sur les quais de la Seine par le maire de Paris, Bertrand Delanoë ?…
Moïra Sauvage
La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, 1954-1962, par Raphaëlle Branche, éditions Gallimard, 470 p., 175 FF.
Algérie 1956, livre blanc sur la répression, documents réunis par Denise et Robert Barrat, éditions de l’Aube, 352 p., 141 FF.
17 octobre 1961, de Jean-Luc Einaudi et Elie Kagan, éditions Actes Sud, 76 p., 111 FF.
Chronique d’un bidonville, Nanterre en guerre d’Algérie, par Monique Hervo, préface de François Maspéro, éditions du Seuil, 261 p., 127 FF.
Encadré : Histoire, souvenirs, témoignages…
(MFI) Parmi les autres livres parus ou à paraître sur l’Algérie, notons la réédition de La Guerre d’Algérie d’Yves Courrière. Couronné en 1970 par l’Académie française, cet ouvrage publié alors en 4 tomes, est repris par Fayard en 2 volumes, portant respectivement sur les périodes 1954-1957 et 1957-1962. Prix Albert Londres 1966, l’écrivain et journaliste Yves Courrière avait couvert la guerre d’Algérie sur le terrain de 1958 à 1962. Le Silence du fleuve d’Anne Tristan (enquête d’Agnès Denis et Mehdi Lallaoui) revient sur le massacre d’octobre 1961 à Paris (Ed. Syros, coll. Au nom de la mémoire). Dans Une vie debout (La Découverte), Mohammed Harbi nous livre la première partie de ses mémoires (1945-1962) ; combattant de la première heure de la guerre de libération, historien, il apporte quelques révélations sur ces événements. Il faut abattre la lune (Nil Editions) est un roman dans lequel Jean-Paul Mari, journaliste du Nouvel Observateur, revient sur son enfance et sa vie dans la banlieue algéroise d’Hussein Dey à la fin de l’Algérie française ; il revient aussi sur une histoire familiale douloureuse : son père et son grand-père ont été assassinée juste avant l’indépendance, l’un de ses oncles était communiste, un autre membre de l’OAS.
Parmi les livres à paraître début 2002, signalons deux ouvrages d’historiennes : Appelés en Algérie - La parole confisquée de Claire Mauss-Copeaux (réédition, Hachette Pluriel), et surtout Aux origines de la guerre d’Algérie (1940-1945, de Mers-el-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois), une première parution chez La Découverte. L’auteur, Annie Rey-Goldzeiguer, était étudiante à Alger au lendemain des massacres déclenchés en mai 1945 par l’armée française et les milices de colons contre la mobilisation des nationalistes algériens du Nord-Constantinois, qui menaçait de devenir une insurrection. Cette tragédie l’avait conduite à quitter l’Algérie pour la France où elle est devenue historienne, dans la perspective de pouvoir un jour retracer cette tragédie. Promesse tenue. Enfin, Ecrire contre la guerre d’Algérie (Hachette Pluriel) rassemble des textes parus dans la revue Esprit de 1947 à 1962. Textes signés par Francis Jeanson, Jean-Marie Domenach, Mostefa Lacheraf ou Kateb Yacine.
H. S.