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31/05/2001
Diversité culturelle : un combat francophone
La langue française pour débrider la parole


(MFI) Ils sont Russe, Roumain, Argentin ou Israélien, ils ont une culture bien affirmée et pourtant ils ont choisi la langue française pour écrire... Autant de destins individuels, autant de raisons de choisir le français, même si beaucoup d'entre eux n'ont trouvé qu'ici le moyen de s'exprimer. Ce sont ces « singuliers de la francophonie » que Robert Jouanny nous présente (1).

MFI : Ces écrivains, que vous ont-ils appris sur leur choix du français comme langue d'expression ?

Robert Jouanny : Cela dépend de leur condition familiale ou politique. Ce peut-être un refus de leur culture originelle ou au contraire une adhésion à la culture française. Peut être qu’ils avaient confiance dans cette langue pour parler de leur pays, et c’est très clair pour Hector Bianciotti : parler de lui, de son enfance, de son pays, de son homosexualité, il ne pouvait pas le faire en Argentine. Emprunter une autre langue lui a permis de dépasser certains interdits.

MFI : La langue française libère la parole...

Robert Jouanny : Oui et ça rejoint une idée un peu patriotarde de liberté, d’égalité et de fraternité ; la liberté d’une langue qui leur permet d’échapper à ce qu’ils reprochent à leur propre langue maternelle. Cioran ne voulait pas du lyrisme de la langue slave, tel autre voulait se libérer des sucreries de la langue arabe et cherchait la rigidité de la langue française.

MFI : La rigidité de la langue française ?…

Robert Jouanny : Ou aussi son raffinement : ces écrivains sont souvent à la recherche du meilleur français. D’autres en arrivent même à procéder à sa déconstruction, on l’a vu avec les surréalistes. Il y a un phénomène d’attraction/répulsion vis-à-vis de la langue française.

MFI : Leur est-il arrivé d’avoir le sentiment de se renier ?

Robert Jouanny : Oui. Il y a un certain malaise. Je pense à Alexakis et à son ouvrage La langue maternelle, d’abord écrit et édité en grec, puis traduit par lui en français ; ce n’est pas le même livre, on ne peut pas dire la même chose dans deux langues différentes. Tahar Ben Jelloun aussi a dit : « Je ne peux pas dire en arabe ce que j’écris en français ». Il y a comme un changement de personnalité de l’écrivain face à la langue.

MFI : Sont-ils des martyrs de leur propre culture ?

Robert Jouanny : J’en arrive à l’idée que non, il n’y a pas de rupture chez beaucoup d’entre eux, et le recours au français s’accompagne du désir de parler d’eux-mêmes, et en parlant d’eux-mêmes ils parlent de leur pays. Pas par exotisme, mais parce qu’ils sont éloignés de ce pays et qu’il y a des comptes à régler. Pas forcément pour des raisons politiques : Eduardo Manet n’a pas quitté Cuba pour des raisons politiques, à ce que je sache.

MFI : Ils s’installent en France, en Belgique, en Suisse et ils changent de peau ?

Robert Jouanny : Tous cherchent à se connaître ou à se refuser. Chez Cioran c’est un refus total et définitif de lui-même ; chez Ionesco c’est un peu la même chose, la haine du père roumain.

MFI : Ça relève de la psychanalyse ?

Robert Jouanny : Écriture et thérapie…! Mais je dirais que la langue française, c’est comme un refuge, une protection. Kundera fait remarquer qu’il est plus facile de dire un mot obscène dans une langue d’emprunt que dans la langue maternelle. La langue acquise demeure malgré tout extérieure.

MFI : Quel sentiment personnel vous laissent ces écrivains qui ont réussi le saut culturel, en se glissant dans la pensée de l’autre au point d’écrire dans sa langue ? Ne sont-ils pas dans l’universel ?

Robert Jouanny : L’universel, on n’y arrive pas. Je pense que la plupart d’entre eux gardent au fond du cœur leur langue maternelle, la culture initiale. Je revendique une théorique culture "métisse" : ma famille est du sud-ouest et dans le quotidien j’ai parfois recours à l’un ou l’autre mot du fond occitan. Il y a comme une résurgence qui me donne l’impression que je n’ai pas perdu contact avec ma vérité. La rencontre avec ces problèmes m’a amené à prendre conscience qu’il y a chez chaque individu un fond ancestral qui revient.

(1) Singularités francophones, par Robert Jouanny (PUF – collection Écriture francophone).

Propos recueillis par Caroline Koch





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