La diversité, à l'heure de la mondialisation
Comme le souligne Roger Dehaybe, la Francophonie illustre la diversité culturelle depuis... plusieurs décennies, et la diversité est un des principes fondateurs de la communauté francophone. Reste que ce thème connaît une nouvelle fortune sur la scène internationale. L'Unesco, comme la Francophonie, entend promouvoir avec force un concept qui a repris vigueur avec les désillusions et les inquiétudes nées du mouvement de mondialisation : on entend de plus en plus souvent prôner, en réponse aux tendances lourdes à l'uniformisation ou à la standardisation liées aux stratégies économiques transnationales, une défense des identités particulières. On sait quels débats ont tourné, dans le cadre des négociations commerciales au sein de L'OMC (Organisation mondiale du commerce), autour de la notion d'exception culturelle. Mais la diversité constitue un enjeu plus large, et sa défense rejoint une autre forme de prise de conscience : face aux excès et aux échecs du « tout-économique », de plus en plus de voix s'élèvent pour redonner à la culture sa juste place dans le développement.
Diversité culturelle, diversité linguistique
La langue est un véhicule privilégié de culture. La disparition, aujourd'hui comme hier, de langues minoritaires, qui est un processus constant et peut-être inévitable, aboutit à l'engloutissement de pans entiers de la culture mondiale. Au-delà des langues qui seraient par trop anecdotiques (ce qui reste à démontrer), une menace pèse aussi sur les grandes langues de culture, communautaires, nationales, et même sous-régionales.
Ces langues ont leur propre dynamique, mais leur articulation aux vastes ensembles anglophones ou francophones, dans lesquels elles s'insèrent, fait problème. Et l'on entend souvent s'exprimer un sentiment de dépossession, en particulier lorsque sont considérées les options des systèmes éducatifs, largement polarisés par l'apprentissage des grandes langues occidentales. Une revendication ancienne concerne la place à reconnaître dans la vie publique et dans l'éducation à ces langues nationales, à côté du français ou de l'anglais. D'où la question des moyens consentis à cette promotion des langues.
Sur cette question, la Francophonie semble vouloir aller plus loin que la seule réaffirmation de la nécessaire complémentarité entre langue française et langues « partenaires ». Plusieurs pistes pourraient être explorées : un soutien aux politiques linguistiques des États en matière de langues nationales (ce qui recouvre les questions complexes, à la fois de statut et de modernisation ou standardisation de ces langues); d'autre part un appui aux politiques favorisant le plurilinguisme, en particulier à l'école; et des efforts accrus pour assurer la « présence » de ces langues dans l'espace francophone, et leur circulation par le biais de traductions réciproques.
La diversité créatrice
La défense de la diversité culturelle recouvre un enjeu crucial pour les créateurs et les producteurs culturels : s'ils illustrent par leur existence même la diversité des cultures et des langages, et des conceptions du monde qui sont les leurs, ils ont aussi besoin d'une reconnaissance qui vivifie leur création, leur assure une place en tant qu'acteurs économiques, garantit leur subsistance. Ils ont besoin d'échanger, et ne peuvent s'épanouir sans marchés, sans lieux de spectacle, sans moyens de production, sans opportunités de diffusion, et sans une structuration complète (financière, législative) de l'espace fragile qui est le leur. Toutes ces revendications sont connues, mais tardent à trouver des solutions adaptées.
A l'occasion de la IIIe conférence des ministres francophones de la Culture, dix ans après la précédente rencontre du genre, la Francophonie a choisi d'examiner au plus près les attentes et les suggestions des créateurs et des spécialistes des domaines concernés, en leur donnant la possibilité d'exprimer leur point de vue dans le cadre d'ateliers thématiques, qui ont débouché sur un ensemble de propositions devant elles-mêmes être intégrées dans le projet politique (déclaration et plan d'action) discuté à Cotonou. Une consultation « par le bas » qui devrait être la marque singulière de cet effort de promotion de la diversité. A la suite de quoi, les actions envisagées devraient spécialement tendre à améliorer la présence (et la « qualité » de cette présence) des créateurs francophones sur les marchés internationaux (et les former, selon les besoins, à cette fin); à mettre en place des dispositifs pour davantage faciliter la circulation des artistes et des œuvres; et d'une manière générale à assurer leur « visibilité » : ce à quoi pourrait contribuer la constitution de données informatiques, qui seraient aussi un relais puissant de diffusion des créations.
Les technologies de l'information, outil de la diversité
Rien d'étonnant, dès lors, à ce que les technologies de l'information soient au cœur de la réflexion engagée, et concentrent bien des espoirs. Mais les chantiers sont nombreux : il faut bien sûr aider les États à renforcer leurs capacités en la matière, favoriser en parallèle les synergies (bailleurs de fonds, société civile, entreprises...), appuyer concrètement (c'est la mission, toujours perçue comme insuffisante malgré l'ampleur du travail accompli, du Fonds francophone des inforoutes) la création de contenus sur Internet... L'autre défi « lourd » dans le champ de l'information et des outils de diffusion concerne l'audiovisuel, pour lequel les attentes sont nombreuses. Il n'y a guère d'orientation radicale à attendre en ce domaine, mais plutôt une accentuation des options déjà retenues : renforcement des capacités nationales de production audiovisuelle, et appui aux États dans la définition de leurs propres politiques, tandis qu'on se préoccupe d'ouvrir toujours davantage les outils francophones (comme TV5) à la diversité.
La diversité culturelle sur la scène internationale
On s'interroge encore aujourd'hui sur la tournure que doit prendre l'affirmation de la diversité au plan international : elle peut rester un principe solennel ou être assortie d'un outil juridique. La Francophonie compte en tout cas à Cotonou, par une prise de position « forte », proposer une vision de la diversité qui replace la culture au cœur des enjeux de développement. Si elle situe clairement son action dans un partenariat avec les grandes instances internationales (notamment l'Unesco), la communauté sait bien que certaines de ses options peuvent avoir valeur d'entraînement : sur la question très délicate, par exemple, du rapatriement dans leurs pays d'origine des œuvres du patrimoine, toute résolution en ce sens pourrait avoir une forte résonance, à condition évidemment de proposer des mesures d'accompagnement concrètes.
Une autre orientation, jugée très intéressante par les responsables francophones, consisterait à nouer un partenariat direct, ou du moins un dialogue, avec le secteur privé, volontiers perçu comme la locomotive de la mondialisation et donc de ses tendances les plus menaçantes à la standardisation de la culture. Associer le secteur privé, et en l'espèce les multinationales, à la préservation de la diversité pourrait être une manière à la fois paradoxale et astucieuse d'amorcer un tournant dans ce débat. A condition que le discours sur la diversité ne vienne parer de vertu des intentions plus désinvoltes... Un autre interlocuteur de choix pourrait se trouver dans les collectivités décentralisées qui disposent de ressources non négligeables pour l'aide au développement sans toujours savoir où porter l'effort.
Il reste enfin à la Francophonie, si elle veut être cohérente avec sa position de « pionnière » sur cette question, à montrer qu'elle est capable d'intégrer la diversité culturelle dans sa propre démarche au jour le jour. Ce qui suppose, n'hésite-t-on pas à reconnaître dans ses rangs, une « relecture » attentive de l'ensemble de sa coopération, qui déboucherait nécessairement, à ressources équivalentes, sur une adaptation des programmes gérés par l'Agence intergouvernementale de la Francophonie.
Thierry Perret