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31/05/2001
Diversité culturelle : un combat francophone
La diversité culturelle comme enjeu fondamental du développement


Entretien avec Roger Dehaybe, administrateur général de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie.

MFI : On parle beaucoup aujourd'hui, et la Francophonie met résolument l'accent sur cette idée, de « diversité culturelle ». Il faudrait peut-être préciser d'abord d'où vient cette notion, et ce qu'elle recouvre ?

Roger Dehaybe : Nous à la Francophonie, nous en parlons depuis longtemps. Lorsque nous avons créé la Francophonie intergouvernementale, le projet était clairement d'organiser, grâce à une langue de partage, le français, l'affirmation de la diversité culturelle. Et je dirai que les fondateurs de l'agence ont mis davantage l'accent sur la différence, que sur l'unité au sein de la communauté. On l'a un peu perdu de vue, en faveur d'une vision culturelle un peu trop nordiste, voire parisienne : Céline Dion c'est de la culture, Brel c'est de la culture, les chanteurs africains... c'est du folklore, et en plus ils ont des tam tam ! Même chose pour les langues : l'islandais c'est une langue, il y a 230 000 personnes qui la parlent; le haoussa, qui n'est parlé « que » par 1 200 000 Africains, c'est un dialecte ! On a donc assisté à une contradiction entre les objectifs originaux et la pratique. En outre, on s'est heurté à des obstacles plus techniques : faire tourner des spectacles, faire éditer un auteur africain, ce n'est pas simple. Finalement, le projet francophone est resté en deçà de ses objectifs.

MFI : Aujourd'hui on réactive cette idée...

Roger Dehaybe : Oui, notamment parce que les technologies de l'information pourraient permettre de donner corps au projet. On a là un outil qui permettrait de diffuser facilement les langues, les cultures... au même moment, et c'est le problème, on s'interroge sur les règles du commerce international en matière culturelle. Or, si on décide que la culture, c'est comme le café ou le cacao, que le marché doit l'emporter, nous aurons, au contraire d'une diversité, une uniformité. Il y a là un paradoxe.

MFI : Face à la mondialisation, on a défendu l'idée d'« exception culturelle ». L'exception, la diversité, quelle est la différence ?

Roger Dehaybe : Je pense que c'est le même concept. La notion de diversité culturelle a d'abord été mise en avant par les ministres francophones de la Culture, lors de la conférence de Liège en 1990. Nous avons été les premiers. En 1995, dans les débats au GATT, les Francophones et les Européens sont parvenus à faire passer la référence à l'exception culturelle. L'exception est un outil juridique pour préserver la diversité culturelle, mais c'est le même objectif.

MFI : Lorsqu'on entend parler de diversité culturelle, on attend la Francophonie sur la question linguistique, puisque c'est par là qu'elle se définit d'abord. Est-ce que la diversité culturelle doit signifier la diversité linguistique, et donc impliquer que le français n'occupe plus la place primordiale qui est la sienne ?

Roger Dehaybe : Les notions de langue et de culture sont toujours étroitement liées. La langue n'est jamais que l'expression d'une culture. Le problème du français se pose d'abord au niveau mondial : est-ce que le français dans les rencontres et les organisations internationales doit rester une grande langue de travail ? C'est en effet un combat qu'il faut continuer à mener, pour le plurilinguisme dans les grands échanges internationaux. Une langue, quelle qu'elle soit, ne peut pas être la langue du monde. Mais nous devons avoir la même cohérence au sein de l'ensemble francophone. On ne peut pas mener ce combat au plan international, et dire que nous trouvons juste d'imposer le français auprès des 50 États et gouvernements francophones. A partir de là nous devons redéfinir les rapports entre le français et les langues partenaires. Au Niger, pays fondateur de la Francophonie, 70 % des gens parlent une autre langue que le français. En terme d'alphabétisation, l'enfant malien qui parle à la maison en bambara, lorsqu'il va à l'école et qu'on l'éduque en français, se trouve confronté à un problème d'ordre psycho-pédagogique. Les Maliens ont décidé, comme d'autres, de développer la pédagogie convergente, c'est-à-dire d'enseigner d'abord l'enfant dans sa langue, et de l'amener ensuite au français : on en fait un meilleur francophone, car il est prouvé que pédagogiquement l'enfant a de meilleurs résultats en français...

MFI : Se pose une question de moyens. Est-il réaliste d' encourager le bilinguisme, voire le trilinguisme, dans des systèmes éducatifs déjà sinistrés, où le français et la qualité de son enseignement reculent ?

Roger Dehaybe : Oui, il faut des moyens. Mais à l'inverse, est-ce que la situation de l'éducation au Sud a démontré que c'était le meilleur système qui a été appliqué jusque là ? Parmi les pays les moins scolarisés au monde figurent six pays de l'Afrique de l'ouest francophone... On rejoint toute la problématique du bilan des politiques de coopération multi ou bi-latérales, pour lesquelles on commence à reconnaître qu'une des raisons de l'échec de ces politiques, c'est l'absence de prise en compte de la dimension culturelle des pays partenaires... et donc de leur langue. La chance de la Francophonie aujourd'hui, c'est de pouvoir, dans un partenariat différent, resituer clairement la langue française comme une langue de communication, nationale dans certains cas, ou internationale, mais aussi comme une langue qui va permettre de donner aux cultures enclavées une dimension internationale. Son rôle est de faire la promotion des cultures et des langues des peuples. C'est cela, le dialogue des cultures : c'est reconnaître la différence, et rendre possible l'échange dans une langue, en l'occurrence le français.

MFI : L'échange des cultures est caractérisé pour le moment, comme au plan économique, par l'échange inégal. On en a un exemple avec la véritable dépossession culturelle à quoi sont soumis les patrimoines des pays du Sud. C'est une question qui dépasse la seule communauté francophone, mais est-ce que la Francophonie ne peut pas prendre position clairement sur cette question, en demandant instamment que les éléments de patrimoine qui ont fait l'objet de trafics plus ou moins licites soient rapatriés dans leurs pays d'origine ?

Roger Dehaybe : C'est un des débats de Cotonou. On a vu lors des travaux préparatoires un certain nombre de pays du Sud vouloir réaffirmer avec force le nécessaire rapatriement des œuvres détenues à l'étranger de manière illégale. Ce n'est pas toutefois un débat très conflictuel. Tout le monde est d'accord pour aider les pays du Sud à retrouver leur patrimoine. Le débat porte plus sur la forme. Certains pays du Nord disent : rapatrier, oui, mais les pays du Sud n'ont pas les moyens d'assurer la préservation des œuvres d'art concernées. On pourrait trouver des formules originales. Les coopérations devraient peut-être investir davantage dans l'aménagement de lieux où seraient mieux préservées les œuvres. Nous allons collaborer à cette réflexion. Il serait déjà intéressant d'aider les pays à faire des inventaires des œuvres visées par leurs justes revendications.

MFI : Doit-on en venir à cet instrument juridique international, dont on parle déjà, qui affirmerait solennellement la nécessité de la diversité culturelle, aux mêmes titres que les droits de l'homme, et définirait les moyens de la mettre en œuvre ?

Roger Dehaybe : Les choses vont être très compliquées. Je pense que le premier acte à poser est de décider que les règles en matière de commerce de l'OMC ne concernent pas les biens culturels. C'est le point de vue de certains États, et je suis d'accord avec eux pour dire qu'il faut au préalable clarifier le débat sur ce plan. Une fois que c'est fait, il faudra en effet organiser les échanges culturels, établir un certain nombre de règles, et il est nécessaire que ces règles soient gérées quelque part. Certains pensent que c'est une tâche qui revient à l'Unesco. Mais la faiblesse de l'Unesco, on le sait, réside dans l'absence des États-Unis, dont on connaît le poids en matière de production culturelle. D'autres considèrent qu'il faut un simple traité international ad hoc, soumis à un certain nombre de ratifications, dont celle des États-Unis.

MFI : La Francophonie souhaite associer le secteur privé à ce débat sur la diversité culturelle. Mais n'est-ce pas très aléatoire, dès lors que ce n'est pas de son intérêt immédiat ?

Roger Dehaybe : Vous dites bien : de son intérêt immédiat. Aujourd'hui, le rapport de forces international a changé. Le rôle des États reste important, mais celui des multinationales, des gros producteurs ne peut plus être négligé. On peut alors faire des manifestations pour dénoncer leur attitude. Ou se positionner comme partenaire, et montrer à ces multinationales où est leur intérêt à moyen et long terme. L'intérêt de toute entreprise est d'être à l'écoute du consommateur. Est-ce que nous pouvons convaincre les producteurs que la diversité de la production culturelle est peut-être intéressante de leur point de vue ? Que les différences culturelles existent, et qu'on ne peut injecter des produits qui ne répondent pas aux attentes naturelles des peuples ? D'où la question : pourquoi n'aurait-on pas un forum informel, avec des ONG, des organisations internationales, de grandes multinationales, pour parler ensemble, plusieurs fois par an, de la prise en compte de la diversité culturelle dans nos politiques respectives ?


MFI : Le rôle des États du Sud n'est-il pas souvent passé sous silence ? L'absence de politiques culturelles, qui n'est pas seulement liée à la question des ressources disponibles, ne devrait-elle pas conduire à interpeller ces États ?


Roger Dehaybe : Ce n'est pas un débat dans lequel il faut seulement mettre le Sud en perspective. Partout, la culture reste un parent pauvre des politiques des États. Les pays du Sud sont confrontés à des urgences sociales, économiques, éducatives... Quand dans un pays riche on atteint 2 % du budget consacré à la culture, on peut faire quelque chose. Avec ces mêmes 2 % au Sud, on ne peut rien faire... Mais la conférence de Cotonou peut être l'occasion de mobiliser en faveur de la culture comme moyen de développement. On n'a peut-être pas assez dit, ou l’on n'a peut-être pas été assez convaincant, on a peut-être mal expliqué à quel point la culture pouvait être un facteur de développement. On n'a peut-être pas assez défendu cette notion dans les grandes enceintes internationales. Mais les idées commencent seulement à changer. Il faut faire apparaître que la diversité culturelle n'est pas seulement une revendication des créateurs... que c'est une revendication de tous ceux qui veulent qu'un pays se développe. L'éducation, la culture sont un enjeu fondamental du développement.

Propos recueillis par Thierry Perret





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