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07/03/2002
Antar, chevalier légendaire d’Arabie

(MFI) Chevauchées fantastiques, combats singuliers, ruses et perfidies déjouées pour conquérir et garder l’amour d’une femme belle et noble entre toutes, telle est la légende d’Antar, le héros fabuleux de l’Arabie anté-islamique auquel le Marocain Driss Cherkaoui vient de consacrer un ouvrage érudit.

Ce roman, ou plutôt cette geste, d’abord transmise oralement, puis transcrite au XIIe siècle par des compilateurs, n’est pas oeuvre de pure imagination. Antar a réellement existé comme en témoignent plusieurs historiens arabes qui relatent des guerres auxquelles il prit part. Mais les conteurs ont considérablement enjolivé son histoire, révélée en Europe par une traduction anglaise parue en 1820 qui suscita l’admiration du grand poète français Alphonse de Lamartine et du célèbre compositeur russe Rimski-Korsakov.
Antar – qui a vécu quelques siècles avant l’Hégire – est un homme d’exception à plus d’un titre : il est en effet le fils d’un émir d’une tribu arabe et d’une esclave noire originaire d’Abyssinie. Il est traité en esclave et son père refuse de le reconnaître jusqu’à ce qu’il y soit contraint par ses exploits : Antar tue d’abord un lion, puis se procure un sabre et un cheval grâce auxquels il participera à quelques batailles où sa bravoure fera merveille. Il demande alors la main de sa cousine Abla que son oncle Malik lui refuse d’abord obstinément tout en exigeant des autres prétendants qu’ils lui amènent la tête d’Antar. Subtilement, Abla leur demande aussi la tête de son amoureux, mais parce qu’elle est persuadée qu’Antar tuera sans problème ses rivaux. Antar – qui finit par épouser Abla – est non seulement un guerrier valeureux, mais aussi un poète et un orateur accomplis : ce sont là des qualités indispensables pour entrer dans la caste des chevaliers, qui ont en outre pour devoir de protéger les faibles, en particulier les femmes, comme les preux dans la France du Moyen-Age.
Driss Cherkaoui recense quelques types de personnages insolites qui surgissent périodiquement dans le récit, notamment celui la « femme-guerrière », qui peut se battre comme un homme, mais dont la ruse favorite consiste à se démasquer devant son adversaire masculin, qui tombe alors subjugué par sa beauté. Seul Antar est de taille à résister à ces coquetteries, et il vaincra et engrossera sur le champ Gamra, reine d’Abyssinie détrônée, qu’il aidera ensuite à reconquérir son royaume. Abla n’est pas une « femme guerrière », mais elle est tout aussi farouche : capturée par un prince perse qui la désire, elle fait semblant de lui céder avant de le tuer d’un coup de couteau qu’elle a dissimulé sous ses vêtements.
L’auteur de l’étude analyse par ailleurs quelques-unes des guerres où Antar s’est illustré, selon les chroniqueurs arabes, et dont le roman fait également état. Driss Cherkaoui ne relève qu’un seul anachronisme flagrant dans le roman, anachronisme qui fait d’Antar le vainqueur de la guerre de Haybar entre Arabes et Juifs. Comme on sait, c’est le prophète Mahomet qui, bien après l’époque ou vivait Antar, conduisit cette guerre contre l’oasis juive en question. Mais cette entorse à l’histoire est voulue : il s’agissait dans l’esprit des conteurs et compilateurs du roman de Antar d’intégrer le héros dans la geste musulmane.
Antar mourra, tué par une flèche empoisonnée décochée par un de ses anciens rivaux dont il avait crevé les yeux, mais qui s’était entraîné pendant des années à tirer à l’arc malgré sa cécité en guidant son tir d’après le bruit de sa cible. Abla, remariée, traitera une nuit son second époux d’impuissant, injure dont il se vengera en la tuant. Comme on le voit, le sexe et le sang sont omniprésents dans cette saga époustouflante.
Mais elle est loin d’être dépourvue de signification politique : pour Driss Cherkaoui, Antar est le champion des classes opprimées. Pour l’historien sénégalais Cheikh Anta Diop (qui mentionne Antar dans son livre L’unité culturelle de l’Afrique noire) Antar est une sorte de champion du métissage. Antar est devenu aujourd’hui un prénom relativement courant au Mahgreb et au Machrek.

Le Roman de Antar - Perspective littéraire et historique par Driss C herkaoui, Présence africaine, 345 pages.


Claude Wauthier

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