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28/03/2002
Chronique Livres

L'essentiel d'un livre : Le fabuleux destin de Balthazar Bodule-Jules

(MFI) Dix ans après Texaco, Patrick Chamoiseau publie un roman marqué du sceau de l'épique et du magique. Un roman qui fera date dans l'histoire littéraire francophone.

Surgie des bouleversements coloniaux et postcoloniaux des cinquante dernières années, la littérature des Antilles anglophones et francophones est une des littératures émergentes les plus fécondes et novatrices. Citons, parmi les écrivains les plus connus : Edouard Brathwaite, Aimé Césaire, Frantz Fanon, Franckétienne, Edouard Glissant, Wilson Harris, V.S. Naipaul, Saint-John Perse, Derek Walcott... Une liste non-exhaustive qui compte quand même trois prix Nobel, des poètes qui ont fait résonner pour la première fois la voix de la contestation anti-coloniale, de grands romanciers et penseurs qui ont révélé l’originalité de l’imaginaire et de la pensée créoles.
La génération qui a pris le relais de ces aînés prestigieux s’est révélée également talentueuse. Le Martiniquais Patrick Chamoiseau en fait partie. Auteur de cinq romans dont Texaco (Goncourt 1992), Chamoiseau a aussi publié deux récits autobiographiques et plusieurs essais. Il est le chef de file du mouvement de la créolité qui tente de renouveler l’imaginaire caribéen en l’enracinant dans l’expérience antillaise de la créolisation plutôt que dans une trace africaine hypothétique et fantasmée, comme l’a fait Césaire à travers sa célébration de la négritude. « Ni Européens, ni Africains, ni Asiatiques, nous nous proclamons créoles », ont écrit le romancier et ses compères dans Eloge de la créolité, considéré comme le manifeste de la nouvelle génération. A travers ses chroniques centrées sur la vie tumultueuse des petites gens et sa pratique d’un français « chamoisisé » (Kundera), c’est cette créolité qu’explore Patrick Chamoiseau depuis son tout premier roman paru en 1986.
Biblique des derniers gestes, son cinquième roman, est sans doute son livre le plus ambitieux et le plus novateur. C’est une somme de plus de 800 pages qui raconte dans un langage souvent lyrique et toujours inventif et ample le fabuleux destin de Balthazar Bodule-Jules. Personnage imaginé à la fois sur le mode du fantastique (« né il y a de cela quinze milliards d’années ») et de l’historique (« le grand indépendantiste »), Balthazar a décidé de mourir, non pas parce qu’il en a assez, de vivre, mais parce que la colonisation a réussi ! Il convoque à son chevet ses admirateurs dont un député-maire en la personne d’Aimé Césaire, un philosophe qui n’est autre que Glissant et le narrateur à qui incombe la tâche de raconter la vie et les aventures du grand homme. Pour ce faire, celui-ci tente de s’identifier à l’agonisant, de percer le mystère de l’esprit qui s’en va. « Je fus le seul à deviner que ce qui se bousculait dans la tête du vieil homme était le fil extraordinaire de ses amours anciennes. » Explorant alors les souvenirs des sept cent vingt-sept femmes que Balthazar a aimées, le narrateur reconstitue sur le mode héroïque le puzzle de cette vie dédiée à la fois aux désirs et aux guerres anticoloniales. Ainsi, dans ce récit magistral, au souffle épique, Toussaint Louverture, Che Guevara, Fanon, Hô Chi Minh, Lumumba cohabitent avec l’Amérindienne « aux tristesses millénaires des femmes », la jeune religieuse hindoue « aux yeux lunaires », la métisse bolivienne, la mystérieuse Bamiléké...
Véritable roman-monde, Biblique des derniers gestes frappe par l’ampleur de son histoire et par la puissance luxuriante des voix qui la portent. Il est à l’image de la Caraïbe, lieu de toutes les violences, mais aussi de brassage. C'est peut-être cela le secret de la grande vitalité littéraire de ce « petit pays » dont est issu Balthazar Bodule-Jules.

Patrick Chamoiseau : Biblique des derniers gestes. Ed. Gallimard, 788 p., 25 euros.

Tirthankar Chanda


Calixthe Beyala : Un roman original mais grandiloquent

(MFI) Avec Les arbres en parlent encore, Calixthe Beyala nous livre son onzième roman. Après nous avoir raconté par le menu les tribulations de ses héroïnes exilées à Paris, l’écrivain franco-camerounaise a choisi de changer de continent, quitter la Belleville bigarrée et populaire de fin de cisèle pour un village de brousse camerounais à l’époque de la colonisation. Le récit dramatique de ce village, un temps occupé par les Allemands avant de redevenir français, habité par des hommes et des femmes plus imprévisibles les uns que les autres, et qui répondent aux noms savoureux de Fondamento de Plaisir ou de Michel Ange de Montparnasse, est raconté par Edène Assanga, fille de l’ancien chef de tribu née en l’an VI avant la guerre de 14. Quasi centenaire, Edène se remémore le passé de sa tribu, le peuple Eton : « Aujourd’hui, je suis si vieille, si vieille que même les astres ont oublié mon âge. Ce que je sais, c’est que, à cette époque-là, nos dieux étaient partout et les marmites de nos sorciers étaient encore chaudes; nos esprits verts nous protégeaient... ». C’était certes « une époque magique », mais elle n’était pas dépourvue de violences, d’oppressions et de calculs. A travers cette chronique construite sous forme de veillées (il y a seize veillées en tout), romancée et souvent satirique à l’égard des colonisateurs mais aussi à l’égard des Africains eux-mêmes, Calixthe Beyala fait le récit d’une Afrique primordiale qui résiste et qu’aucune domination n’aura réussi à soumettre.

Calixthe Beyala : Les arbres en parlent encore. Ed. Albin Michel,. 412 p., 19,90 euros.

T. C.


Nawal, Palestinienne blessée

(MFI) Dans l’Union soviétique de Gorbatchev, deux étudiants arabes se rencontrent à Moscou. Nawal, une Palestinienne, étudie la médecine. Chaïbane, l’Algérien, espère devenir ingénieur avant de rentrer dans son pays. Réunis par les hasards de la vie pour un voyage qui les mènera vers Bakou et Samarkand, les jeunes gens vont vivre un amour tourmenté qui s’achèvera aux abords d’un camp de réfugiés au Liban, en 1987.
L’amour loup, roman de l’écrivain algérien Anouar Benmalek, membre fondateur du Comité algérien contre la torture et professeur à l’Université de Haute-Bretagne, a été publié en 1994 chez l’Harmattan. Sa réédition aujourd’hui ramène le lecteur à la tragédie libanaise des années quatre-vingts mais aussi à la longue quête du peuple palestinien pour sa survie. Nawal, jeune fille farouche et secrète, dissimule mal les terribles blessures de sa vie de réfugiée. Celle qui a vu mourir son père et son frère sous la main des miliciens libanais, n’est guère disponible pour une histoire d’amour. Pressée de retourner parmi les siens pour tenter de soulager leurs souffrances, elle échappe à Chaïbane qui n’aura de cesse de la retrouver. Des camps de réfugiés en Syrie au Beyrouth en proie aux terribles luttes des factions rivales, le jeune homme entame un long périple qui le conduira aux portes du camp de Borj el-Barajneh. Avant que l’implacable violence de la guerre civile ne reprenne le dessus, Chaïbane aura le temps de lire l’expression d’un bonheur fugitif dans le regard de celle qu’il aime. Mais on n’échappe pas à son destin, surtout au cœur d’un conflit aussi meurtrier.

Anouar Benmalek : L’Amour loup. Ed. Pauvert, 33 p., 18,60 euros.

Geneviève Fidani


Lyonel Trouillot : Des vies « qui ne ressemblent à rien »

(MFI) Poète et romancier, auteur de deux très bons romans (Rue des Pas-Perdus, 1998, et Thérèse en mille morceaux, 2000, également chez Actes Sud), le Haïtien Lyonel Trouillot revient avec Les enfants des héros, histoire d’un parricide et de deux criminels pas forcément coupables. Le narrateur, Colin, a aidé sa sœur Mariela à tuer leur père, Corazon, alcoolique et violent. Crime non prémédité, inexplicable, et que le jeune narrateur reconstitue par bribes tout en évoquant le bidonville où habitait la famille et les acteurs de la tragédie : Joséphine la mère, élevée chez les sœurs, victime résignée de son mari ; Corazon, boxeur raté, frustré et solitaire ; Mariela la sœur aînée admirée, si douée pour vivre et pourtant condamnée d’avance ; Colin enfin, souffreteux et faible, qui tente de comprendre et d’expliquer l‘incompréhensible lors des trois journées de cavale qui sont le temps de ce récit. Sur fond de misère et d’horizons bouchés (« … si l’on peut appeler un destin la vie sans route qui nous attend »…), de souffrances humaines faites d’attachements maladifs, de solitude, d’ignorance et de rêves brisés, le couple Mariela-Colin tente en vain de fuir dans la lumière d’une grande tendresse partagée, seul cadeau que la vie leur aura fait. Un récit fort, émouvant. Lyonel Trouillot fait une fois encore la preuve de sa belle maîtrise littéraire.

Lyonel Trouillot : Les enfants des héros. Ed. Actes Sud, 136 p., 13,90 euros.

Henriette Sarraseca


Femmes d’Afghanistan vingt ans après

(MFI) Encore un livre sur des femmes ? Des opprimées ? Non, car celui-ci sort nettement du lot. L’auteur, une Française, n’a fait qu’écouter, enregistrer des témoignages, donner à voir la vie de femmes, d’hommes, d’enfants, d’un peuple qui l’a conquise avec son « mélange de fatalisme, de superstitions mais aussi de bon sens et de vigueur ». Une première version du livre avait été publiée dans les années 80, la seconde vient de paraître, remaniée et complétée. Trois générations de femmes s’y succèdent. Celle des grand-mères, pour la plupart paysannes, qui menaient des vies d’esclaves. Mariages arrangés dès l’âge de 12 ou 13 ans, labeur incessant de l’aube au coucher tardif, privations, nombreux enfants dont la moitié mouraient en bas-âge. Le destin des filles, ouvrières non qualifiées ou femmes de ménage, n’a pas beaucoup évolué sinon, peut-être, par un début de prise de conscience : l’émouvante Laïli, qui raconte le cruel destin de sa mère, fait tout pour que ses enfants aillent à l’école, aient un métier. Quant à elle, elle résume ainsi sa vie : « La journée est vite terminée, épuisante, sans joie ni distractions (…) Un jour suit l’autre et tous se ressemblent. J’étais jeune et maintenant c’est fini ; je n’ai profité de rien. » Laïli a été tuée lors des bombardements qui ont ensanglanté Kaboul au départ des communistes. Parmi les petites-filles, certaines ont fait des études, sont devenues l’une fonctionnaire internationale, d’autres professeur ou chirurgien de renom. Toujours pourtant, le pouvoir et l’attitude de l’homme déterminent leur destin : le père d’abord, selon qu’il soit ouvert ou rétrograde ; le mari ensuite, brutal ou humain. Seule lueur dans leur vie, seule raison d’être : les enfants. Eux peut-être, espèrent-elles, vivront…

Isabelle Delloye : Femmes d’Afghanistan. Ed. Phébus. 186 p., 14,50 euros.

H. S.


Sous les masques Dogons

(MFI) En 1938, la publication du livre de Marcel Griaule, Masques dogons, marqua une date dans la découverte (et la reconnaissance) de l’extraordinaire vitalité culturelle de cette communauté malienne. Plus de soixante ans plus tard, la fille de l’ethnologue -qui accompagna son père dans certains de ces voyages- publie, en compagnie de Francine NDiaye et Alain Bilot, un album au titre voisin, Masques du pays dogon, qui s’inscrit dans la lignée des études paternelles pionnières.
Cet album réunit une sélection d’une centaine de masques choisis parmi les collections européennes et américaines. Chaque masque sélectionné bénéficie d’une description précise de ses caractéristiques physiques (taille, matériau) mais aussi d’un commentaire sur sa plastique et sa symbolique, sur le contexte qui préside à son utilisation et les circonstances qui permirent sa découverte occidentale. Des citations d’ethnologues, spécialistes et autres chercheurs viennent enrichir ces premiers éléments et pour chaque masque, une analyse brève et pertinente enrichie d’une interprétation donne au lecteur quelques arguments d’observation et d’interprétation lui permettant soudain un regard moins distrait et naïf.
Élégante, sobre et soignée, la présentation de Masques du pays dogon ne joue cependant pas la carte de l’esthétisme et de la séduction mais avant tout celle de la connaissance et de la transmission simple du savoir. Les propos érudits des auteurs demeurent accessibles et permettent, avec concision et efficacité, de mieux comprendre l’univers mystérieux de ces masques, tant dans leur conception, que dans leur rôle social et dans les enjeux qui accompagnent leurs sorties.
Un livre utile, qui se révèle très agréable à feuilleter mais qui mérite, plus que d’autres, une lecture patiente et attentive.

Adam Biro, 192 p., 45,73 euros.

Bernard Magnier


Mythologie africaine et critique sociale

(MFI) Avec L'esprit des eaux, l'écrivain angolais Pepetela offre un fable pétrie d'humour noir où, sous couvert d'une histoire abracadabrante, il fustige la corruption du parti au pouvoir et dénonce la misère du peuple.

La fable, c'est le "syndrome de Luanda" qui fait s'effondrer subitement les uns après les autres des immeubles récemment construits dans un quartier de la capitale. Le plus étrange est que ces immeubles s'écroulent pour ainsi dire en douceur, les habitants atterrissant ahuris, mais indemnes au milieu des gravats, où s'est formé un étang verdatre.
Les deux héros du roman sont Joao Evangelista, qui passe le plus clair de son temps à résoudre des jeux video sur son ordinateur, et son épouse, Carmina Caboche de Cactus, militante révolutionnaire qui fera carrière au parlement et se lancera dans les affaires quand l'idéologie marxiste sera jetée aux orties. Ils habitent un des immeubles du quartier et observent bien entendu avec inquiétude ce syndrome étrange. D'autant plus que bientôt s'y ajoute une effervescence politique, car la misère a gagné la capitale surpeuplée où affluent les réfugiés fuyant la guerre civile. Si bien que les sans-logis des immeubles effondrés et autres laissés pour compte décident de se promener nus dans les rues en signe de protestation : ils sont des milliers qui se promettent de déchirer les vêtements des riches.
Pendant ce temps, Cassandra, une fillette un peu simple d'esprit s'est mis en tête d'écouter l'étang et a réussi à décrypter ce qu'elle entend : c'est le message de Kianda, l'esprit des eaux, qui exhale sa plainte. Les immeubles qui se sont effondrés avaient été construits sur l'emplacement d'un lac qu'on avait comblé et Kianda avait été pris au piège de son assèchement. L'effondrement du dernier immeuble, où habitent Joao et Carmina, va le libérer et lui permettre de retrouver la mer.
Ainsi se termine cette fable qui mêle avec habileté la critique sociale, la peinture de moeurs et la mythologie africaine dans un bref récit non dépourvu d'intention politique. L'Esprit des eaux fait découvrir un Pepetela ironique et passablement désabusé, plutôt aux antipodes du maquisard révolutionnaire et du ministre qu'il a été.
Pepetela est un pseudonyme, l'écrivain descend de colons portugais établis depuis des générations en Angola, mais il a rallié très jeune le Mouvement Populaire de Libération de l'Angola (MPLA) et combattu dans l'enclave de Cabinda. A l'indépendance, il est devenu vice-ministre de l'Education, puis a enseigné à l'université. Son premier roman, Mayombe, est tiré de son expérience de la guerilla au Cabinda, un second, Yaka, narre l'histoire d'une famille de colons portugais.

Pepetela : L'Esprit des eaux. Traduit du portugais par Michel Laban, Actes Sud, 140 p., 13,90 euros.

Claude Wauthier




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