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04/04/2002
« Pourquoi le Tiers Monde n’a rien à attendre des OGM »

(MFI) Biologiste, ex-directeur de recherche au CNRS, auteur entre autres de L’Horreur génétique (Ed. Jouvence), Jean-Pierre Garel milite pour une « science avec conscience ». Il est convaincu que les « OGM de la première génération » sont une impasse en matière agricole, que les paysans le savent, et les multinationales qui les vendent aussi.

MFI : Les OGM devaient permettre d’utiliser moins de pesticides et ainsi de préserver l'environnement. Qu’en est-il ?
Jean-Pierre Garel : En réalité, ces plantes en consomment beaucoup plus. La publicité avait été faite assez rapidement, mais la réalité des champs est différente. Pour se développer, elles ont besoin jusqu'à dix fois plus de pesticides que prévu ! La norme fixée pour les épandages n'est plus respectée; ces dépassements sont tolérés aux Etats-Unis, mais ils ne le seront plus en Europe à partir de 2004. Tous les grands trusts le savent depuis le début des années 90, et comme ils produisent à la fois OGM et produits chimiques, leur parade a été d’inventer des plantes qui continuent d'avoir besoin de ces pesticides. Ainsi, ils écoulent une partie de leur marchandise. C'est grave.

MFI : Donc, encore plus de pollution qu'avant...
JPG : Dans les pays du Tiers Monde où ils arrivent à placer leurs cultures, ce qui est aujourd'hui relativement difficile, Argentine ou Chine par exemple, la pollution continue.

MFI : Difficiles à placer pour des raisons financières ?
JPG : Oui, mais aussi parce que les responsables politiques se rendent bien compte qu’acheter des semences transgéniques, à supposer qu'elles soient utiles, signifie une dépendance accrue vis-à-vis du Nord. Ils ont de bonnes raisons pour ne pas aller dans ce sens et tenter de développer leurs propres cultures vivrières. L'agrochimie classique a déjà produit des désastres sur place et les dirigeants savent que là n'est pas leur voie. Les lobbies très puissants de ces multinationales ont tout de même réussi à convaincre l'ONU qu'ils faisaient de bonnes choses, le riz doré par exemple [produit très controversé, NDLR] et à se faire passer pour des bienfaiteurs de l'humanité, alors que par ailleurs un certain nombre de responsables africains n'en veulent pas et savent pourquoi.
Le système mondial est doublement pervers : d’une part on refuse ces OGM puisqu’il y a en Europe un moratoire déguisé ; d’autre part on encourage les pays du Tiers Monde à les essayer quand même dans le sens souhaité par les multinationales, et s'ils ne peuvent pas payer on leur fera des prêts, Banque mondiale en tête... Le lobbying fonctionne bien ! C'est la dernière planche de salut pour ces agrochimistes et semenciers que de tenir encore peut-être dix ou quinze ans avant de se reconvertir...pourquoi pas à la bio !

MFI : Autre argument avancé par les fabricants : les cultures facilitées en climats secs ou arides. Ceci ne peut-il pas être utile dans le Tiers Monde ?
JPG : Il s'agit là d'une seconde génération d'OGM qui peuvent avoir une utilité sociale, alors que la première permettait simplement aux firmes de continuer à vendre avant de se reconvertir. Mais le grand danger de dépendance demeure. De plus, des agronomes du Nord, y compris du Cirad, admettent que pour augmenter la production de céréales, les rendre moins dépendantes de la sécheresse ou de la salinité, les bons croisements, les méthodes de sélection traditionnelles sont tout aussi avantageuses. Elles peuvent être faites par les paysans eux-mêmes; ils seront détenteurs des nouvelles semences, et pourront les reproduire comme ils l'entendent. Encore une fois, je considère que c'est un piège.

MFI : Et les arguments santé ? Les OGM qu'on dit enrichis en vitamines ou oligo-éléments ? N'y a-t-il là rien d'intéressant ?
JPG : Franchement, on n'a pas besoin d'en passer par là ! On sait que les sols ont été appauvris par les engrais de synthèse, qu'il leur manque ces oligo-éléments qu'on veut nous resservir autrement. Alors que des sols bien nourris, comme on sait les faire en agro-biologie, avec des plantes en bonne santé les apportent naturellement. Il s'agit là d'un moyen détourné pour contrer le développement mondial de l'agro-biologie.

MFI : Dernier argument des firmes, de taille : augmenter les rendements. Il y aura 2 milliards d'humains de plus dans vingt ans. Que peuvent apporter les OGM sur ce point crucial ?
JPG : Il est vrai qu'il faut commencer dès aujourd’hui à résoudre cette question. Mais prenons l'exemple des rizicultures qui devront produire 30% de plus : des techniques culturales comme le semi-direct sous couverture végétale, une amélioration classique des semences, l'adaptation à une certaine sécheresse, bref tout un ensemble de méthodes conventionnelles, réalisées avec l'aide de pays développés, devrait permettre de répondre à la demande. Des expériences ont été faites dans le Mato Grosso où on est passé de 1,2 tonnne de riz à l'hectare dans les années 80 à 4 à 6 tonnnes, encore une fois sans se rendre dépendants de technologies du Nord qui auront bientôt un coût inabordable. De plus, il est permis d’avoir des doutes sur les rendements annoncés par les fabriquants d'OGM.

MFI : Si l'avenir n'est ni dans l'agro-industrie, ni dans les OGM, où est-il ? Le Tiers Monde pourra-t-il atteindre l'autosuffisance ? Et comment ?
JPG : Il y a aujourd'hui l’agriculture traditionnelle qui n'a pas beaucoup évolué; et les techniques de l'agro-biologie ; pour peu que des agronomes formés s'y intéressent, il est possible - des exemples existent - d'améliorer les rendements des cultures vivrières, en sélectionnant les semences, en étant très inventif, en appliquant des techniques qui font déjà des percées en Afrique, notamment dans des pays arides. Je ne pense pas que les agronomes soient réellement inquiets sur la question de l'autosuffisance. Encore faut-il que ces techniques, au lieu d'être appliquées à des petites surfaces, le soient à cinquante ou cent pour cent. Pierre Rabhi a semé des bonnes graines et des bons conseils au Burkina par exemple, grâce à l’appui des responsables politiques. Il est urgent que d'autres décideurs relaient ces expériences - or, elles sont combattues par les trusts agrochimiques, OGM en tête. C'est dramatique.

MFI : D’autant qu’il y a chaque année, chez les paysans, des dizaines de milliers de morts et de maladies graves provoquées par les pesticides. Les agriculteurs eux-mêmes auraient tout intérêt à revenir à des cultures saines…
JPG : Oui, même s'ils sont bien protégés au moment de l'épandage les doses sont telles que cela peut causer des désordres neurologiques. Cela permet d'ailleurs à nos chercheurs de suivre les dégâts de ces pesticides qu'ils connaissent fort bien à l'avance ! Des pesticides qui sont aussi de nature oestrogénique, c'est-à-dire qu'ils tendent, via l'eau, les aliments et l'alimentation de la mère, à provoquer des mutations chez les embryons mâles. Au moment de la sexualisation de ces embryons, qui se fait en six à huit semaines, cet environnement hormonal peut provoquer une déviance biologique et altérer, féminiser des fonctions subtiles dirigées par l'hypothalamus.

MFI : Des scientifiques commencent-ils à changer d'attitude à l’égard des OGM ?
JPG : Une partie d'entre eux, oui, autour notamment du Pr Gilles-Eric Seralini de l'université de Caen. Il a mis en place un système de contre-expertise qui est tout à fait souhaitable et bien faite. Grâce à cette initiative, un certain nombre de confrères sont en train de se dégager du carcan de la pensée unique. D'autres ont encore des attitudes scandaleuses. Un spécialiste de l'allergologie m'a dit : "Ecoutez, on sait bien que des OGM vont être allergènes ; moi, ça m'intéresse, je monte un réseau pour observer des cas et travailler avec mes thésards là-dessus"...


Propos recueillis par Henriette Sarraseca

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