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11/04/2002
La guerre des musées n'a pas eu lieu (1)
L'Afrique et les arts premiers au cœur de la polémique


(MFI) C'est une de ces polémiques passionnées dont la France a le secret. Le projet de création en 2004 d'un grand Musée dédié aux arts d'Afrique, d'Océanie, d'Asie et des Amériques (dit Musée des «arts premiers») a suscité une levée de boucliers, en particulier du côté du Musée de l'Homme, vénérable institution qui a vu naître l'école d'ethnologie française, et dont les quelque 300 000 pièces doivent alimenter les fonds du futur musée, où elles seront rejointes par les collections (30 000 pièces) du Musée des arts d'Afrique et d'Océanie. Pourtant, malgré leurs efforts, les chercheurs du Musée de l'Homme n'ont pas atteint leur objectif : dans les mois qui viennent doit commencer le transfert des collections, tandis que le MAAO semble d'ores et déjà s'être résolu à son sort.

I/ Le «blues» si triste du MAAO

La dernière grande exposition de son histoire (1) aura été consacrée à l'Afrique du Sud. Ensuite, le Musée des arts africains et océaniens (MAAO) s'acheminera doucement vers sa fermeture, prévue à la fin de l'année.


Quelque quarante ans après sa création, le fameux musée de la Porte Dorée voulu par André Malraux, passé entre-temps par bien des vicissitudes, s'effacera donc au profit du futur Musée des arts et civilisations d'Afrique, Asie, Océanie et des Amériques. Une disparition orchestrée dans une indifférence quasi-totale, laquelle contraste avec la résistance farouche qui s'est levée du côté du Musée de l'Homme.
C'est un musée de la nostalgie et de l'ambiguïté, abrité dans un lieu lui-même hypothétique. Pour commencer, le MAAO n'aura jamais pu se défaire de son image originelle de musée colonial. Tellement il s'était identifié à l'étonnant bâtiment qui l'abrite, inauguré en 1931 comme une des pièces maîtresses de l'Exposition Coloniale ouverte cette année-là. Bloc de béton armé conçu dans un style à la fois moderniste et «antiquisant», à la décoration foisonnante issue de la vogue, à l'époque, de l'Art déco, il est d'une beauté qui frise la provocation : car tous les poncifs de l'esprit colonial s'y illustrent, dans un amalgame esthétique qui n'est pas sans grandeur. En 1935, l'édifice devient Musée de la France d'Outre-mer, avec ses sections vouées à l'Histoire, à l'œuvre édificatrice de la colonie ou aux Arts indigènes… tout en intégrant dès ce moment son célèbre aquarium tropical qui parachevait une vision avant tout exotique des autres mondes.


Une renaissance par à-coups

En 1960, en pleine décolonisation, André Malraux alors ministre de la Culture se fait (déjà) le porte-parole enthousiaste d'une reconnaissance des cultures dites «primitives». Sa conception du Musée universel intégrant toutes les productions du génie humain, l'oriente alors, avec un net parti-pris esthétique, vers la création d'un Musée des arts d'Afrique et d'Océanie qui contrebalancerait l'influence des ethnologues du Musée de l'Homme, pour qui les cultures sont à comprendre, avant d'être exposées… Cette idée, qu'on retrouvera intacte des décennies plus tard, ne permet pas toutefois l'essor du MAAO, dont le projet n'intéresse guère l'administration, et encore moins les pontes de la muséologie en France, prisonniers d'une conception très hiérarchisée des cultures, où les civilisations supérieures auraient seules droit de cité.
Malgré quelques initiatives importantes, notamment autour des collections d'Océanie, le Musée de la Porte Dorée va donc vivoter jusque dans les années 80, où une politique un peu plus volontaire permet des achats massifs de collections et le lancement des premières expositions temporaires. L'élan sera toutefois plusieurs fois brisé : les atermoiements de la tutelle, les résistances corporatistes, ou la personnalité contestée des directeurs successifs ayant sans doute été moins décisifs que l'absence d'un vrai dessein suffisamment mobilisateur, à une époque où la France s'interroge sur son identité d'ancienne puissance coloniale. Le MAAO, avec son legs historique si compromettant, n'est pas propre à lever le doute.
Au milieu des années 90, un frémissement se produit toutefois. Les équipes sont étoffées, la rénovation des salles d'exposition est bien engagée, quelques grandes expositions (dont en 1993 la célèbre Vallées du Niger) sont de vraies réussites, et l'art contemporain fait son entrée. On peut croire que le Musée a trouvé une dynamique, alors que change le regard porté sur un art qu'on commence à dire «premier». Hélas ! C'est le moment où le président Jacques Chirac lance son grand projet d'un musée des civilisations qui doit enfin changer, radicalement, le statut des arts anciennement primitifs dans la muséologie française. Le MAAO, qui a subi le poids des ans, moins riche que le Musée de l'Homme (30 000 pièces dans l'un, quelque 300 000 dans les réserves de l'autre), moins connu du grand public pour ses collections d'art que pour son aquarium… a évidemment bien peu à offrir face à ce qui doit être l'un des Grands travaux de la République, et son sort est scellé : il ira alimenter le futur musée du Quai Branly, plus vaste, plus moderne, plus riche, plus «dans le vent»…
Germain Viatte, nommé en 1997 responsable muséologique du Musée Branly, prend également la tête du MAAO en 1999. «Il arrive pour liquider» soulignaient alors les employés du musée, qui sont obligés de reconnaître la séduction et le sens du consensus de leur nouveau patron, mais sans nourrir d' illusions… la fronde a bien eu lieu, mais un ton nettement plus bas qu'au musée de l'Homme, marquée par le départ volontaire d'Etienne Féau, spécialiste reconnu de l'Afrique.


Une enquête… pour faire son deuil

Germain Viatte qui se partage entre deux chantiers, a visiblement à cœur de ne pas apparaître comme le «tueur» du MAAO. Il observe qu'il existe entre ses employés et le vieux musée «un lien de nostalgie et de rejet à la fois». Rappelle qu'il a été longtemps un mal-aimé de sa tutelle (la direction des Musées de France au ministère de la Culture) ; qu'André Malraux déjà n'aimait pas beaucoup le lieu ; que les équipes de chercheurs ont été assez souvent divisées, et souffraient pour certains du handicap -qui en France ne pardonne guère- de ne pas être très intégré au milieu officiel de la Culture. Au final : un musée cloisonné, administrativement mal défini, hanté par son passé… auquel les personnels demeurent très attachés. Pour tenter de panser les plaies, Germain Viatte a proposé de lancer une «enquête», où il sera surtout question de faire parler les employés de leur expérience, de leur vécu dans ces murs. Avec le côté «travail de deuil» qui ne veut pas dire son nom.
Mais quant au reste, aucun doute ne semble habiter le porteur du projet «Branly», pour qui les meilleures initiatives, les plus grandes expositions du musée de la Porte Dorée avaient fait du MAAO «déjà un lieu de préfiguration d'une institution à venir.» Institution qui, après avoir été tant contestée, s'efforce à vrai dire de rassurer, temporiser, et présenter le meilleur profil acceptable. Où l'on comprend bien qu'il s'agit de rapprocher les contraires… de faire aussi bien et mieux que les musées précédents, dans leurs genres respectifs... de concilier la recherche et l'esthétique… bref de contenter tout le monde ! Face à la crise de nerfs des ethnologues du Musée de l'Homme, face au blues si triste des employés du MAAO, le futur Musée Branly sera «un musée de la réconciliation et du partage», lit-on dans les notices officielles.

(1) «Ubuntu», arts et culture d'Afrique du Sud, une exposition de la Réunion des Musées nationaux. Trois autres expositions marqueront encore cette dernière saison (Le bonbon, c'est chic !, Sténopés, Masques de l'Alaska traditionnel), saluée aussi par la parution de deux ouvrages réalisés sur le musée et son histoire.

Thierry Perret


Encadré : Un musée de la colonisation ?

«La France serait le dernier pays en Europe à ne pas avoir de musée colonial», souligne Roger Boulay, spécialiste des arts d'Océanie au Musée des arts africains et océaniens. Ce chercheur qui a organisé l'an passé la manifestation Kannibals et Vahinés, une très subtile exposition consacrée au regard «exotique» qui fut dans l'histoire projeté par l'Europe sur les peuples mélanésiens, est spécialement bien placé pour soutenir cette idée toute simple : il manque à la France un lieu consacré à la mémoire coloniale. Roger Boulay, il n'est pas le seul, verrait bien le MAAO, une fois fermé, se convertir en musée de l'histoire coloniale. Il y a de quoi rêver, en effet. Le lieu, avec son architecture, est lui-même une évocation vivante de cette histoire. Et il manque aux Français une approche décomplexée et savante de ce que fut la colonisation, de la construction à travers les âges d'une pensée coloniale, et de tout ce qu'elle véhicule aujourd'hui encore dans les rapports avec les pays anciennement colonisés. Un point de vue que n'est pas loin de partager Germain Viatte, lorsqu'il souligne à quel point «nos pays se sont transformés fondamentalement» à travers cette longue histoire des contacts entre la France et les autres continents, où l'influence «a joué dans les deux sens». A partir de quoi il peut être enrichissant d'envisager, non seulement leur histoire, mais aussi les perspectives ouvertes pour les pays colonisés et «quels syncrétismes ont résulté de ces contacts avec l'Occident».
Serait-ce là le projet à la fois audacieux et novateur qui manque pour la réaffectation du Musée de la Porte dorée ? Autant le dire, il suscite une certaine répulsion, et ne fait clairement pas partie des pistes examinées par l'administration française. Laquelle a plutôt pensé à rendre au lieu sa dimension d'histoire naturelle, en s'appuyant notamment sur l'autre trésor du MAAO, son aquarium… et en tirant parti de sa localisation à proximité du zoo de Vincennes. On a donc parlé d'un «pôle» consacré à l'environnement… Autre idée avancée : créer un centre de l'Outre mer. Mais il n'y a là rien de très abouti, la seule certitude restant qu'il faut trouver une solution avant janvier 2003, date officielle de fermeture du musée.

T. P.




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