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18/04/2002
La détresse au cœur de Paris

(MFI) Derrière une façade d’abondance et de gaspillage, les pays dits riches comptent des millions de pauvres. Parmi eux, les SDF sont les plus démunis. Un anthropologue et psychanalyste a voulu vivre à leurs côtés. Il ramène de ce voyage un remarquable livre-témoignage.

« Je les appelle “clochards” parce qu’il faut bien leur donner un nom. Celui-là n’est en rien meilleur que les autres, sinon qu’il renvoie à des images partagées, en France, par tout le monde. Mais s’il en est besoin d’autres, SDF, sans abri, routards ou grands exclus feront tout aussi bien l’affaire. Il est à ce propos des querelles d'écoles. D’aucuns voudraient instaurer de subtiles distinguos, hiérarchiser, ranger, botaniser. Combattre enfin à l’aide de spécieuses catégories, la sourde et angoissante anomie de ce milieu. On aimerait pouvoir donner corps à l’informe, appréhender l’évanescent. Qu’il suffise de savoir que le clochard, c’est toujours l’autre et jamais soi. De même que l’on ne peut percevoir sa propre odeur, ce sont les autres qui sentent ». Ainsi, dès le début de son livre-témoignage d’une exceptionnelle qualité, Patrick Declerck pose d’entrée de jeu la problématique et la position qu’il entend tenir vis à vis de ceux qu’il a décidé, pour sa part, de nommer Les Naufragés.
Patrick Declerck est né en Belgique mais c’est à Paris qu’il exerce sa profession de psychanalyste et anthropologue, auprès des populations démunies et exclues. Non content de recevoir en consultation pendant des années ces patients, Patrick Declerck a choisi d’aller au plus près de cette population, de s’y mêler, en empruntant leurs habits, afin d’en mieux mesurer et comprendre l’effroyable détresse. En effet, Patrick Declerck a choisi de vivre à leurs côtés, d’accepter d’être à son tour emmené par les brigades de « ramassage », transporté dans les bus qui mènent au dépôt, d’être hébergé dans ces foyers, de partager l’absence d’intimité, de côtoyer la violence, la maladie, la mort, l’indicible, jusqu’à ce jour où, saisi par la peur, il avoue avoir craqué et renoncé à partager une nouvelle nuit.
Tout au long de son livre qui retrace cette étrange cohabitation avec les plus démunis des Parisiens, Patrick Declerck traque les raisons qui ont amené les uns et les autres à cet absolu abandon. Bien sûr, la pauvreté extrême, l’alcoolisme et la toxicomanie sont un lot commun à bien des dérives rencontrées mais, en amont de ces facteurs aggravants, il y a, presque toujours, une brisure interne, une rupture, un drame familial, un antécédent qui a fragilisé l’individu et l’a conduit vers le point de non-retour. La galerie de portraits qu’il dresse est une visite des enfers de la rue et de ses fantômes.
Declerck s’attache aussi à la description du travail des personnels soignants. Sans complaisance, l’auteur dit leur propre détresse et si certaines phrases peuvent choquer (ainsi lorsqu’il déclare qu’ils ne « supportent les malades au mieux que quelques années » ou bien encore lorsqu’il affirme que parfois « la haine du patient sournoisement monte en nous ») c’est avant tout une sincère admiration qui naît de la description de leur dévouement.
De cette « expérience » dans ces lieux où la misère plonge dans l’inexorable abîme du non-retour, Patrick Declerck a su rapporter des témoignages d’une cinglante crudité. Car à ses qualités professionnelles, à ses talents d’attention et de vigilance, Declerck a su allier des qualités littéraires qui font de ce livre plus qu’un témoignage -au demeurant déjà exceptionnel- mais une réflexion qui bouleverse et contraint à regarder en face ce que nous feignions de ne pas voir. Les Naufragés est un livre nécessaire, même si l’auteur ne se fait aucune illusion sur la portée de son ouvrage et sur son propre travail dont il dresse le terrible bilan dans cette phrase abrupte : « Je pense en avoir soulagé quelques-uns, je sais n’en avoir guéri aucun ».

Patrick Declerck : Les Naufragés. Éditions Plon, coll. Terre humaine. 464 p., 23 euros.


Bernard Magnier

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