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09/05/2002
Arezki Mellal, plus fort que la violence

(MFI) Un grand romancier algérien est né, qui n’hésite pas à s’attaquer à des tabous. Sur fond d’une violence sociale qui resserre son étau autour du héros, une violence familiale, intime, plus implacable encore, fait son œuvre de mort.

Certains font les mystérieux pour intriguer, d’autres pour être moins exposés au terrorisme. Si Boualem Sansal a publié d’emblée à visage découvert, Yasmina Khadra a longtemps servi de couverture au commandant Moulessehoul. Arezki Mellal - un pseudonyme - préfère une discrétion qui correspond sans doute aussi à son caractère. Plus que les bouleversements sociaux, c’est l’intériorité, l’envers des choses qu’il nous donne à voir, à ressentir. En cela aussi, outre la parfaite maîtrise de son œuvre, il se distingue de nombre de ses compatriotes qui égrènent la chronique d’un pays à feu et à sang. Loin d’une écriture baroque, la sienne est sobre et concise, mais lourde d’émotion. « Mère est morte (…) Je suis mort, la vie continue. »
L’idole déboulonné est de taille : la Mère. Si le roman maghrébin et arabe, depuis Le Passé simple de Driss Chraïbi, s’est beaucoup construit autour de la révolte contre le père - représentant à la fois le pater familias tyrannique et une société parfois étouffante pour l’individu - la mère peut être faible, comme la « répudiée » de Rachid Boudjedra, mais elle est généralement perçue comme aimante vis-à-vis de ses enfants. Quelques connaisseurs de l’âme humaine ont toutefois arraché le masque à ces « mammas » à qui la vie n’a laissé d’autre exutoire que de « trop aimer » leurs petits, surtout mâles. Mâles aimés, si mal aimés ! C’est toute la tragédie de l’admirable roman Chimères de Neguib Mahfouz, dont le héros sacrifie sa vie à une génitrice qui au fond exige de lui ni plus ni moins que cela. Arezki Mellal va encore plus loin. Connaissant bien ses classiques freudiens, il nous montre un narrateur assailli d’abord par des rêves de désir incestueux, à la fois homme et petit garçon jamais grandi, face à une mère abusive et culpabilisante que frères et sœurs aînés ont eu la prudence de fuir. « J’ai toujours soupçonné mère de jouer la comédie, d’être tout le temps malade, pour m’agripper ainsi. Passer d’une maladie à l’autre, une comédie. » Le chemin vers la libération, c’est-à-dire vers la lucidité, a été long. Désormais, le rêve, impossible aussi, est de « retrouver une mère qui ne te tourmente plus, celle qui t’a toujours manqué. Celle qui, tendre et affectueuse, n’existe pas. »


« Les hommes aussi pleurent, parfois »

Dès lors, la vie sera une succession d’amours condamnées, dans un pays où le mot « Amour » est un « mot interdit ». Un pays terrorisé par les « groupes armés d’Antar Zoubir », mais un pays où on a le courage de résister au quotidien, en ne se cachant pas le vendredi, jour de « harcèlement autour de la prière », en sortant non voilée, en ne cédant pas à la panique, en continuant de vivre et de cultiver un jardin ou encore l’humour. Amours condamnées : Lilia, la Beurette qui ne comprend pas que le narrateur veuille malgré tout demeurer dans son pays natal ; Yasmina, épousée sur injonction de la mère, Yasmina la tentatrice, le piège ; Zakia, l’aimée enfin, qui n’empruntera pas le chemin de la lucidité et sacrifiera cet amour pour réparer, sans le réaliser, une blessure d’enfance.
Les enfants : ce sont eux qui vont ramener (ou amener) le narrateur à la vie. Deux enfants non voulus et d’abord rejetés. Kamel, à qui il apprend que « les hommes aussi pleurent, parfois », et surtout Safia, « un don du ciel si je pouvais y croire. Comment un être si petit peut-il vous envahir, vous envelopper, vous enlever ? (…) Elle seule, Safia, ma princesse. Je renais, ma vie prend un sens. » Mais la petite Safia, symbole de la vie, de l’amour inconditionnel enfin ressenti, sera au cœur de la tragédie finale.
Arezki Mellal avance une explication de la violence, plus profonde que les idéologies, l’impasse sociale, ou encore la prétendue religion de ceux qui l’exercent : « Tout le secret est là, dans la couverture de l’autorité. Une autorité avec un grand A, qui te dessaisit de toute responsabilité, de toute morale. Les Etats, les partis, les religions, sont ces autorités. Si ta foi en l’Autorité est suffisante, tu passeras à l’acte. Tu donneras libre cours à tes instincts. » Pourtant, au-delà de cette vision d’une société - d’une humanité - encore infantile, c’est par la mise à nu de la dimension émotionnelle du narrateur et de ses relations avec les autres que ce roman est explosif. « Quand le livre est sorti à Alger, a déclaré Arezki Mellal au Monde, j’ai constaté que les hommes avaient du mal avec les sentiments qu’il contient. » La mère reste un sujet tabou, de même que « l’impudeur » d’avouer sa faiblesse, sa sensibilité - surtout venant d’un homme -, son humanité. Explosif et admirable roman.

Arezki Mellal : Maintenant ils peuvent venir. Ed. Actes Sud, 160 p., 15,90 euros.


Henriette Sarraseca

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