accueilradio  actualités  musique  langue française  presse  pro
radio
Liste des rubriques
MFI HEBDO: Culture Société Liste des articles

16/05/2002
Un roman posthume de Ken Saro-Wiwa

(MFI) Qui n’a entendu parler de Ken Saro-Wiwa ? Ce Nigérian s’est fait connaître au début des années 90 par son activisme en faveur des Ogonis, une communauté de 500 000 âmes du sud du Nigeria. La publication de son roman posthume Lemona vient rappeler qu’il était aussi un brillant chroniqueur et romancier.

Riche en gisements de pétrole, le territoire ogoni a été saccagé par une extraction peu respectueuse de l’écologie, sans aucun profit pour les habitants. Le Mouvement pour la survie du peuple ogoni (MOSOP), présidé par Ken Saro-Wiwa, réclamait un meilleur partage des richesses et le droit pour les Ogonis à un environnement non pollué. Inquiète de son audience internationale grandissante, la junte militaire fit pendre l’écrivain en 1995, faisant de Saro-Wiwa un martyr de la cause ogonie et une figure emblématique du combat pour les droits des minorités.
Auteur d’une vingtaine d’ouvrages - fiction, essais politiques, pièces de théâtre, contes pour enfants - Ken Saro-Wiwa croyait en l’efficacité de la plume. Il avait fait de Voyage au Congo de Gide son livre de chevet et aspirait, à travers ses écrits politiques, à ébranler l’opinion internationale, comme l’avait fait en son temps le petit livre du prix Nobel français dénonçant les atrocités coloniales.
Son premier roman, Basi and Company, est une satire de la mentalité « nouveau riche ». Adapté pour la télé, il est vite devenu la série la plus regardée du Nigeria. Mais c’est son roman phare Sozaboy (Actes Sud) qui lui a permis de s’imposer sur la scène littéraire africaine. Toute l’originalité de ce récit du gâchis de la guerre civile nigériane réside dans son langage « pidginisé », hybride et haut en couleurs, baptisé « anglais pourri » par l’auteur lui-même. « Je ne connais pas d’autre exemple, a écrit l’écrivain William Boyd, où l’on ait détourné la langue anglaise de façon aussi saisissante».
S’exprimant dans un langage plus classique et contenu, Lemona, protagoniste du roman qui porte son nom, transmet au lecteur son émotion en faisant le récit d’une vie placée sous le signe de la malchance et du tragique. Elevée par une mère célibataire qui n’a pas pu l’envoyer à l’école, Lemona a dû très tôt apprendre à subvenir à ses besoins. Sa beauté attire les hommes, mais ne la protège pas des dangers qui guettent une femme seule dans une société machiste. Proie de la concupiscence et de l’égoïsme masculin, elle finira mal. Condamnée à mort. C’est un roman d’éducation, d’un apprentissage au féminin qui, dans le contexte de jungle sociale régie par la loi du mâle/mal où évolue Lemona, ne peut déboucher sur aucune véritable connaissance du monde. Le clou de l’intrigue réside dans les dernières pages. A la demande d’une jeune visiteuse venue de loin et qui lui ressemble, Lemona va revivre les drames de sa vie dans un processus de distanciation libérateur.
Par la gravité de sa réflexion sur la place de l’individu dans une société en devenir, ce roman s’inscrit dans la lignée des grandes oeuvres européennes des siècles passés telles Don Quichotte, Lady Roxana, Gil Blas, Tom Jones, Le Rouge et le Noir, L’Education sentimentale et d’autres encore, qui ont érigé la fiction en épopée de l’être humain.

Ken Saro-Wiwa : Lemona. Traduit de l’anglais par Kangni Alem. Editions Dapper, 220 pages, 12 euros.


Tirthankar Chanda

retour

Qui sommes nous ?

Nos engagements

Les Filiales

RMC Moyen Orient

Radio Paris-Lisbonne

Delta RFI

RFI Sofia