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23/05/2002
Chronique Livres

L'essentiel d'un livre
Le roman de l’aïeule silencieuse

(MFI) Romancier, poète, dramaturge, le Zimbabwéen Chenjerai Hove livre avec son nouveau roman un chant d’amour pour son pays mis à mal par la colonisation et la dictature.


« Elle était là, face au monde, sans mots, cette enfant, cette nouveau-née, aux temps lointains d’une naissance. Une fille sans mots, si différente de celles qui chantaient à leurs amoureux les chansons des chatouillis du cœur... ». C’est par cette évocation de la naissance de l’aïeule sourde-muette du narrateur que commence Ancêtres. Le destin tragique de cette enfant « de mauvais augure », condamnée à une mort précoce, est au cœur de ce livre magique, plein de poésie et de douleur. Méprisée par les siens, montrée du doigt comme « le cœur du mal », mariée de force à un ivrogne, elle se suicide. L’auteur a imaginé que de longues années après sa mort, Miriro renaît à la parole. Instrumentalisant la voix d’un jeune adolescent de sa tribu, elle revient raconter sa propre histoire, mais aussi celle de son peuple dont elle est la mémoire.
L’essentiel de cette histoire se déroule à l’époque coloniale. La conquête du pays par les Européens a éloigné la population de ses terres ancestrales fertiles. Depuis, celle-ci vivote dans des bantoustans étroits où la terre n’est que du sable. Miriro témoigne de la frustration des adultes face aux persécutions que leur font subir les Blancs. Ce récit d’asservissement colonial est aussi celui de Mucha dont la voix sert de support aux lamentations d’outre-tombe de l’aïeule silencieuse. Mucha est le véritable protagoniste de ce roman, car Miriro ne lui emprunte pas seulement sa voix, mais aussi son existence de jeune vacher naïf dans les interstices de laquelle elle inscrit sa propre parole. S’adressant à lui à la deuxième personne, elle lui dit son présent, son passé et son futur. Elle lui fait revivre les tourments et les troubles de son enfance, son admiration pour son père et l’humiliation qu’il éprouvait à le voir se plier aux ordres du maître blanc. « Je veux oublier le temps où je me réveillais pour lécher les bottes sales de l’homme blanc. »
De construction complexe, Ancêtres est un roman atypique. A mi-chemin entre récit, drame et prose poétique, ponctué de chants, de devinettes et de dialogues, il privilégie l’énonciation à la narration. Il est composé de voix qui se suivent et se superposent, faisant entendre une polyphonie chaotique et bouleversante d’espoirs brisés. Il n’y a pas d’intrigue à proprement parler, mais des intrigues qui se croisent et s’entrecroisent, dessinant d’une manière impressionniste la carte des maux d’une société dominée, asservie à la loi du colonisateur et du père.
Après Ossuaire publié en 1997 et Ombres en 1999, Ancêtres est le troisième roman de Chenjerai Hove traduit en français. Hove est aussi poète et a publié deux anthologies dans sa langue maternelle, le shona. Imprégnée d’un lyrisme lancinant et profondément enracinée dans les rythmes de la pensée et de l’oralité shona, son oeuvre trace un sillon original dans le champ de la littérature africaine.

Chenjerai Hove : Ancêtres. Traduit de l’anglais par Jean-Pierre Richard. Collection « Afriques ». Actes Sud, 215 p., 19,50 euros.

Tirthankar Chanda


Alain Mabanckou : un peuple en enfer

(MFI) Les Petits-fils nègres de Vercingétorix est le troisième roman du poète et romancier Alain Mabanckou. On se souvient de son premier roman Bleu-Blanc-Rouge, lauréat du Grand Prix littéraire de l'Afrique noire 1999, qui racontait le monde bigarré des dandys congolais et leurs rêves d'immigration en France. Construit comme une enquête policière, son deuxième roman, Et Dieu seul sait comment je dors (2001) qui explore le passé de malheurs et de traumatismes de son héros antillais, nous entraînait en Guadeloupe. Avec son troisième roman, Mabanckou revient sur ses pas et évoque les déchirures de l'Afrique postcoloniale. L'intrigue de ce livre se déroule dans un pays africain imaginaire, la République du Viétongo qui n'est pas sans rappeler le Congo-Brazzaville dont l'auteur est issu. Le pays est en proie à la guerre civile qui détruit sur son passage les individus, la société, la civilisation. L'histoire de la folie de la guerre ethnique qui a embrouillé et embrasé les esprits dans le Viétongo, est racontée à la première personne par la jeune narratrice qui a fui avec sa petite fille son foyer dans le Sud. « Je m'appelle Hortense Iloki, je suis nordiste (…) J'étais mariée à Kimbembé, un sudiste, natif de la même région que Vercingétorix et Son Excellence Lebou Kabouya, deux personnages que le lecteur connaîtra très vite. Les faits que je raconte ici couvrent sans doute la période la plus sombre de notre pays. » Habituée à tenir son journal où elle racontait autrefois ses crises de puberté, ses flirts, Hortense écrit aujourd'hui dans l'urgence, retraçant dans des cahiers d'écolier pour une postérité toute hypothétique ce qui lui arrive, ainsi qu’à ses proches, mais aussi la lente descente dans les enfers de tout un peuple. Avec ce roman qui a pour thème la guerre et ses traumatismes, Alain Mabanckou renoue avec les grands textes des années 70 et 80 (Mongo Beti, V.Y. Mudimbe, Williams Sassine), qui mettent en scène avec une grande profondeur psychologique et un sens aigu du tragique les déchirures et les violences de l'Afrique des indépendances.

Alain Mabanckou : Les Petits-fils nègres de Vercingétorix. Le Serpent à Plumes, 26 p., 15 euros.

T. C.


Fellag, un humoriste qui ne rit plus

(MFI) « Le premier homme dans l’histoire de l’humanité, qui a frappé une femme avec un gourdin en lui disant de ne plus sortir de la grotte, a inventé la politique ». Dans ce recueil de nouvelles, le deuxième écrit par le célèbre homme de scène algérien, l’humour est là, mais la tragédie domine. La cruauté, la terreur, l’absurde. A travers cinq personnages, Fellag nous plonge dans un Alger de cauchemar. Pour un rire mal placé, Mourad se retrouve entre les griffes de la police politique. Kamel et Nordine, amis d’enfance et désormais dans deux camps opposés, se tirent dessus sans savoir pourquoi. Farid, Samia et Hocine l’ex-trabendiste n’ont d’autre issue que de fuir : le premier dans un univers de rêve où tout est parfait ; la seconde à travers un long soliloque à l’intention d’un amant imaginaire ; le dernier à New York… et dans la folie. La plupart « font partie de ces gens qui tentent de s’évader d’eux-mêmes sans y parvenir, tellement les barreaux de leur souffrance sont épais. » Comme dans Rue des petites daurades, le premier recueil de Fellag, on croise une foule de personnages et de situations poétiques ou terrifiantes qui nous plongent dans un univers souvent réaliste, parfois fantasmé. Dommage que quelques clichés aux accents de roman rose parsèment le discours de Samia. Au total, la vivacité de l’écriture, les élans féministes et humanistes, l’intensité de l’émotion ressentie par le conteur et transmise au lecteur méritent le détour.

Fellag : C’est à Alger. Ed. JC Lattès, 218 p., 15 euros.

Henriette Sarraseca


Les souvenirs d’une grande dame

(MFI) Pour tous ceux qui découvrirent le roman policier au travers d’un des livres d’Agatha Christie, pour les amoureux de son univers délicieusement rétro, la réédition de son autobiographie, introuvable depuis vingt ans, est une merveilleuse nouvelle. Publiés en 1977, ces souvenirs d’une vie bien pensante dérangée par un brin de folie font revivre une époque, celle des voyages en Orient Express vers Istanbul, des maisonnées aux nombreux domestiques, et de l’éternel thé de cinq heures. Un univers disparu, typiquement british, dont la façade sociale si structurée ne faisait que mieux apparaître les noirceurs de l’âme humaine.
Pourtant ce livre, écrit sur une quinzaine d’années, ne se contente pas d’évoquer le passé. Il est aussi et surtout, à travers des anecdotes qui permettent à l’auteur de « plonger au petit bonheur les mains dans le passé », le portrait voilé d’une femme à la perspicacité permanente, dont l’intérêt pour la tragi-comédie jouée par ses contemporains ne se démentira jamais. Si elle parvient à garder le secret sur l’épisode le plus romantique de son existence - sa fugue pendant une semaine alors qu’elle était jeune mariée – ou sur ses recettes d’écrivain, elle s’étend longuement sur ses jeunes années en en recréant l’atmosphère à la Marcel Proust. Plus tard, mariée à un archéologue, elle promène son regard plein d’humour au Moyen Orient. Parcouru d’anecdotes, ce récit de la vie d’une femme qui n’hésite pas à se moquer d’elle-même réussit pourtant à conserver un ultime mystère, celui de sa véritable personnalité…

Une autobiographie, par Agatha Christie. Editions du Masque-Hachette Livre, 670 p., 20 euros.


Moïra Sauvage


Islam : Controverse entre une féministe et un imam

(MFI) S’il fallait ne lire attentivement qu’un livre sur l’islam parmi les nombreuses publications récentes, ce pourrait être celui-ci : Loi d’Allah, loi des hommes. Leïla Babès, professeur de sociologie des religions, et Tareq Oubrou, recteur de la mosquée de Bordeaux, illustrent deux visions de l’islam : celle d’une intellectuelle attachée à l’étude scientifique des textes et à une conception moderne de la vie en société, et celle d’un chef spirituel libéral, ouvert aux adaptations nécessaires, mais dans le cadre de la loi islamique classique. Un livre érudit (versets et hadiths son disséqués avec une égale compétence) mais surtout concret, qui examine les différentes questions, parfois brûlantes, qui se posent aux musulmans (et à ceux qui veulent mieux connaître leur univers) au jour le jour : que penser des châtiments corporels prévus par la charia, de la condamnation à mort pour apostasie ou de celle de la femme adultère, du statut de la femme, de ses droits dans le mariage, l’héritage ou en cas de divorce ? Si Leïla Babès se révèle, on s’en doute, une farouche opposante à la peine de mort pour blasphème ou apostasie, Tarek Oubrou finit par admettre que « la question (…) n’est pas juridiquement et indéniablement fondée ni appropriée ». Et, si une musulmane épouse un chrétien ou un juif, il estime que « la Communauté, qui n’est pas une Eglise, n’a aucun droit d’exclure ses filles musulmanes parce qu’elles ont fait ce choix, quelquefois inévitable ». Mohamed Talbi, musulman libéral et grand érudit, souligne dans J.A./L’Intelligent que cette controverse, hautement instructive et salutaire, n’aurait pas pu avoir lieu en terre d’islam : « Ces répliques montrent que, dans un climat de liberté et de dialogue, que seul l’Occident offre - partout ailleurs dans le monde musulman livré à la dictature, on guillotine la pensée libre ou on la force à émigrer -, il est possible et fructueux de jeter des ponts » entre modernistes et traditionalistes. Et d’ajouter : « En tuant la pensée libre, les dictateurs sont responsables des obscurantismes et des terrorismes ». Sur place, pourtant, quelques hommes et femmes au rare courage résistent, qu’ils soient intellectuels (en Egypte notamment) ou simples croyants. A sa manière, la Nigériane Safiya Husseini vient de réaffirmer les droits… de la vie.

Leïla Babès, Tarek Oubrou : Loi d’Allah, loi des hommes. Albin Michel, 364 p., 19,90 euros.

H. S.


Coopération : assistance ou influence ?

(MFI) Pour modeste qu’il soit, le dernier ouvrage de l’économiste Jean-Jacques Gabas sur la coopération internationale est un modèle de pédagogie. Edité dans une collection des Presses de Sciences Po qui porte justement le titre de « Bibliothèque du citoyen », il explique en peu de pages et avec une remarquable clarté en quoi consiste aujourd’hui la coopération au développement, et quelles sont ses insuffisances, ses contradictions et ses ambiguïtés. L’auteur n’est pas tendre avec les politiques de coopération en général, et avec celle de la France en particulier. Mais, fortement argumentée, chacune de ses critiques sonne juste et démontre, pour qui n’en était pas encore persuadé, que la coopération des pays riches consiste essentiellement en une assistance aux pays situés dans leur zone d’influence. Cette aide, en quoi se résume le terme pourtant beaucoup plus ambitieux de coopération, est en outre destinée à rapporter une série de dividendes économiques, politiques et stratégiques aux donateurs.
J.J. Gabas rappelle donc qu’on est bien loin de la philanthropie affichée par les riches Etats du Nord qui déclarent vouloir panser les plaies d’une planète où les inégalités n’en finissent pas de se creuser. Son constat, sévère, n’a toutefois rien d’un pamphlet et garde le ton mesuré de l’enseignant. Mises à part quelques rares notations trop hâtives, en particulier sur le fameux sommet de La Baule et sur le Nepad – le nouveau partenariat africain -, son livre constituera un précieux viatique pour le non spécialiste qui essaye de s’y retrouver dans la jungle des rapports Nord-Sud.

Jean-Jacques Gabas, Nord-Sud : l’impossible coopération ?, Presses de Sciences Po, 120 p., 12 euros.

Sophie Bessis


Essais...
Du bon usage de la pensée


(MFI) « Illusion et sottise », « idées fausses et lieux communs », «manichéisme simpliste » : en désignant les véritables ennemis, trois philosophes nous invitent à mieux réfléchir en ces temps troublés où émotions et préjugés rendent l’homme esclave, mais d’abord de lui-même. Car quel politicien, quel média, quelle propagande pourrait tromper ceux qui ont appris à cultiver le bon sens, le recul, la critique, la réflexion juste, le discernement, l’ironie - bref, le bon usage de la pensée ?
Constatant que « la sottise, l’ignorance, mais aussi l’hypocrisie et la malhonnêteté n’ont que peu reculé » depuis l’époque de Voltaire, Albert Memmi nous propose un Dictionnaire critique à la manière du célèbre Dictionnaire philosophique de l’écrivain des Lumières. Un livre à feuilleter, à consulter au gré des humeurs, qui traite en une soixantaine d’entrées de personnages et de sujets clés de notre époque : Freud, Marx, Spinoza ou Voltaire ; absolu, blasphèmes, désir, psychanalystes, islam, racisme, sectes, sexe ou transcendance. Il le fait avec la rigueur dans la raisonnement et l’humour qu’on lui connaît, s’en prenant comme Voltaire aux « respects de tous genres qui étouffent la pensée ». Albert Memmi plaide quant à lui pour le respect « de ce qui est respectable, pas davantage ». « Nous ne respectons pas un vieillard seulement parce qu’il est vieux, mais s’il le mérite. Doit-on respecter les vieillards méchants ou sales, vicieux ou même meurtriers parce que leurs barbes sont blanches et leurs mains tremblantes ? (…) Devons-nous respecter une croyance, un symbole, seulement parce qu’ils sont coutumiers ? Les exalter, y conformer nos conduites, même si nous découvrons qu’ils sont périmés ou même nocifs ? » Et de dénoncer les religions, sectes, croyances ou sornettes qui se présentent comme des Vérités, les mutilations, peurs ou violences qui font injure à la vie. « De quelles horreurs l’homme est-il capable dès qu’il cesse de considérer l’homme comme le centre et la mesure de tout ! » Voilà le credo de cet incroyant que la raison a mené à un lucide scepticisme mais aussi à cultiver tous les bonheurs possibles, comme on cultive son jardin.
Docteur en sciences des religions, Odon Vallet chasse lui aussi les idées fausses, porteuses d’ignorance, de haines ou de malentendus. A propos, par exemple, de la supposée violence des musulmans et du pacifisme des bouddhistes, il rappelle certaines batailles rangées épiques entre ces derniers. Quant à la « laïcité à la française », il souligne qu’au total, les contribuables français (y compris, donc, les nombreux athées, agnostiques et membres d’autres religions) auront versé 50 milliards de francs l’année dernière pour la rémunération du personnel et l’entretien des bâtiments d’organismes religieux catholiques, soit 15 % du montant de l’impôt sur le revenu. Que faire ? Au moins « constater que la France n’est plus tout à fait laïque ».
Le livre d’Olivier Abel est un recueil de textes parus dans La Croix, Le Monde, Libération, Réforme ou Esprit. Professeur de « philosophie éthique » à l’Institut protestant de théologie de Paris, l’auteur s’interroge sur notre vie sous tous ses aspects : sur la politique, l’économie, la culture, la guerre, l’individu et ses difficultés, l’absence du père et même, dans un dernier chapitre intitulé « la fragilité des choses » sur une société de déchets « où nos poubelles sont désormais plus durables que tous nos monuments » et où de nombreuses familles modestes sacrifient à une drogue nommée abusivement communication, par le biais des nombreux appareillages nécessaires, près de la moitié de leurs revenus.
Trois livres vivants, enlevés, dont le but est bien sûr d’inciter le lecteur à penser par soi-même.

Albert Memmi : Dictionnaire critique à l’usage des incrédules. Ed. du Félin, 376 p., 21,50 euros.
Odon Vallet : Petit lexique des idées fausses sur les religions. Albin Michel, 278 p., 13,90 euros.
Olivier Abel : De l’amour des ennemis et autres méditations sur la guerre et la politique. Albin Michel, 346 p., 16,90 euros.

H. S.




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