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30/05/2002
Femmes de l’ombre : Nana Triban, la main du destin de Soundiata

(MFI) Le Mali est un haut-lieu de l’Histoire. Ses griots ont chanté ses épopées et nous ont transmis les événements qui ont concouru à la gloire de ce qui fut un grand empire. Nous connaissons ainsi les noms de rois du Manding et, parmi eux, celui de Naré Maghan qui fut le père de Dankaran Touman et de Nana Triban, nés de sa première femme, de Soundiata Keïta né de la deuxième, et de Manding Bakary né de la troisième épouse. De tous les enfants royaux, le personnage de Nana Triban, sœur du héros, dont le rôle fut pourtant crucial, a été moins souvent étudié.

Tout commence à Niani, la capitale du royaume. Sassouma Bérété, première épouse du roi a mis au monde un fils, Dankaran Touman, et une fille Nana Triban. Un soir, alors que Dankaran est venu s’asseoir aux côtés de son père sous un fromager qui étend son ombre apaisante, un maître-chasseur étranger s’avance, s’incline devant le roi et dépose devant lui un gigot de la biche qu’il vient de tuer. L’entourage apprécie le geste et rappelle au roi que les chasseurs de cette région pratiquent l’art divinatoire et que l’étranger pourrait bien utiliser son savoir pour prédire l’avenir du royaume. Les cauris parlent, ils annoncent au roi par la bouche du chasseur que l’héritier du trône n’est pas né, qu’il lui faut pour cela épouser une femme-buffle, une femme laide et bossue. « C’est elle, dit-il, qui mettra au monde le futur conquérant, l’héritier qui fera la grandeur du royaume ». Le roi n’oubliera pas cette prédiction, il épousera Sogolon Kedjou et lui donnera l’enfant que le Manding attend.

Petit estropié, futur conquérant

Mystère du destin ! Le petit Soundiata se traîne à terre, ses jambes ne le portent pas. Comment pourrait-il devenir le conquérant annoncé ? A la mort de Naré Maghan, désignés par le Conseil des Sages, le jeune Dankara Touman prend la tête du Manding et Sassouma Bérété devient régente.

Sogolon humiliée, Sogolon objet de moqueries, Sogolon qui pleure... Comment un fils peut-il supporter cette vision ? Un beau jour, l’enfant infirme, pour l’amour de sa mère, s’empare d’une barre de fer, se redresse sur ses jambes et commence à faire trembler son entourage. Sogolon a senti le danger. Il faut fuir Niani où la vie de son fils est désormais menacée. Profitant de l’obscurité de la nuit, elle part, emmenant avec elle Soundiata et son demi-frère Manding Bakary qui restera toujours son plus fidèle ami. Le roi du Mema, un ancien allié de Naré Maghan accueillera les exilés qui passeront plusieurs années dans cette cour amie.

Nana Triban, bien que fille soumise à sa mère, ne l’a pas suivi dans sa haine. Elle a de l’affection pour ce petit frère estropié. Elle a eu pitié de lui lorsqu’il se traînait à terre, elle l’a admiré lorsqu’il s’est relevé, elle ignore encore ce que sera son destin.


Mariée au violent roi du Sosso

Ces événements coïncident avec une période de grands dangers pour la région . Alors que le Manding, dirigé par un enfant et une femme montre sa fragilité, l’ambitieux roi du Sosso cherche à agrandir son territoire aux dépens des chefferies d’alentours. Soumaoro Kanté possède des armes redoutables. Son propre neveu Fakoli connait la métallurgie du fer et les secrets de la forge. Son armée est prête à la guerre. On chuchote en outre que le roi forgeron possède des pouvoirs qui le rendent invulnérable. Sassouma la régente préfère éviter l’affrontement. Elle envoie en ambassade Balla Fasséké le griot de Soundjata, privant ainsi l’enfant du soutien que lui a donné son père avant de mourir.

L’arrivée de Nana Triban à la cour du Sosso quelques mois plus tard participe du même désir de conciliation. Sassouma Bérété, voyant que l’ambassade après du roi Soumaoro ne réussit pas à le détourner du Manding, estime qu’une alliance par le sang s’avérera plus efficace. Nana Triban, jeune fille, à peine sortie de l’enfance, à l’allure de liane, à la taille élancée et aux rondeurs exquises, ne peut que séduire l’homme violent qui terrorise la région. La fille de Naré Maghan doit s’incliner. Elle part, pleurant beaucoup, assombrie par de tristes pensées que, depuis cette époque, Balla Fasséké en l’entretenant dans le souvenir de leur pays d’origine, s’efforce de lui faire oublier.
Mais un matin de l’année 1235, Balla Fasséké, non loin d’elle, se met à chanter : « La graine du baobab n’est pas grande, mais elle donne naissance à un arbre puissant et ses racines s’enfoncent loin dans la terre ». La mélodie évolue et les paroles changent de thème : « Le lion a vu le danger et il s’apprête à dévorer ceux qui attaquent ses petits ». Nana Triban a compris : Balla Fasséké a des informations pour elle. Les deux exilés ne peuvent se parler qu’en privé. Elle se rend donc à pas lents dans le bois voisin pour entendre le message du griot dont les paroles sont codées. Le baobab symbolise le Manding, où tous deux ont leurs racines et où tous deux ont laissé leur cœur. Le Lion incarne Soundjata, le frère disparu depuis si longtemps et dont elle est sans nouvelles. Loin des oreilles indiscrètes Balla Fasséké confirme qu’il a des nouvelles de Niani : les troupes de Soumaoro ont envahi la capitale, ils ont massacré la plupart des habitants et détruit leurs maisons. Mais tout espoir n’est pas perdu : Soundiata a l’âge de combattre le roi du Sosso. Il est prêt à la guerre.
Nana Triban est bouleversée. Son pays est en ruine et son frère s’apprète à combattre. Ni elle, ni Balla Fasséké ne peuvent rester auprès d’un ennemi assassin de leurs familles. Il faut fuir.
Et Nana se souvient de son arrivée à la cour du Sosso, livrée innocente aux assauts d’un fauve. Oui, elle a refusé ses faveurs à celui qui la désirait. Oui, elle n’a accepté de partager sa couche qu’en échange de son secret. Et Soumaoro lui a livré la clé de son invulnérabilité. Sans doute l’a-t-il oublié, lui, cet arrogant qui se croit tout permis et qui n’a pas respecté la femme de son neveu Fakoli et l’a prise comme nouvelle épouse.


Le secret du roi magicien…

Balla Fasséké a compris l’importance de cette confidence. Sans attendre, il décide qu’il leur faut rejoindre Soundjata. Tous deux prennent le chemin du départ et se dirigent vers le pays de Néma qu’ils atteignent alors que les troupes ont déjà livré sans succès leurs premiers combats. Le roi du Sosso, atteint par un coup de lance n’a pas été transpercé. Il a disparu pour réapparaître comme un fantôme sur une colline avoisinante. Ses pouvoirs magiques l’ont protégé. Le désarroi est grand dans le camp de Soundiata lorsque les deux fugitifs arrivent auprès des combattants. Mais Nana Triban apporte un cadeau précieux à son frère, un secret bien gardé que, seule, un femme désirée peut arracher à son amant : « Une flèche de bois, armée d’un ergot de coq blanc, peut rendre mortel le roi des forgerons ».
Le jour suivant doit se dérouler dans la plaine de Kirina une bataille décisive où les adversaires vont s’affronter. D’un côté le roi magicien et ses troupes sûrs de leur victoire, de l’autre le Lion du Manding et ses alliés. Dans la mélée, Soundiata a repéré la haute stature de Soumaoro, il tend son arc, la flèche part et l’ergot de coq atteint son but. Le roi du Sosso se met à trembler. Il tourne le dos à la bataille et disparaît alors que, dans le ciel, un grand oiseau noir passe au-dessus des combattants. La déroute s’installe dans le camp du Sosso. La bataille est finie. Le griot peut prendre son balafon et chanter les louanges des vainqueurs. Il rappelle que le destin s’accomplit selon des voies obscures, et que Soundiata vient de placer son arc sur une trajectoire qui ouvre un avenir de gloire au futur empereur du Mali.
Il n’est pas d’usage de glorifier les femmes, qui se doivent de rester dans l’ombre des grands destins, mais sans Nana Triban, le fils de Sogolon aurait-il connu les secrets des fétiches qui lui ont permis de vaincre ses adversaires et de devenir le créateur de l’empire du Mali ?


Pour en savoir davantage : Lire de Djibril Tamsir Niane Soundiata ou l’épopée mandingue, publié en 1960 par Présence Africaine.


Jacqueline Sorel
(avec la collaboration de Simonne Pierron)


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