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06/06/2002
Femmes de l’ombre : Inaré Konté, la femme aimée de Kankou Moussa

(MFI) Au XIIIe siècle, l’empire du Mali créé par Soundiata Keïta a étendu son pouvoir sur l’Afrique de l’Ouest. Un siècle plus tard, sa puissance basée sur une organisation cohérente et la richesse de ses mines d’or, s’est encore accrue. Le pèlerinage à La Mecque de son empereur Kankou Moussa a été relaté par le chroniqueur Mahmoud Kati qui nous a transmis l’anecdote dont nous nous sommes inspirés pour retrouver le personnage d’Inaré Konté.

Le voyageur qui arrive en ce jour de septembre 1324 dans la ville de Niani est surpris. Il s’attendait à trouver un village tranquille, il trouve une ville en effervescence.
Un siècle s’est écoulé depuis que Soundiata a conquis un empire et fondé le grand Mali. Quatre empereurs se sont succédé et, aujourd’hui, Kankou Moussa règne sur un vaste territoire auquel il insuffle un esprit de nouveauté. Le souverain s’entoure de lettrés et de commerçants nomades qui voyagent entre le Maghreb, le Soudan et le Moyen-Orient, et lui font découvrir d’autres horizons. L’islam a pénétré cet Occident africain, les religions et les langues de divers pays se côtoient et les étrangers sont ici bien accueillis. Ainsi notre voyageur peut-il trouver gîte et couvert pour lui et son cheval.
Visiblement, Niani offre l’image d’une prospérité et d’une organisation qui ne doivent rien au hasard. Les maisons, les mosquées sont en terre du pays, mais construites avec soin, alignées selon un ordonnancement visiblement étudié. Le palais impérial est entouré de murs et Kankou Moussa reçoit notre voyageur assis sur un trône d’ébène entouré de défenses d’éléphants.
Venu du nord, cet étranger – appelons-le Mamoud – offre en cadeau un manuscrit écrit en arabe dont son hôte, un fin lettré, peut apprécier la valeur. Le document fera partie de cette bibliothèque constituée patiemment pour l’intérêt des savants et la connaissance d’un monde dont on ignore encore à l’époque les horizons.


Dix mille hommes accompagnent le couple royal

Mamoud est questionné : d’où vient-il , connaît-il bien les routes et les étoiles, a-t-il déjà traversé le désert d’ouest en est ? L’empereur doit se rendre en pèlerinage à La Mecque et il désire connaître à l’avance les obstacles qu’il va trouver sur son chemin. Le voyageur peut-il l’accompagner ? La réponse est positive. Mamoud se joindra aux pèlerins.
Et c’est ainsi que, le 8 octobre 1324, une immense caravane se déploie en direction du soleil levant. Dix mille hommes et de nombreux dromadaires accompagnent le couple royal. Ils sont chargés de la sécurité du voyage et du transport des charges : les vivres qui doivent permettre de passer les contrées désertiques, l’eau précieuse qui ne se rencontrera que dans les oasis ou les puits, sans oublier les cadeaux que l’empereur va distribuer à ses futurs hôtes tels le sel, le cuivre, les étoffes et les cuirs, et surtout la poudre d’or, extraite des mines du Bambouk et du Bouré situées dans le royaume.
En tête, derrière cinq cents esclaves qui précèdent le convoi, le souverain et son épouse Inaré Konté font route vers l’est, s’arrêtant près des puits ou des oasis lorsque tombe le jour. Que sait-on d’Inaré Konté, favorite choisie par l’empereur pour l’accompagner dans ce long et fatigant périple ? Peu de choses assurément mais on peut l’estimer belle, puisque bien-aimée par son époux, adolescente, probablement à peine sortie de l’enfance, issue d’une vieille famille mandingue, celle des Konté, qui fait partie de la cour des Mansa. La jeune femme est enveloppée de cotonnades légères, et dans ses bagages se trouvent des parures de soies et de brocarts, des bijoux d’or et des colliers de pierreries qui mettront en valeur sa beauté lorsque le couple souverain sera reçu dans les palais étrangers. Visiblement, le prince est amoureux et chacun va bientôt s’en rendre compte.


Le souverain convoque le chef des esclaves

L’anecdote en a été contée par le chroniqueur soudanais, Mahmoud Kâti. Elle se situe en plein désert, entre le Touât et Teghâza. La caravane y fait halte pour la nuit et Inaré s’installe dans la tente de son époux. Celui-ci s’endort tandis qu’elle ne parvient pas à trouver le sommeil. Son agitation réveille Kankou Moussa qui la questionne pour en connaître la cause.
« Mon corps est souillé de crasse, finit-elle par avouer, et j’aurais souhaité pouvoir me baigner dans les eaux du Niger pour me reposer des fatigues du voyage. Mais nous sommes loin du fleuve et tu n’as pas le pouvoir de me satisfaire. » Ces paroles retentissent désagréablement aux oreilles du souverain tout-puissant qui s’éloigne alors de la tente et fait appeler Farba, le chef de ses esclaves.
D’après Mahmoud Kati, la coutume veut que pour saluer le souverain, on doive enlever sa tunique, s’en draper, s’incliner profondément, se frapper la poitrine et enfin se traîner à genoux. Ce qui fut fait aussitôt par Farba.
« Mon pouvoir a trouvé ses limites, cette nuit, explique le prince, mais je tiens à satisfaire mon épouse et je te demande de m’y aider. » Les deux hommes s’entretiennent quelque temps, puis Farba se rend en pleine nuit au campement des esclaves qu’il réveille et mobilise sans plus attendre. Plusieurs milliers d’entre eux prennent alors une houe et se mettent à creuser le sol, « sur une longueur de mille pas » dit-on. Le fossé est garni de sable et de pierres puis enduit de karité fondu. L’eau des outres est utilisée pour le remplir et, au matin, Farba peut contempler l’œuvre accomplie en une nuit.
L’aube se lève. Sous la tente princière, Kankou Moussa contemple avec tendresse sa femme Inaré qui commence tout juste, après un sommeil difficile, à ouvrir les yeux. Il la presse sur son cœur et la conduit hors de la tente où une mule va la conduire jusqu’au bassin creusé dans la nuit. « Regarde, dit-il, cette eau dans laquelle tu vas pouvoir baigner ton corps et effacer ta fatigue. Vois ce que peut faire un empereur pour rendre le sommeil à une femme aimée ». Inaré tremble. La sorcellerie lui fait peur, elle craint qu’un pouvoir maléfique ne se cache dans ces eaux nées de la nuit. Kankou Moussa sourit. Il appelle son maître d’œuvre : « Farba, dis-lui combien d’hommes ont peiné pour creuser ce bassin ; fais-lui connaître le nombre d’outres d’eau fraîche déversées pour satisfaire son désir. Inaré, tu ne m’as jamais rien demandé depuis que je t’ai épousée. Comment n’aurais-je pas souhaité combler ton premier souhait ? ».


L’écho du pèlerinage parvint jusqu’en Europe

Le chroniqueur soudanais qui rapporte ces événements ne dit pas si des hommes périrent pour satisfaire le caprice d’une femme aimée, ni combien d’outres d’eau manquèrent par la suite au cours du voyage. On sait seulement que le pèlerinage de Kankou Moussa fut un succès, qu’il permit de développer les échanges entre l’Egypte et le Soudan occidental, et fit connaître le Mali et ses fastes au delà des frontières de l’empire. L’écho en parvint même en Europe puisqu’un atlas catalan, daté de 1375, qui se trouve aujourd’hui à la Bibliothèque Nationale de Paris, présente un dessin des caravanes royales et de leur souverain.
Après avoir visité l’Egypte, les pèlerins se rendirent à La Mecque pour y accomplir les rites de l’islam. Kankou Moussa y fut reçu par les autorités politiques et religieuses, il rencontra savants et lettrés et en revint accompagné d’un architecte nommé Es Sahéli qui construisit par la suite une mosquée à Gao et une salle d’audience à Tombouctou, ville où il se maria et finit sa vie.
L’histoire ne nous dit pas si Inaré Konté resta toujours l’épouse comblée de Kankou Moussa, ni si elle lui fit de nombreux enfants. La mémoire des hommes n’a conservé d’elle que ce bain pris en plein désert, qui suscita l’admiration – et pourquoi pas la jalousie – de l’entourage de l’empereur du Mali. Peu d’hommes peuvent se vanter d’avoir réalisé un pareil exploit pour l’amour d’une femme.

Pour en savoir davantage : Kaké,Ibrahima Baba et Serval, Claire, Le fabuleux pèlerinage de Kankou Moussa, empereur du Mali - ABC/NEA/CLE, 1975.


Jacqueline Sorel
(avec la collaboration de Simonne Pierron)


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