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20/06/2002
Chronique Livres

L'essentiel d'un livre
Secrets de famille de l’apartheid


(MFI) Triomf est le premier roman de la Sud-Africaine Marlene Van Niekerk. Un coup de maître ! Prix Noma 1995, il raconte l’apartheid vu du côté des petits Blancs.

Un premier roman grandiose, époustouflant, parodique à souhait. Le ton est donné dès le titre : Triomf, d’après le nom d’une ville nouvelle érigée dans les années 60 sur les ruines d’un ghetto noir. C’est dans cette misérable banlieue blanche que se déroule l’action. Au coeur du récit, la famille Benade, emblématique d’une Afrique du Sud profonde nourrie du mythe du Grand Trek et de la haine du « kafir ». Paumés par les changements intervenus depuis la fin officielle de l’apartheid, les Benade ne cessent de maugréer contre les politicards afrikaaners qu’ils accusent de les avoir laissés tomber. Apartheid ou non, la vie n’a jamais été facile pour ces petits Blancs. Aujourd’hui quasi-octogénaires, Pop, Mol et Treppie n’ont pas oublié comment dans les années trente, poussés par la faim et la dépression économique, ils ont dû quitter leur ferme ancestrale dans le hinterland. Leurs conditions de vie ne se sont guère améliorées en ville où leurs parents trimaient dur pour joindre les deux bouts. C’est à cette époque que les jeunes Benade, abandonnés, désorientés, ont pris l’habitude d’assouvir leurs pulsions sexuelles en famille. La petite Mol s’est bientôt retrouvée enceinte de son frère aîné Pop (ou peut-être du cadet Treppie ?) et a donné naissance à son fils Lambert.
Personnage central du récit, Lambert symbolise la dégénérescence d’une population enfermée dans ses mythes et ses fantasmes. Atteint d’épilepsie et de crétinisme, il a été renvoyé de l’école à l’âge de seize ans et, depuis, il passe l’essentiel de son temps à la maison à bricoler et à stocker des barils d’essence afin de pouvoir faire face au chaos qui, selon lui, va inévitablement suivre l’arrivée au pouvoir de la majorité noire. Coléreux et doué d’une grande force physique, il tyrannise sa famille, en particulier sa mère qui est son souffre-douleur. Il la force aussi parfois à céder à ses avances sexuelles. De peur que la crise de colère de son fils ne se transforme en une attaque épileptique, Mol se laisse faire. A l’occasion du quarantième anniversaire de Lambert, Pop et Treppie font venir une prostituée espérant ainsi le détourner de sa mère. Or la rencontre entre le monstre afrikaaner et la prostituée métisse tourne au vinaigre. La frustration de Lambert dégénère en démence meurtrière lorsqu’il découvre le secret de sa genèse en mettant la main accidentellement sur les photos d’enfance de ses parents. Le triomphe bâti sur la violence, la consanguinité et le rejet d’autrui, tout cela pouvait-il finir autrement ?
Comédie de mœurs en surface, ce roman est aussi, on l’aura compris, une allégorie très élaborée des effets destructeurs de l’évolution en vase clos des communautés. A travers les tribulations de la famille Benade, se lit en filigrane une féroce dénonciation de l’apartheid qui n’a pas fait de victimes que parmi les Noirs. Il a aussi enfermé les Afrikaaners dans un narcissisme autodestructeur. Le destin tragique des Benade en est la preuve. Victimes des errements des idéologues sans âme, ils s’enlisent dans l’alcool et la marginalité. Condamnés à vivre dans un huis clos violent et incestueux, ils sont les symboles ultimes d’un régime sans avenir. Magnifiquement servi par une écriture parodique, excessive, ce portrait de famille des paumés de l’apartheid se situe indubitablement du côté de la très grande littérature!

Marlene Van Niekerk : Triomf. Traduit de l’afrikaans par Daniel Moerdjik et Bernadette Lacroix. Edition de l’Aube, 596 pages, 28 euros.

Tirthankar Chanda


L’émigration n’est pas toujours une tragédie

(MFI) Dans Londres, mon amour, roman au titre explicite, la Libanaise Hanan El-Cheikh nous fait partager la vie de quelques exilés arabes de la capitale britannique. Et ce n’est pas triste. Certes, il y a dans le milieu décrit plus de princes et de gens aisés que de travailleurs pauvres, mais tout n’est pas rose non plus pour Samir, un travesti libanais, ni surtout pour Amira et Nahed, prostituées marocaines de haut vol qui font la navette entre Londres et les Emirats. En rupture avec leur famille depuis l’adolescence, elles commencent, à trente-six ans, à s’interroger sur le sens de leurs vies : « Quel dommage d’avoir avorté dans le temps ! Nous étions folles, je te jure ! (…) Dix-huit ans déjà et je n’ai toujours pas réussi à acheter une maison au bord de la mer au Maroc, ni un appartement dans un immeuble neuf, ni même une petite échoppe pour vendre des sandwichs »… Le personnage central, plus dramatique, est celui de Lamis, jeune et belle Irakienne qui vient de divorcer d’un compatriote jadis imposé par ses parents. Malgré la colère de sa mère, elle est partie sans rien réclamer, ni biens ni pension ; elle sera récompensée par l’amour d’un bel Anglais, Nicholas, névrosé mais sincère et réellement amoureux. Il lui fera découvrir le plaisir charnel et les incertitudes des sentiments, tandis qu’elle apprend les affres et les joies de la liberté. Un texte drôle, sensuel et tendre, par une Libanaise émigrée qui a déjà publié cinq romans et deux recueils de nouvelles.

Hanan El-Cheikh : Londres mon amour. Ed. Actes Sud, 326 p, 21,90 euros.

Henriette Sarraseca


Réfugiés : un monde à part

(MFI) Des rives de la Méditerranée aux confins de l’Afghanistan, du Sud-Soudan à la Tchétchénie et jusqu’à Sangatte et Douvres, ils sont environ cinquante millions dans le monde. Ils pourraient peupler un pays, mais de pays, ils sont privés. Au hasard des conflits entre Etats, entre ethnies ou des guerres civiles, les réfugiés ont perdu jusqu’à ce qui fait l’essence de l’humanité : une terre où vivre.
Ils ont connu la destruction et les ruptures, l’attente interminable dans des camps, vient ensuite le temps de l’action, celui de la recherche d’un droit à la vie et à la parole mais il faudra du temps pour qu’émerge le droit des réfugiés à redevenir des hommes. Michel Agier, anthropologue, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement décrit dans Aux bords du monde, les réfugiés l’inexorable processus de mise au ban d’une partie de l’humanité. Son ouvrage est le fruit de longues années d’enquête sur le terrain, en Colombie, mais aussi dans la Corne de l’Afrique ou en Tchétchénie. Il y décrit longuement les camps de réfugiés somaliens ou kenyans dont le quotidien n’est pas sans rappeler, en pire, le système mis en place par les idéologues de l’apartheid. Au développement séparé instauré par les sud-africains blancs a succédé le « non développement durable et séparé », écrit l’auteur, un état de fait accepté par l’ensemble de la communauté internationale. En effet, pour s’en sortir, les réfugiés ou déplacés ne disposent guère que de l’aide apportée par les ONG et les Eglises. Victimes assistées ou clandestines, ces populations sont souvent privées du droit à la parole et ne retiennent pas l’attention des Etats. Leur salut passe sans doute par la mise en œuvre d’une véritable action politique et par une attention renouvelée de la part de ceux qui n’ont pas su ou pu les protéger.

Michel Agier : aux bords du monde, les réfugiés. Flammarion, 186 p, 15 euros.

Geneviève Fidani


Mondialisation : le pire n’est pas certain

(MFI) Vieux routier de la solidarité internationale et du monde associatif, l’agronome Henri Rouillé d’Orfeuil nous donne, avec son dernier livre, un ouvrage plus qu’utile. Après une introduction et une première partie à la fois subtiles et claires sur les transformations du monde actuel liées au processus de mondialisation, il démontre tout au long des pages qui suivent que le pire en la matière n’est pas certain.
Faisant l’inventaire de ce qui existe aujourd’hui en France en matière d’approche citoyenne de l’économie, il montre qu’une économie mondiale fondée sur la solidarité, sur un autre développement prenant prioritairement en compte les besoins sociaux et les contraintes environnementales, est en train de se construire sous nos yeux. Certes, les entreprises dont il dresse la liste sont bien modestes face au gigantisme de l’économie classique, mais elles montrent qu’un infléchissement des logiques dominantes n’est plus tout à fait de l’ordre du rêve. Partout, sur la planète, le commerce équitable, l’investissement éthique, les finances solidaires marquent des points. Des réseaux transnationaux d’acteurs voient le jour et tentent d’influer la marche du monde en imposant de nouvelles régulations qui ne seraient pas au seul service du profit.
On pourra penser que cet ouvrage pêche un peu trop par optimisme. Peut-être. Mais il a au moins le mérite de montrer qu’il existe des défricheurs dont les utopies réalistes font lentement – sûrement ? – leur chemin.

Henri Rouillé d’Orfeuil : Economie, le réveil des citoyens, les alternatives à la mondialisation libérale. La Découverte/Alternatives Economiques, 195 p, 15 euros.

Sophie Bessis


Santé : les profits ou la vie ?

(MFI) On sait depuis longtemps que des millions d’habitants du Tiers Monde, et notamment d’Afrique, meurent chaque année par manque de médicaments ou de traitements qui pourraient les sauver. En l’an 2000, par exemple, plus de 10 millions de personnes ont été victimes de maladies infectieuses ou parasitaires dans le monde : trois millions sont morts du sida, plus d’un million du paludisme, plus de deux millions de tuberculose… On sait que les grands laboratoires pharmaceutiques n’investissent que dans des maladies « rentables », c’est-à-dire affectant des ressortissants du Nord, comme le cancer ou l’hypertension - l’AZT, par exemple, a été mis au point alors qu’on cherchait une molécule anticancéreuse. On connaît ce scandale et aussi la responsabilité de gouvernements qui investissent plus en armes (sans parler des comptes bancaires privés) que dans la santé, l’alimentation et les infrastructures indispensables à une véritable prévention. Ce n’est pourtant que depuis « l’affaire » des grands labos contre l’Afrique du Sud qu’on paraît réaliser que les premiers sont… ce qu’ils sont : des entreprises commerciales. Alors que, premièrement, « une partie non négligeable des molécules commercialisées est issue des travaux de recherche menés par des institutions publiques sur des fonds gouvernementaux », et, deuxièmement, que les énormes profits de ces labos sont utilisés d’abord pour la promotion de leurs produits, et non pour la recherche!
Dans Morts sans ordonnance, Paul Benkimoun, docteur en médecine et journaliste au Monde, retrace la formidable bataille mondiale qui se livre en ce moment pour le droit aux médicaments et l’accès aux génériques, qu’ils soient fabriqués sur place comme au Brésil et en Thaïlande, ou ailleurs. Face au lobby de l’industrie pharmaceutique, et aux pesanteurs bureaucratiques de l’OMS, il explique le combat lancé par plusieurs ONG dont Médecins sans frontières afin que le médicament ne soit pas considéré comme un quelconque produit commercial dans les négociations de l’OMC, mais comme « un des droits fondamentaux de l’homme ». Un combat qui commence à porter ses fruits. En attendant le bon vouloir des décideurs, des êtres humains continueront de mourir par millions.

Paul Benkimoun : Morts sans ordonnance. Hachette Littératures (Coll. Le monde n’est pas à vendre). 230 p, 15 euros.

H. S.


Gaston-Paul Effa, à cheval entre deux continents

(MFI) Hors des attentes et des modes, le Camerounais Gaston-Paul Effa résidant dans l’est de la France, occupe une place singulière dans le paysage littéraire africain. Avec Cheval-Roi, son sixième roman, il poursuit sa route d’artiste et d’écrivain, soucieux de ses lecteurs et de la destinée de ses livres, mais jamais obnubilé par une quelconque attache originelle.
Après deux romans qu’il souhaite lui-même rapidement oublier, c’est, en 1996, avec Tout ce bleu (Grasset) -récit en large partie autobiographique reprenant le fil de son éducation depuis le jour où il fut confié aux religieuses à Douala et jusqu’à son arrivée à Paris- qu’il se fit connaître d’un public élargi. En 1998, il publiait Mâ, très bel hommage rendu à la femme et à la mère, qui lui valut le Grand Prix littéraire de l’Afrique noire. Avec Le cri que tu pousses ne réveilleras personne, en 2000, il évoquait la figure meurtrie d’un enfant que l’un de ses voyages lui avait permis de croiser.
Il vient donc de publier aux éditions du Rocher (son quatrième éditeur) Cheval-roi, un roman dont le héros est un solitaire, à la vie bousculée et meurtrie qui trouvera refuge davantage auprès des bêtes -des chevaux en particulier- qu’auprès des humains. La vie semble une succession de douleurs pour cet enfant, abandonné par sa mère, élevé par sa grand-mère jusqu’à la mort de cette dernière. Plus tard, il partira pour l’Afrique comme Volontaire du Progrès, en fuite et en quête de lui-même, ou peut-être plus simplement d’une raison d’être et de vivre. Après quelques autres désillusions, la mort de son père le ramènera en France où il goûtera quelques instants de bonheur en dépit d’un nouvel amour déçu mais en la compagnie aimante et sans faille des chevaux...
Cheval-Roi est un roman qui, là encore, trouve son origine dans une rencontre que le romancier fit avec celui qui allait lui servir de modèle. Un roman composé de courts chapitres comme autant de séquences, de morceaux de vie qui témoignent d’une immense détresse et d¹une absolue solitude. Ainsi, même si le héros s’en vient pour un temps sur le continent africain, cet homme n’a d’autres terres d’attache que celles où il se trouve au présent. Un humain sans patrie avec les mêmes fragilités et les mêmes détresses, les mêmes doutes et les mêmes fractures que bien de ses congénères où qu’ils se trouvent sur cette planète. A plusieurs reprises le livre de Jules Vallès, L’Enfant, est évoqué comme un compagnonnage littéraire mais aussi comme une référence, une complicité dans la détresse et dans son exutoire, l’écriture.
Tout en se gardant de tout didactisme par trop voyant, Gaston-Paul Effa signe ici un roman, sans nul doute moins immédiatement personnel que ne l’étaient Tout ce bleu et Mâ, une sorte de récit initiatique sur la destinée d’un être meurtri et de sa lente réconciliation avec la vie.

Edition du rocher, 204 pages, 16 euros.

Bernard Magnier




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