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27/06/2002
Livres : Les Etats-Unis, champions de « l’ordre chaotique mondial »

(MFI) Un remarquable essai montre comment le nouvel empire planétaire tire bénéfique du chaos : c’est sur le terreau du désordre né d’une « globalisation sauvage » qu’il prospère et assoit son pouvoir.

Pour qui penserait avoir affaire à un livre neutre, Alain Joxe annonce d’emblée son propos : son dernier ouvrage se veut un texte de combat contre le dernier en date des empires de l’histoire, l’empire américain. Certes, la façon de lutter de ce spécialiste renommé des questions stratégiques est de produire un essai fort bien documenté sur la nature des bouleversements géopolitiques actuels. Il n’empêche. L’appel à la résistance est formulé dès les premières pages de ce passionnant et difficile ouvrage.
La raison du soulèvement est claire : face à la République, lieu par excellence de réalisation du contrat social, et qui exerce par délégation du peuple la fonction de protection du citoyen telle que l’a définie Hobbes (1), se dresse désormais un empire d’autant plus dangereux qu’il est totalement atypique . Car « les Etats-Unis, comme empire … ne cherchent pas à conquérir le monde et à prendre donc la responsabilité des sociétés soumises… c’est un système qui se consacre seulement à réguler le désordre par des normes financières et des expéditions militaires, sans avoir pour projet de rester sur le terrain conquis. Ils organisent au coup par coup la répression des symptômes du désespoir, presque selon les mêmes normes au-dedans et au-dehors ». Sous le nom de globalisation, ils mettent en place une domination mondiale qui entraîne « l’accentuation de la différence entre riches et pauvres, l’apparition d’une "caste noble" internationale, sans racines, et la multiplication des guerres sans fin ». Cette originalité, le nouvel empire planétaire né sur les décombres de la bipolarité le tire de l’idéologie qui sous-tend son appétit de conquête. Contrairement aux formes historiques du capitalisme qui l’ont précédé, le néo-libéralisme globaliste tire en effet bénéfice du chaos, car c’est sur le terreau du désordre né de la dérégulation qu’il prospère. La transnationalisation des entreprises, des nouvelles classes dominantes, du crime et des mafias montre à quel point, selon Joxe, la théorisation du désordre est consubstantielle à la forme particulière de capitalisme née à la fin du XXe siècle.


Porteur de guerres dites civiles

Les conséquences de cet « ordre chaotique néo-libéral » - le paradoxe n’est qu’apparent pour qui se plonge dans le raisonnement de l’auteur - ne sont plus à démontrer. Fossoyeur des souverainetés nationales sans pour autant créer de la souveraineté internationale, destructeur des territoires et des instances d’autorité qui en émanent, il est porteur des guerres dites civiles qui ne sont réprimées que quand elles portent un tort direct aux intérêts impériaux. Car, nous dit l’auteur, « toute guerre civile, ou tout trouble politique profond, sont constitués par l’ensemble des choix stratégiques des pouvoirs régionaux locaux ou individuels en vue de leur survie, en l’absence de protection d’un niveau supérieur, détruit ». Une telle définition, qui s’applique fort bien aux conflits africains, explique la multiplication des petites guerres aux quatre coins de la planète.
Pour gérer cet empire aux logiques porteuses d’une déréliction planétaire à l’ampleur inédite, les Américains ont forgé à la fois des légitimations de type culturaliste, comme celle du « choc des civilisations » de Huntington, et des moyens stratégiques et militaires qui leur donnent une redoutable supériorité dont ils usent sans état d’âme, comme on l’a vu au cours des dix dernières années.
Le tableau est trop sombre ? Il n’est pas de lui dit Joxe, mais des Américains eux-même. Et de citer les terrifiants propos d’un officier de l’Oncle Sam, selon lequel « nous entrons dans un nouveau siècle américain, au cours duquel nous deviendrons encore plus riches… et de plus en plus puissants. Nous exciterons des haines sans précédent… Il n’y aura pas de paix… Le rôle de facto des forces armées américaines sera de maintenir le monde comme un lieu sûr pour notre économie et un espace ouvert à notre dynamisme culturel. Pour parvenir à ces fins, nous ferons un bon paquet de massacres… ».
L’antidote à cette vision apocalyptique du XXIe siècle naissant ? C’est l’Europe nous dit Joxe. Le vieux continent s’éloigne en effet de plus en plus politiquement, socialement et culturellement des Etats-Unis pour demeurer le refuge de la logique républicaine. Si l’hypothèse est vraisemblable, on aurait souhaité, toutefois, que l’auteur donne plus d’épaisseur à son affirmation. De même, il n’est guère convaincant quand il veut, par un travers bien hexagonal, doter la France d’un rôle moteur dans la sauvegarde de l’universel républicain. On pourra, enfin, reprocher à cet essai par ailleurs fort stimulant de passer un peu vite sur les causes du terrorisme, qu’on ne peut assimiler à une simple réaction à la lourdeur du joug impérial, et de sacraliser trop volontiers le « peuple », comme si son auteur restait tributaire de vieilles nostalgies messianiques.
Ces péchés sont toutefois véniels par rapport à une analyse globale assez puissante pour forcer le lecteur à regarder d’un œil neuf le projet néo-libéral à l’œuvre dans le monde d’aujourd’hui. C’est le plus grand mérite de ce livre qui fait réfléchir.

Alain Joxe, L’empire du chaos, les républiques face à la domination américaine dans l’après-guerre froide. Paris, La Découverte, 190p, 17 euros.

(1) Thomas Hobbes, philosophe anglais du XVIIe siècle.


Sophie Bessis

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