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11/07/2002
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Rencontre : Jean-Robert Cadet, défenseur des enfants esclaves haïtiens
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(MFI) Jean-Robert Cadet est une sorte de miraculé. Devenu enfant esclave en Haïti après la mort de sa mère, il a réussi à force de volonté et de persévérance à faire des études aux Etats-Unis et à s’intégrer au sein de la société américaine. Il est aujourd’hui militant d’une fondation qui œuvre pour l’abolition de la domesticité enfantine. Son livre Restavec est une lettre à son fils de onze ans et un témoignage poignant sur la condition des 300 000 enfants esclaves haïtiens.
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Abandonné par son père, Blanc Philippe, un riche planteur blanc, après la mort de sa mère, une femme pauvre et noire, Jean-Robert a quatre ans lorsqu’il devient un Restavec. Ces enfants esclaves sont, encore actuellement, donnés par les familles pauvres d’Haïti aux plus riches dans l’espoir qu’elles assureront leur subsistance et leur éducation.
Las, la réalité est souvent tout autre. A l’instar de Florence, une ancienne maîtresse de son père qui ne cessera de le maltraiter, les restavecs sont généralement privés d’éducation pour être voués aux tâches ménagères les plus basses. Méprisés, à peine nourris, vêtus de chiffons, ces enfants grandissent comme ils peuvent dans une misère physique et affective insoutenable. C’est pour attirer l’attention sur cette terrible injustice que Jean-Robert Cadet a voulu témoigner et anime aujourd’hui une fondation destinée à leur venir en aide.
Plus de vingt ans après sa terrible expérience, l’auteur se rend régulièrement en Haïti pour constater « que rien n’a changé ». S’il publie régulièrement dans la presse haïtienne et américaine des articles dénonçant la terrible situation des restavecs, leur écho est encore limité. Même le succès de son livre, paru en 2000 aux Etats-Unis, n’a pas encore provoqué la mobilisation attendue.
Le silence des autorités
Aujourd’hui Jean-Robert Cadet est en colère. Le gouvernement haïtien s’apprête à fêter en 2004 le bicentenaire de l’indépendance du pays et de la fin de l’esclavage. Des chefs d’Etats seront conviés à assister aux cérémonies pour lesquelles Port-au-Prince se prépare déjà. Son action vise à sensibiliser les hôtes du gouvernement à la condition des restavecs et à créer un mouvement de boycottage des festivités. Car la situation des enfants n’est guère prise en compte par les autorités. Le gouvernement se réfugie derrière le manque de moyens pour ne rien faire. « Des lois concernant la protection de l’enfance existent mais elles ne sont pas appliquées », déplore l’auteur.
La protection de ces enfants et leur scolarisation sont laissées à quelques ONG présentes sur le terrain mais dont la capacité d’action est limitée. « Même l’Unicef, explique M. Cadet, ne peut rien faire sous peine de voir ses représentants expulsés ». Privés d’école, les restavecs perdent par la même occasion tout espoir d’un avenir meilleur. Pour ces enfants confrontés à la violence au quotidien, l’éducation demeure un rêve souvent inaccessible. Impossible en effet d’être scolarisé sans l’autorisation des maîtres. Un enfant autorisé à se rendre à l’école ne peut guère espérer y rester plus de deux heures par jour tant sont nombreuses les tâches qui lui incombent dans sa famille d’accueil. Enfin, le manque de structures publiques et gratuites constitue le dernier frein, et non le moindre, à leur scolarisation. Les écoles privés payantes restent bien évidemment hors de portée de ces enfants.
Privés d’éducation, les restavecs, au contraire des enfants africains les plus démunis, n’ont même pas la ressource de se tourner vers l’Eglise. Là encore les maîtres ne leur permettent pas de recevoir une éducation religieuse et rares sont les initiatives du clergé en leur faveur.
Perdus pour leur famille
Au manque de soins et de confort, s’ajoute une misère psychologique qui laissera à ces enfants des traces indélébiles. Des années après la fin de son calvaire, Jean-Robert Cadet avoue faire encore des cauchemars et se sentir « mal à l’aise en société » tant il demeure marqué par son ancienne condition. Encore s’estime-t-il chanceux par rapport à ceux qui ne pourront échapper à ce cruel système. Victimes de violences physiques, voire d’abus sexuels pour les filles, les restavecs luttent pour leur survie. Une fillette enceinte, généralement des œuvres de ses patrons, sera jetée à la rue. Les plus chanceuses quitteront à l’adolescence leur condition de restavec pour devenir bonne. Quant aux garçons, ils seront renvoyés à la fin de leur enfance.
Séparés depuis le plus jeune âge de leur famille, ces enfants parviennent rarement à retrouver le village où il sont nés, ou leurs parents. Dans un pays où les routes et les communications demeurent aléatoires, la séparation est généralement définitive. Rejetés par leur famille d’accueil, perdus pour leur famille naturelle, ces enfants sont condamnés à l’errance et à la misère.
Restavec, enfant esclave en Haïti, Jean-Robert Cadet, éd. Seuil, 268 pages, 18 euros.
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Geneviève Fidani
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Pour en savoir plus : www.restavec.org www.restavec.org
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