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16/08/2002
Chronique Livres

L'essentiel d'un livre : Les enfants soldats de Brazzaville

(MFI) Auteur de trois romans et d’un recueil de nouvelles, l’écrivain congolais Emmanuel Dongala retrace dans Johnny Chien Méchant la descente aux enfers de son pays en proie à l’une des guerres civiles les plus violentes du continent.

Lorsque la guerre civile a éclaté au Congo Brazzaville en 1997, Emmanuel Dongala était en déplacement aux Etats-Unis. Ayant appris par sa femme que la capitale était à feu et à sang, que des bandes de miliciens rivaux s’étaient partagé la ville et que des roquettes s’étaient abattues sur sa maison, il a pris le premier avion pour le Gabon puisque tous les vols internationaux à destination de son pays avaient été annulés. Lorsqu’il est arrivé à Brazzaville au bout d’un voyage harassant de plusieurs jours, la guerre faisait toujours rage dans la capitale à moitié détruite. « Tout romancier que je suis, je n’aurais jamais pu imaginer les ravages et la désolation que les miliciens avaient réussi à causer en l’espace de quelques jours. Le quartier où nous habitions était entièrement dévasté », se souvient Dongala. Et ce n’était que le commencement!
Les turbulences et les bouleversements de la guerre civile que Dongala a vécus de près avant de se réfugier aux Etats-Unis où des amis écrivains ont plaidé sa cause auprès de l’administration (la France avait refusé de lui donner un visa après l’avoir décoré de la médaille de chevalier des Arts et Lettres!), il en a fait le cadre et la substance de son quatrième roman qui sort en librairie ces jours-ci. A travers les destins parallèles de deux gosses de Brazza - un adolescent-soldat de seize ans qui, à la tête d’un commando de gamins de rues, fait régner la terreur dans la ville et d’une jeune fille de quinze ans qui fuit les combats et les exactions -, le romancier a reconstitué toute l’horreur de la guerre. La violence inouïe, les brutalités déchaînées contre la population civile, l’absurdité.
Il ne s’agit pas pour autant d’un ouvrage documentaire. Dongala narre la guerre sur le mode de la fiction. Sans doute pour éviter de tomber dans le témoignage, il a donné la parole aux protagonistes. Le récit est donc à deux voix. D’un côté, la verve obsessivement sexuelle et scatologique du jeune milicien. Armé jusqu’aux dents, l’adolescent qui se fait appeler Johnny Chien Méchant pour impressionner son chef et ses compagnons, raconte comment il terrorise la population, pille, rackette, viole et tue sans pitié aucune, se targuant d’être plus dur que les autres, plus viril même que son chef dont la « chose-là ne faisait debout-debout qu’avec les femmes dont nous ne voulions pas, celles qui n’excitaient pas notre appétit ». En face de lui, Laokolé qui a vu son monde s’effondrer alors qu’elle se préparait à passer le bac. Elle raconte la fin de ses rêves et sa fuite à travers la ville, poussant sa mère aux jambes fracturées dans une brouette branlante. Elle aussi, elle parle de la sexualité, de ses règles douloureuses, de ses slips tâchés de sang. Paradoxalement, ces douleurs ont quelque chose de réconfortant. Les règles douloureuses de Laokolé sont les dernières certitudes auxquelles la jeune fille tente de s’accrocher dans son monde déréglé par la guerre.
Dès son premier roman, paru en 1973, Emmanuel Dongala nous avait habitués à une narration complexe, riche en retours en arrière et en projections dans le futur, ouverte à la magie, à l’invraisemblance, à la démesure. Son nouveau roman d’où le narrateur omniscient a été banni et où la polyphonie et la dérision ont été édictées en règle, s’inscrit dans cette quête souvent heureuse d’une forme éclatée, adaptée à l’univers trouble de la fiction africaine contemporaine.

Emmanuel Dongala : Johnny Chien Méchant, Le Serpent à Plumes, 364 pages, 18 euros.
Tirthankar Chanda


La colère d’Aminata Traoré

(MFI) Le viol de l’imaginaire, d’Aminata Traoré, ancienne ministre de la culture du Mali et grande voix de l’anti-mondialisation, est un cri de révolte, un bilan amer de la situation faite à l’Afrique par les multinationales et les institutions financières internationales. Femme de tête et de réflexion, l’auteur retrace un passé mutilé par l’esclavage puis la colonisation, pour s’indigner d’un présent confisqué par une politique économique imposée.
Refusant avec force les expressions trop souvent entendues « L’Afrique est un boulet au pied de l’humanité », ou « l’Afrique la pauvre », Aminata Traoré accuse l’opinion généralement admise que seule l’entrée dans la mondialisation jugulera la pauvreté du continent. A ses yeux, l’ouverture des pays aux investisseurs étrangers ne fait que continuer leur pillage par d’autres formes, soumis qu’ils sont par une dette qui opprime avant tout les peuples. Alors que faire ? Sans vouloir prétendre que le passé était un paradis, elle « «essaie simplement de rappeler à l’Afrique qu’elle doit savoir puiser dans son patrimoine culturel et socioreligieux ». Pour cela, il lui faut avant tout savoir « déconnecter sa pensée de la théorie dominante qui l’aveugle ». En évoquant les royaumes anciens du Niger, ces cultures qui mettaient en avant l’humanité et non le profit, Aminata Traoré pense « qu’une autre Afrique est possible, une Afrique réconciliée avec elle-même, disposant pleinement de sa faculté de penser son propre avenir et de produire du sens ». Puisse-t-elle être entendue.

Aminata Traoré : Le viol de l’imaginaire. Ed. Fayard/Actes Sud. 204 p., 17 euros.
Moïra Sauvage


Bernard Kouchner : biographie d’un homme d’action

(MFI) Lorsqu’en 1970 le jeune médecin et militant de gauche Bernard Kouchner part, envoyé par la Croix-Rouge, au Biafra, il est loin d’imaginer son futur destin : inventer l’aventure humanitaire avec Médecins sans frontières puis Médecins du monde, aller sauver les « boat people » en mer de Chine dans les années soixante-dix, devenir ministre de la Santé à Paris, puis délégué des Nations unies au Kosovo…
Il a pourtant déjà un passé d’activiste derrière lui. Ce fils de médecin de Montreuil, en banlieue parisienne, qui a réussi à se faire renvoyer, adolescent, de deux lycées parisiens, n’a pas attendu l’Afrique pour découvrir les problèmes des pays en voie de développement. Adhérent de l’Union des étudiants communistes, il a visité Cuba sur les traces de son héros, Che Guevara, il a combattu la guerre du Vietnam, et déjà organisé manifestations et pétitions avec sa bande d’amis parisiens dont beaucoup occupent maintenant des postes importants. Il tâtera aussi du journalisme, d’abord à Clarté, puis, avec l’ancien résistant Emmanuel d’Astier de la Vigerie, à la fondation de L’événement en 1966.
Un homme complet, donc, dont la biographie d’Alain Guillemoles fait le tour avec une amicale complicité que ce médecin si peu ordinaire sait susciter chez tous ceux qui l’ont rencontré. Comment résister, en effet, au sourire, à l’énergie, d’un homme de pouvoir dont on sent que seule l’action le motive ?

Bernard Kouchner, la biographie. Ed. Bayard, 312 p., 18,50 euros.
M.S.


Palestine : histoire d’un village effacé

(MFI) Dès les premières pages de ce court récit, l’émotion vous prend. Car un village, ce sont des gens, leur vie, si semblable à celle de chacun d’entre nous, et lorsqu’il disparaît, effacé de la carte par la guerre ou des décisions politiques inhumaines, c’est un peu de notre humanité qui meurt. « Les enfants de la rosée », le récit que fait le poète Mohammed Al-Asaad des souvenirs du village palestinien de son enfance, aujourd’hui en terre d’Israël, est un hymne bouleversant à l’exil et à l’histoire d’un peuple qui souffre de la disparition des traces de son passé. Parallèlement, le journaliste israélien Joseph Algazy dresse en quelques pages de cette « histoire à deux voix » un réquisitoire contre la situation faite aux palestiniens d’aujourd’hui, que leur désespoir fait de plus en plus se tourner vers leur injuste passé.
Autres « souvenirs palestiniens » : ceux d’Arlette Tadié, aujourd’hui maître de conférences à l’Inalco à Paris. Elle retrace son enfance à Gaza, les guerres de 1948 et 1956, observées avec ses yeux d’enfant, et la vie dans cette ville paisible, peuplée de gens pacifiques, avant de devenir un gigantesque camp de réfugiés.

M. Al-Asaad et J. Algazy : Mémoires d’un village palestinien disparu. Ed. Albin Michel, 166 p., 15 euros.
Arlette Tadié : Mon enfance en Palestine ou la colombe poignardée. Ed. Maisonneuve & Larose, 224 p., 15 euros.
M.S.


Le parler savoureux de la « francofaunie »

(MFI) En 1995, Mercédès Fouda publiait à Yaoundé un petit livre savoureux Le Francofaufilé illustré. La comédienne et dramaturge en présente, aujourd’hui à Paris, une version « augmentée et corrigée » sous le titre Je parle camerounais (Karthala), avec en sous-titre ce plaidoyer « pour un renouveau francofaune ».
L’auteur a découpé son livre en courts chapitres correspondant à quelques situations de la vie quotidienne (manger en ville, sortir en boite, une réception chez les grands, etc.) ou selon des thématiques (l’argent, les insultes). Elle a dressé un catalogue, avec travaux pratiques, des mots et expressions requis pour chacun de ces moments. Le propos est lié par un discours scénarisé qui permet à l’auteur d’entraîner son lecteur dans différents lieux et en compagnie de différents personnages. Afin de parfaire la leçon, des « résumés » permettent une utilisation maximale des « connaissances » acquises dans les chapitres précédents.
On l’aura compris, l’intérêt essentiel de ce livre n’est pas l’intrigue mais le vocabulaire. Tout est prétexte à bons mots, néologismes et autres inventions verbales dus, pour l’essentiel, au génie de la rue. Accompagné d’un « petit glossaire », ce livre est une excellente introduction à la quotidienneté linguistique camerounaise et au-delà à la part « francofaune » du continent.

Editions Karthala, 100 p., 12,20 euros.
Bernard Magnier


Nourritures orientales

(MFI) Comment l’Occident a-t-il rencontré le bouddhisme ? Que peut nous apporter la médecine chinoise ou la pensée et la pratique zen ? Réponse dans les livres publiés chez Albin Michel, en particulier l’excellente collection Spiritualités. Sociologue, spécialiste des religions, Frédéric Lenoir retrace « La rencontre du bouddhisme et de l’Occident » depuis… Alexandre le Grand, en passant par les voyages de moines au Tibet au Moyen-Age, mais surtout depuis le XIXe siècle. Son livre relate les grandes étapes de la rencontre avec cette pensée qui privilégie l’action sur soi à la maîtrise du monde, mais n’en est pas pour autant passéiste - au contraire. En plus ardu et érudit, le Dr Jacques Vigne, psychiatre et pratiquant de yoga de longue date, compare dans Le Mariage intérieur la quête d’équilibre et d’épanouissement personnel et spirituel en Orient et Occident, et en dégage les points communs. Dans L’Homme et ses symboles en médecine traditionnelle chinoise, le Dr Jean-Marc Kespi explique cette médecine millénaire qui met l’accent sur la prévention, avec la diététique, les techniques corporelles, les massages ou la pharmacopée, et fournit des outils de travail sur soi. Un manuel à la fois savant et concret, avec de nombreux exemples de cas.
Deux personnages formidables signent dans cette même collection : Bernie Glassman et Anselm Grün. Le premier, docteur en maths, new-yorkais d’origine juive devenue moine soto en 1970, explique dans Comment accommoder sa vie à la manière zen les ingrédients de base « pour cheminer vers l’harmonie intérieure » débouchant sur une nécessaire action sociale. Lui-même a créé une boulangerie à Manhattan où il fait travailler des SDF ; préoccupé par la pauvreté, la drogue, le sida, il lutte pour la réinsertion des marginalisés. Allemand, moine bénédictin, Anselm Grün gère une abbaye qui s’étend sur 120 hectares, abrite 180 moines et emploie 300 salariés dont 80 enseignants. Ce PDG est aussi un auteur à succès : ses livres ont été vendus à plus de 2 millions d’exemplaires en allemand et traduits en 23 langues, dont l’indonésien ! Le message de ce connaisseur de la tradition méditative monastique ainsi que de la psychologie de Jung rejoint celui venu d’Orient : comment, dans un monde de plus en plus stressant, trouver une paix, une harmonie intérieures. Son Invitation à la sérénité du cœur devrait être lu par tous les urbains de la planète !

Henriette Sarraseca


En poche...
La « guerre du feu » de Jack London


(MFI) Dans sa préface, le paléontologue Yves Coppens ne cache pas son admiration pour ce « roman préhistorique » écrit par Jack London… quatre ans avant le roman de J. H. Rosny Aîné, La Guerre du feu, connu dans le monde entier grâce au film de Jean-Jacques Annaud. Quatre-vingts ans avant la découverte de « Lucy » en Afrique de l’Est, London nous invite à partager la vie de nos lointains ancêtres, « mi singes-mi hommes (…) ni singes ni hommes », en pleine évolution de la vie arboricole à la vie terrestre et n’ayant pas encore élaboré la parole. Trouver à manger pour survivre, mais aussi jouer et rire, tel est le quotidien du héros Grande-Dent et de son ami Oreille-Pendante. Mais Grande-Dent échappera-t-il au brutal Œil-Rouge ? Et parviendra-t-il à apprivoiser La Véloce, aux longs bras velus mais terriblement attirante ? Pendant qu’il vit mille aventures, le peuple du Feu, plus avancé que celui des Arbres puisqu’il dispose d’arcs et de flèches, menace d’exterminer le petit groupe pour s’approprier son territoire… En grand écrivain, Jack London réussit à nous faire ressentir les perplexités de ses personnages chez qui une idée, un début de réflexion affleure parfois à la conscience avant de s’effacer à tout jamais. Un livre rafraîchissant, réjouissant, idéal pour les vacances… ou pour n’importe quel jour de l’année !

Jack London : Avant Adam. Phébus Libretto, 140 p., 6,90 euros.
H.S.


Birago Diop de nouveau dans la poche

(MFI) Il suffit de dire que Leurres et lueurs du poète et conteur sénégalais Birago Diop contient le poème « Souffles » pour donner la mesure de ce recueil qui appartient à l’histoire littéraire du continent et que les éditions Présence africaine viennent de rééditer dans un format de poche.
En effet, combien de générations d’écoliers et de lycéens africains ont lu, appris par coeur et étudié les vers du poète sénégalais : « Écoute plus souvent les choses que les êtres, la voix du feu s’entend, entend la voix de l’eau... ». D’une inspiration animiste et sur une métrique rigoureuse, Birago Diop, celui que l’on désignait comme le « point calme du maelström », en opposition avec ses compagnons des temps de la Négritude, avait su trouver les mots justes et vrais. « Les morts ne sont pas morts » écrivait-il encore et cette phrase prend tout son sens à la lecture de ses poèmes qui, près d’un demi siècle après avoir été écrits (la première publication date de 1960), demeurent dans les mémoires.
Ainsi, aux côtés des Contes d’Amadou Koumba et des Nouveaux contes d’Amadou Koumba du même Birago Diop, les poèmes de Leurres et lueurs constituent un trio majeur dans l’œuvre de l’un des pionnier des lettres africaines.

Présence africaine, 88 p., 6,10 euros.
B.M.




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