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07/11/2002
Découvrir les autres littératures de l’Inde

(MFI) Du 18 au 30 novembre se déroulent en France les « Belles Etrangères » consacrées cette année aux littératures de l’Inde. Cette manifestation, qui réunit une vingtaine d’écrivains indiens et qui a suscité la publication en français de plusieurs dizaines de titres, a pour but de faire connaître dans les pays francophones ces littératures dans toutes leurs diversités de langues, de thèmes et de sensibilités.

L’Inde demeure un continent littéraire mal connu, malgré la percée internationale exceptionnelle de ses écrivains de langue anglaise au cours des deux dernières décennies. Certes, tout le monde ou presque a entendu parler de Salman Rushdie, de Narayan, d’Anita Desai, d’Amitav Ghosh et d’Arundhati Roy, pour ne citer que les écrivains anglophones indiens les plus connus. Les enfants de minuit de Rushdie, Le Dieu des petits riens de Roy sont devenus des classiques de la littérature mondiale, après avoir longtemps figuré dans les listes des « best-sellers » internationaux. Mais peu de gens savent que l’essentiel des productions littéraires indiennes se fait dans les 21 grandes langues régionales. Les plus importantes en terme de locuteurs sont le hindi (300 millions de locuteurs), le télougou (60), le bengali (55), le tamoul (50), le marathi (45), l’ourdou (36), le goujerati (36), le kannada (30), le malayalam (29), le punjabi (25), l’oriya (20) et l’assamais (15). Beaucoup de ces langues sont dépositaires de riches et anciennes traditions littéraires, notamment la littérature tamoule dont les premières oeuvres datent du début de l’ère chrétienne.
Dérivées pour la plupart du sanskrit (langue de culture de l’Inde antique), les langues et les littératures vernaculaires indiennes ont connu des périodes fastes tout au long de l’époque médiévale( XIIe-XVIIe siècles) et ont donné des chefs d’oeuvre inspirés du mysticisme et de la spiritualité. Il s’agissait essentiellement de la poésie dévotionnelle et religieuse qui, si elle était souvent écrite, a été perpétuée par la mémoire collective qui la transmettait oralement de génération en génération. C’est au contact avec l’Europe, avec ses penseurs et ses livres, qu’est né le courant moderne dans les lettres indiennes au tournant du 19e siècle. Cette modernité se manifeste d’abord dans la littérature bengalie dont les auteurs ont été exposés très tôt à l’influence occidentale du fait du choix du Bengale par les Anglais comme centre administratif de leur empire naissant. La ville de Calcutta, qui sera la capitale de l’Inde britannique jusqu’en 1912, accueillera les premiers établissements scolaires dispensant un enseignement de type occidental. Ceux-ci forment une nouvelle élite indienne dont sont issus les écrivains qui vont renouveler la littérature bengalie en y injectant de nouvelles idées, mais aussi en important des formes telles que l’ode, le sonnet, le vers libre, et surtout le roman et la nouvelle. A la fin du 19e siècle déjà, le Bengale possédait une littérature de premier plan avec ses romanciers, ses nouvellistes et ses poètes qui avaient su domestiquer les formes d’essence occidentale et en avaient fait le support éloquent du bouillonnement social et intellectuel que connaissait alors leur vieux pays aux prises avec les forces de la modernité. L’œuvre multidimensionnelle de Tagore qui se situe aux confluents de l’Inde et de l’Universel, du séculier et du spirituel et qui sera couronnée par le prix Nobel de littérature en 1913, est le produit emblématique de ce qu’il est convenu d’appeler la « renaissance bengalie ».

Le triomphe de la fiction

Si le courant moderniste est né au sein des lettres bengalies, il n’est pas resté confiné au Bengale. Au contraire, il s’est très vite répandu dans les autres centres culturels et intellectuels de l’Inde et a donné une impulsion décisive à la création littéraire dans les grandes langues indiennes. Comme cela s’est passé pour la littérature bengalie, l’avènement de la modernité s’est caractérisé par la montée en puissance de la prose et par le triomphe de la fiction. Les premiers romans en hindi, en ourdou, en telougou, en tamoul, en malayalam, en goujerati ou en oriya datent tous de la seconde moitié du 19e siècle. Le genre de la nouvelle a connu une fortune extraordinaire dans toutes les littératures vernaculaires. Sous l’influence de Tagore qui l’avait empruntée aux Français à la fin du 19e siècle et l’avait popularisée au Bengale avant même que le genre ne s’impose en Angleterre, les écrivains indiens se sont emparés de cette forme de narration brève si contraire aux souffles longs du discours indien et l’ont adaptée avec brio aux urgences de la réforme sociale et de la résistance nationaliste contre le colonisateur qui ont été pendant la première moitié du 20e siècle les deux principales sources d’inspiration des littératures indiennes. C’est sans doute sous la plume des écrivains de l’école progressiste tels que Premchand (hindiphone), Manto (ourdouphone) et Ismat Chughtai (ourdouphone) qui ont dominé la scène littéraire indienne jusqu’à l’indépendance survenue en 1947, avec des thèmes tels que la misère sociale et l’oppression des femmes, que la nouvelle a atteint un sommet de perfection et d’expressivité jamais égalé depuis.
Avec l’indépendance, les littératures indiennes sont entrées dans une période de démocratisation et de désenbourgeoisement, comme le confirment la prise de parole par les femmes au cours des dernières décennies ou l’irruption des écrivains « dalits » ou « opprimés », terme par lequel ces écrivains d’origine intouchable aiment se désigner. La subversion est entrée dans les moeurs. Rien n’illustre mieux cette tendance à la subversion, à la parodie que le mouvement des « digambara kavulu » (poètes nus) dont la poésie érotique, riche en images sexuelles et rythmée de vocables obscènes a profondément secoué, au tournant des années 70, l’élitisme ambiant de l’Inde profonde. La provocation des poètes « digambara » allait jusqu’à faire lancer leurs premiers recueils par des tireurs de pousse-pousse, des plongeurs de bouis-bouis et... des prostitués. Les brahmanes comme il faut de Hyderabad et de Vijaywada ne s’en sont pas encore remis!

Tirthankar Chanda


Bibliographie sélective :

Samskara: rites pour un mort, par Anatha Murthy (kannada). Traduit de l’anglais par Anne-Cécile Padoux. Aux Editions de L’Harmattan.

Camphre, par Naiyer Masud. Nouvelles traduites de l’ourdou par Mariam Abu Zahab. Stock.

La mère du 1084, par Mahasweta Devi. Traduit du bengali par Marielle Morin. Actes Sud.

Le Suaire: récits d’une autre Inde, par Premchand. Traduit du hindi par Catherine Weinberger Thomas. Aux Editions de POF.

Un bonheur en lambeaux, par Nirmal Verma. Traduit du hindi par Annie Montaut. Actes Sud.

L’Arbre nagalinga. Nouvelles d’Inde du sud. Traduit du tamoul par François Gros. Editions de l’Aube.

Sangati, par Bama. Traduit du tamoul par Josiane Racine. Editions de l’Aube.

Gora, par Rabindranath Tagore. Traduit de l’anglais par Marguerite Glotz, entièrement revue du bengali par Pierre Fallon. Le Serpent à Plumes.



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