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28/11/2002
France/immigration :
« Le droit de vote aux étrangers, c’est la fuite en avant »


(MFI) Un entretien avec Michèle Tribalat, directrice de recherches à l’Institut national d’Etudes démographiques (Ined) et auteur, avec Jeanne-Hélène Kaltenbach, de La République et l’islam, entre crainte et aveuglement (Gallimard). Cet ouvrage diagnostique une crise du modèle français d’intégration, et met notamment en garde contre les dérives communautaristes qui pourraient menacer la laïcité.

MFI : Le débat ressurgit, en cette fin, d’année 2002, sur la possibilité d’accorder le droit de vote aux étrangers extra-européens. A présent, certains hommes politiques de droite, membres de l’UMP, le parti chiraquien, s’y disent favorables. Comment réagissez-vous à cette proposition émise pour la première fois il y a plus de vingt ans ?

Michèle Tribalat :
Ce qui me frappe, c’est le manque de réflexion dans cette affaire. On est toujours dans une espèce de fuite en avant, on donne des gages en attribuant des droits que les intéressés n’ont même pas demandé. Le problème essentiel, c’est qu’il n’y a aucun questionnement sur l’identité nationale et sur ce que cela représente pour les nationaux. C’est bien beau de donner des droits aux uns et aux autres, mais qu’est-ce que cela signifie pour les Français ? On ne s’interroge pas sur ce qu’est la citoyenneté, la signification civique du droite de vote, les droits attachés à la nationalité française, etc., dans le sens où pour les Français l’identité est plutôt de nature politique. Si l’on partage ce droit avec le premier venu, que reste-t-il ? La théorie la plus radicale concernant le droit de vote des étrangers affirme que la France appartient à tout le monde, que chaque personne posant le pied sur le sol français a le droit de vote, que pouvoir voter est un droit humanitaire attaché à chaque être humain.
Du coup, cela dépossède tout le monde du droit de dire quelque chose sur son avenir collectif. La France n’est plus qu’un lieu de passage. Ca me paraît avoir un effet néfaste sur l’identité nationale, et notamment cela tend à faire des Français une espèce de groupe comme les autres sur un territoire qui n’est plus rien d’autre que géographique, et plus vraiment une nation. Le malheureux Français qui ne vit pas dans les avions, qui n’est pas transnational devra vivre avec des voisins d’origines diverses qui, eux, auront le droit de fêter leurs origines et leur culture, tandis que lui devra se taire parce que aujourd’hui, être fier d’être français, c’est devenu sinon impossible, du moins stigmatisant, et je trouve cela très injuste.

MFI : Comment en est-on arrivé là ?

M. T. : La première bataille n’est pas livrée sur le terrain du droit. Je crois que la demande de statut personnel en faveur des musulmans est certes récurrente. Ainsi, lors des dernières élections présidentielle et législatives a été effectuée la demande d’un ministre musulman s’occupant des affaires musulmanes. Elle émanait du Forum citoyen des cultures musulmanes, une association qui prône l’implication des musulmans dans la vie politique, et elle s’inscrivait dans un programme apparemment très ordinaire sur le plan politique (crèches, etc.). Donc c’est une demande qui affleure.
Mais je crois que la stratégie première, c’est de donner de la compacité à l’ensemble des musulmans, ce qu’on appelle la communauté, l’oumma. Par des pratiques communes, les responsables musulmans cherchent à grignoter, l’une après l’autre, de petites concessions. La grande leçon de 1989, avec l’affaire du voile islamique à l’école, c’est qu’on peut obtenir davantage de choses sans passer par la loi. En l’occurrence, il s’agissait d’un avis du Conseil d’Etat.
La stratégie est de nous habituer à l’acquisition par les musulmans de certains avantages, notamment dans la sphère scolaire. Maintenant, il n’est pas rare que pendant le ramadan, on rompe le jeûne en classe, et de manière quasi officielle. C’est le genre de dérives qui pose le plus de problèmes, car je pense d’abord à la liberté de conscience des autres, de ceux qui sont peut-être des musulmans laïcisés et qu’on contraint à un affichage. C’est une espèce de violence à leur encontre. Il est difficile, dans certains quartiers et certains lycées ou collèges, de ne pas faire ramadan si vous êtes supposé être de culture musulmane, parce que tout le monde le fait. Il y a des exemples récents de gens qui sont venus d’Algérie avec leur famille parce qu’ils étaient menacés là-bas par des dérives islamistes, et qui se retrouvent ici avec des enfants qui font ramadan alors qu’ils ne l’ont jamais fait en Algérie. Ou même des parents musulmans qui mettent leurs enfants à l’école catholique pour éviter des pressions de ce type-là dans l’école laïque ! Donc, si on doit aller dans des lycées privés catholiques pour échapper à la pression communautaire à l’intérieur de l’école en matière de pratique musulmane, c’est quand même une faillite pour l’école laïque.

MFI : Vous avez prononcé le mot stratégie, en parlant de la méthode utilisée par les musulmans pour obtenir de nouveaux droits. Y aurait-il une sorte de complot ?

M. T. : Pas du tout ! Il n’y a pas un organisme avec une tête pensante qui dirigerait le mouvement. Simplement, tout cela est cohérent avec des discours qu’on entend régulièrement, et de plus en plus fréquemment. Au niveau de la jeunesse, le discours des Frères musulmans ou de Tariq Ramadan, cet universitaire suisse et petit-fils du fondateur des Frères Musulmans égyptiens, sont très écoutés. Or dans ces discours là, on évoque très souvent « l’intelligence des étapes », c’est-à-dire ne pas réclamer trop tout de suite, de procéder progressivement. C’est une manière d’être qui est systématisée dans certains endroits, qui fait que les revendications avancent et que peu à peu, elles ont du succès.

MFI : Que faudrait-il faire pour favoriser l’intégration de l’islam sans dériver vers le communautarisme?

M. T. : Il faudrait mettre un coup d’arrêt à ces reculs répétés de la part de l’État français face à des responsables musulmans qui demandent toujours plus. On ne peut pas en vouloir à ces derniers, qui au fond défendent leurs intérêts. En revanche, on peut en vouloir à la classe politique française qui laisse faire, par exemple à l’école, tantôt des aménagements d’horaires, tantôt des repas adaptés à la cantine, etc. On cultive tellement la séparation qu’on en a accepté qu’il y ait non seulement des carrés musulmans dans les cimetières, mais aussi des ossuaires séparés ! Là, le message est clair : cela signifie que même quand l’on n’est plus qu’un tas d’os, on n’est pas fréquentable. S’il faudrait dire non, ce ne serait pas seulement pour la laïcité telle qu’on l’a définie au début du siècle et telle qu’on l’a pratiquée jusqu’à tout récemment, mais aussi pour la paix scolaire. On pourrait même invoquer la liberté de conscience des autres, ce que permet d’ailleurs la Cour européenne des droits de l’homme. Dans la convention, un article dit en substance qu’on peut limiter les manifestations religieuses des uns pour préserver la liberté de consciences des autres. Mais il faut une vraie volonté politique en la matière. Or on ne la voit pas. Il faudrait qu’on se réveille. Il ne faut pas attendre qu’il y ait des drames pour se réveiller.

Propos recueillis par Philippe Quillerier-Lesieur

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