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06/12/2002
Hommage : Emile Ollivier : « Québécois de jour, Haïtien la nuit »

(MFI) Emile Ollivier, romancier et nouvelliste haïtien, décédé d’une crise cardiaque le 10 novembre, vivait en exil au Québec depuis 1964. Il laisse une œuvre qui invite à tous les voyages, réels et littéraires.

« J’avais le choix entre la mort, la prison ou l’exil... J’ai choisi l’exil »....Emile Ollivier nous avait donné cette réponse à l’occasion d’une rencontre radiophonique en compagnie de son cadet Dany Laferrière, en octobre 1994. Il l’avait ponctuée d’un éclat de rire comme pour mieux dissimuler l’immense tristesse que pouvait laisser entendre son propos. En effet, son pays demeurant en proie à la folie meurtrière de la dictature duvaliériste, l’écrivain haïtien, né en 1940, avait dû quitter, très jeune, sa terre natale et s’installer -proximité géographique et linguistique aidant- au Québec, en 1965, après un court séjour en France. Un Québec accueillant mais dans lequel il n’avait jamais accepté de se fondre totalement, tant il demeurait attaché à sa terre haïtienne. « Québécois de jour et Haïtien la nuit », Emile Ollivier trouvait dans la communauté haïtienne du Québec « un lieu de mémoire et de ressourcement » au sein duquel il devait, sans nul doute, trouver la matière de ses livres dont les personnages, les destins et les mots ont toujours gardé en eux l’amarre qui les reliait aux rivages caribéens.
Enseignant à l’université de Montréal dont il venait d’être nommé « professeur émérite », son oeuvre comporte quelques essais (Haïti quel développement ?) mais on retiendra plus volontiers ici ses oeuvres de fiction. Emile Ollivier a publié cinq romans (Paysage de l’aveugle en 1977, Mère-solitude en 1983, Passages en 1991, La Discorde aux cent voix en 1986, Les Urnes scellées en 1995), un conte accompagné de photos de Mohror qui deviendra, en 2001 et sous le même titre, Regarde, regarde les lions, un recueil de nouvelles et un récit d’enfance, Mille eaux, en 1999. Autant de livres qui portent en eux un peu de terre haïtienne lorsqu’ils n’évoquent pas la destinée d’exil de quelques errants du monde.
Ainsi, Passages offre une réflexion sur l’exil lorsque la destinée d’un réfugié haïtien de passage à Miami croise celle d’une immigrée venue de Cuba et de quelques désespérés embarqués sur un bâtiment de fortune échoué non loin de là... De retour au pays après un exil en République dominicaine, le personnage central de Mère-solitude enquête sur la mort de sa mère ; ses questions dérangent et certains souvenirs paraissent bien gênants dans la mémoire sélective des parents et amis... Autre retour au pays avec Les Urnes scellées, roman dans lequel un couple d’archéologues devient le spectateur fortuit d’un meurtre étrange dont les tenants et les aboutissants leur seront contés par divers interlocuteurs de hasard...
Avec Mille eaux, Emile Ollivier acceptait de dire « je » et de livrer quelques secrets de l’enfance de ce « fils de migrants » très tôt en proie à la « démangeaison » du voyage, au gré d’une destinée dont le romancier attribuait volontiers la paternité au « hasard ». Dans ce court récit autobiographique, le romancier glissait, ça et là, quelques réflexions d’exilé, quelques paroles d’écrivain s’interrogeant sur l’écriture, son devenir et ses enjeux mais aussi sur la langue française dont la découverte se fit « à coups d’interdit, de mépris et de répression » ce qui conditionna le « rapport de haine et de séduction » entretenu aujourd’hui avec elle.
Sa dernière publication, un recueil de nouvelles intitulé Regarde, regarde les lions est un livre de douleurs cumulées où se croisent des « âmes errantes », des hommes qui traînent « à travers le vaste monde les restes de leur existence », des « copains aux rêves floués et à l’espérance tenace »... tous ceux qui témoignent de l’effroyable chaos de cette terre d’Haïti, « ce pays ayant fait à l’école de l’exil tous les apprentissages ». Un recueil empreint d’une nostalgie distante et discrète qui nous avait fait dire qu’il était « un recueil de bilan, de termes plus ou moins achevés, d’existences accomplies, de fins de vie, d’ultime déclaration ou de dernier tour de piste »... Nous ne pensions pas alors que ces mots prendraient, quelques mois plus tard, un sens beaucoup plus tragique.
Emile Ollivier laisse une oeuvre composée dans une belle langue, généreuse et abondante qui aimait à restituer les douleurs des itinéraires vagabonds. Une oeuvre qui recourait volontiers à la multiplicité des voix et des témoignages afin de dire la complexité de l’humain. Des romans et des nouvelles qui tendaient à suggérer plus qu’à dire, qui préféraient l’esquisse au trait appuyé et qui, loin des leçons de toutes obédiences, choisissaient d’interroger plutôt que d’imposer la réponse.
Cultivé, grand amateur de peinture et grand lecteur, Emile Ollivier était une figure centrale des lettres haïtiennes. Toujours averti du moindre événement culturel lié à sa terre natale, il était pour beaucoup une référence. Contraint par la maladie à des astreintes pénibles, il n’en faisait jamais état et conservait un humour et une bonhomie qui lui valait beaucoup d’amis. Il laisse aujourd’hui, à Montréal comme à Port-au-Prince mais aussi à Paris comme à Boston et dans quelques autres villes du monde, un grand nombre d’amis (et de lecteurs) attristés.

Bibliographie
Paysage de l’aveugle, Ed. Pierre Tisseyre, 1977,
Mère-solitude, Albin Michel, 1983, rééd. Serpent à plumes, 1994,
Passages, L’Hexagone 1991, rééd; Serpent-à-plumes, 1994,
La Discorde aux cent voix, Albin Michel, 1986,
Les Urnes scellées, Albin Michel, 1995,
Regarde, regarde les lions, avec des photos de Mohror, Myriam Solal, 1995,
Mille eaux, Gallimard, 1999,
Regarde, regarde les lions, Albin Michel, 2001.

Bernard Magnier


A (re)lire : Mille eaux

(MFI) Dans ce petit livre autobiographique, Emile Ollivier a choisi de nous convier à la rencontre de ses souvenirs et d’une tendre galerie de portraits. Il y a, tout d’abord, sa mère qui n’est pas sans évoquer celle de Marguerite Duras, son père qui contraint l’enfant à formuler par écrit une demande d’argent pour aller au cinéma, déterminant à son insu la « carrière » de son fils : « Je date ma naissance à la vie d’écrivain de cet instant » ; sa grand-mère, bien sûr, « analphabète ou presque » qui lui donna cependant le goût des livres... Et bien d’autres personnages entraperçus qui peuplent et donnent vie à ses paysages haïtiens.
Mille eaux qui peut aussi s’entendre « Milo » -diminutif affectueux donné à l’auteur- est un joli petit livre nervuré de tendresse. Mille eaux est un récit de haute mer autobiographique qui sait préserver la part d’ombre et de secret de ce capitaine qui affirmait que « les livres sont des bateaux et les mots leurs équipage ».

Mille eaux, Gallimard, 180 pages, 85 FF

B. M.




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