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13/12/2002
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Nord-Sud : Les nouvelles menaces, fantasmes et réalités
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(MFI) Les stratèges occidentaux réfléchissent aux nouveaux dangers venus du Sud : islamisme ou crime organisé. Mais ils « oublient » volontiers leurs responsabilités. Le livre de Philippe Marchesin rend aux uns et aux autres ce qui leur appartient.
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Le Sud : y penser toujours, en parler rarement. C’est ainsi qu’on pourrait définir, selon Philippe Marchesin, les ambiguïtés du discours occidental sur « les nouvelles menaces » – titre de son dernier ouvrage – qui occupent les stratèges. Est-il pertinent de parler des problèmes que connaissent les Suds du monde en termes de menaces pour un Nord jaloux de son opulence ? Les nouveaux discours sécuritaires s’appuient-ils sur un renouvellement des fantasmes autour desquels l’Occident a toujours construit une partie de son identité, ou trouvent-ils leurs fondements dans une réalité qu’on ne saurait occulter ? Les deux, affirme l’auteur. L’identité européenne, on le sait, se construit depuis toujours par la différenciation avec ce qu’on appelle aujourd’hui le Sud et l’appréciation actuelle, au Nord, des risques que représente le Sud est loin d’être objective. Car il a bien fallu que les experts occidentaux des pays de l’Est, mis au chômage par la disparition du danger soviétique, recyclent leurs compétences.
Marchesin montre bien, nombreuses citations à l’appui, comment on a créé dans les think tanks (instituts de réflexion) des menaces de rechange, dont le danger islamique est la meilleure illustration. Mais les risques n’en existent pas moins : le Sud, qui ne l’a pratiqué longtemps qu’à l’échelle artisanale, est désormais entré de plain-pied dans le crime organisé. De la drogue aux armes, en passant par le terrorisme, ses réseaux ont une sophistication qui n’a rien à envier à celle de leurs « collègues » du monde industriel.
Partant de ce double constat du caractère à la fois fantasmatique et réel des nouvelles menaces venant du Sud, l’auteur s’essaye avec une grande honnêteté à faire le point de ce qui relève de l’un et de l’autre. Mieux, il montre que le Nord est également producteur de risques : les circuits de la corruption par les sociétés transnationales, l’explosion des paradis fiscaux hypocritement dénoncés par les pays mêmes qui les abritent facilitent les agissements des criminels organisés comme des réseaux terroristes, et sont autant de facteurs d’insécurité. En refusant de reconnaître leur part de responsabilité dans le développement de l’insécurité mondiale, les grandes puissances n’aident pas à résoudre les problèmes engendrés par les mutations contemporaines.
Ecrit avant le 11 septembre 2001, cet ouvrage fournit de précieuses grilles de lecture pour comprendre les grandes tendances des relations internationales depuis ce spectaculaire attentat. On lui reprochera toutefois de multiplier les citations, qui constituent l’essentiel de certains chapitres, au détriment de la clarté de l’analyse. Et de verser parfois dans un simplisme quelque peu réducteur, sur les relations franco-africaines en particulier. On notera en revanche, d’intéressants passages sur la nature et les dérives de l’aide au développement, ainsi que sur la confusion systématique faite en Occident entre égalité et identité, différence et infériorité. Et si les problèmes venaient en grande partie de ce vieil amalgame ? Sans répondre à une telle question, ce livre veut aussi être en filigrane une réflexion sur les rapports qu’entretiennent les Occidentaux avec ceux qui ne leur ressemblent pas.
Philippe Marchesin, Les nouvelles menaces, les relations Nord-Sud des années 1980 à nos jours. Paris, Karthala, 2001, 257 pages.
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Sophie Bessis
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