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MFI HEBDO: Culture Société Liste des articles

07/01/2003
Chronique Livres

L’essentiel d’un livre : A La recherche de la mère perdue

(MFI) L’écrivain sénégalais Ken Bugul fait partie de la nouvelle génération de romancières qui sont en train de redéfinir l’espace littéraire africain. Elle publie son cinquième roman : De l’autre côté du regard. Un roman familial qui raconte les souffrances d’une jeune femme privée de l’amour de sa mère.

La littérature africaine noire a longtemps été la chasse gardée des hommes. Pas l’ombre d’une femme parmi les poètes de la négritude, ni parmi les romanciers qui ont pris le relais des poètes à l’approche des indépendances. Il a fallu attendre les années 70 pour voir les premiers écrivains femmes arriver sur la scène littéraire. Mariama Bâ est la première romancière de l’Afrique francophone. Publié en 1979 et écrit sous la forme d’une correspondance entre deux amies de longue date, son roman le plus connu Une si longue lettre donne à lire le vécu quotidien des femmes africaines, fait de polygamie, de souffrances et de solitude affective. Mais c’est seulement dans les années 80, avec l’entrée en scène d’une nouvelle génération de femmes comme Calixthe Beyala, Werewere Liking, Véronique Tadjo, femmes qui sont décidées à mettre en scène non seulement leurs misères émotionnelles, mais aussi leurs corps dans toute sa littéralité et sa littérarité, que naît une littérature féminine originale et profondément subversive.
La sénégalaise Ken Bugul appartient à cette génération de femmes qui ont pris d’assaut l’espace littéraire africain et qui sont en train d’en redessiner les contours à travers une redéfinition des rapports avec le corps, la langue et le temps. On se souvient du scandale provoqué par son premier livre Le baobab fou (1983) qui racontait dans un langage sensuel et cru l’initiation à la drogue, à l’alcool et à la sexualité effrénée d’une jeune africaine échouée en Occident. C’est un récit autobiographique, comme le sont les deux ouvrages suivants (Cendres et braises et Riwan ou le chemin de sable) que Ken Bugul a fait paraître au cours de la décennie 90 retraçant son retour en Afrique et son mariage avec un marabout polygame. L’intérêt des figures de femmes auto-référentielles que cet écrivain atypique met en scène dans ses premiers livres réside dans la liberté avec laquelle celles-ci se construisent à travers la découverte et l’exploration de leurs corps, et à travers la reconnaissance et l’assouvissement de leurs désirs, faisant fi des tabous et des contraintes qu’une société patriarcale oppose à l’accomplissement de la sexualité féminine.
Après un quatrième livre plus proprement romanesque (La folie et la mort, 2000), Ken Bugul est revenue avec son nouveau livre De l’autre côté du regard à la veine autobiographique. Au cœur de ce roman, le thème de l’enfant abandonné par sa mère. C’est le leitmotiv de toute l’œuvre de Ken Bugul qui, dès son premier livre, a érigé l’expérience du mésamour maternel en ressort même de sa quête littéraire et identitaire. De l’autre côté du regard propose une variation sur le même thème. Raconté à la première personne, sous la forme d’un long monologue poétique rythmé par la nostalgie, la colère et la frustration, ce livre retrace les tentatives désespérées de la narratrice pour entrer en communion avec sa mère disparue. Séparée d’elle une première fois lorsque celle-ci l’avait « laissée à Hodar sur le quai d’une gare » (suite sans doute à sa répudiation par un mari polygame), elle la recherchera toute sa vie durant, interpelant la pluie et les nuages pour se rapprocher d’elle après sa mort. Toute la force de ce roman réside dans la qualité de l’imagination de l’auteur qui a su mêler le naturalisme et le mystique, le familial et le fantastique pour raconter un récit tragique de privation fondatrice, de deuil et de quête.

De l’autre côté du regard, par Ken Bugul. Ed. Le Serpent à plumes, 282 p., 16 euros.
Tirthankar Chanda


Littérature et violence

(MFI) « Les littératures du Sud sont, elles aussi, convoquées par cette question majeure que représente la violence », écrit le rédacteur en chef de Notre Librairie, Dominique Mondoloni, dans la présentation du numéro 148 de sa revue consacré à la place de la violence dans les productions littéraires de l’Afrique, des Caraïbes et de l’Océan Indien. Comment la littérature médiatise la violence du vécu des peuples du Sud, quelles sont les modalités de représentation de cette violence, telles sont les questions auxquelles les collaborateurs de la revue ont tenté de répondre. Les réponses sont organisées en trois parties : une première partie où les rapports étroits entre la violence et la littérature sont évoqués dans la perspective de l’histoire littéraire ; une deuxième partie dédiée à l’influence de la violence sur l’esthétique et les formes ; et enfin, un troisième volet intitulé « En quête de sens... » qui met à contribution psychanalystes (Fanon), anthropologues (Arachu Castro et Paul Farmer), sociologues (Laënnec Hurbon), mais aussi éditeurs et écrivains pour appréhender dans toute sa complexité le sens de l’invasion du champ littéraire par les violences de la vie. Pour Bernard Mouralis, auteur de l’article d’ouverture du dossier, « la question de la violence est, depuis les origines, un thème majeur de la fiction africaine. Son importance tient sans doute d’abord à la place que la violence occupe dans l’expérience historique des peuples africains, à travers la traite et l’esclavage, la colonisation et la décolonisation, l’apartheid, les guerres particulièrement atroces dont certains Etats africains ont été le théâtre depuis 1960, les génocides » . Les villes, les enfants-soldats et les orphelins, mais aussi les transgressions langagières sont les figures constitutives de cette thématique de la violence. « Le langage aussi traduit, dans sa démesure, la violence qui déstructure les individus et la société : les dialogues sont rares, les débats d’idées absents, les personnages ne pouvant plus établir de relations maîtrisées. Demeurent les interjections, les phrases hachées, les délires. La syntaxe elle-même est malmenée... », commente Dominique Ranaivoson dans son article consacré à la violence dans la littérature malgache contemporaine. Riche en contributions et en réflexion, ce numéro de Notre Librairie éclaire d’une manière saisissante une dimension incontournable des littératures du sud.

« Penser la violence », Notre Librairie, n° 148, juillet-septembre 2002.
T. C.


Alloula, le Gogol algérien

(MFI) Tombé en pleine rue sous les balles de présumés terroristes islamistes en mars 1994, le dramaturge algérien Abdelkader Alloula a laissé une œuvre théâtrale forte et riche d’enseignements. Après Les Généreux en 1995, les éditions Actes Sud ont choisi de publier la première traduction française de quatre autres de ses pièces écrites entre 1969 et 1975.
Les Sangsues, le Pain, la Folie de Salim et les Thermes du Bon-Dieu brossent le portrait d’une époque où l’Etat algérien se construit sur le modèle des pays de l’Est. La toute-puissance bureaucratique a pris le pas sur la raison et le bon sens populaire. Face à des fonctionnaires ignares, mal payés et souvent corrompus, de malheureux citoyens tentent de faire valoir leurs droits ou tout simplement de survivre. A cette époque, l’auteur est fortement influencé par l’œuvre de Nicolas Gogol, mais le côté absurde et souvent cocasse de ses mises en scène évoque irrésistiblement Alfred Jarry. Cette critique est aussi empreinte de poésie. Enfants des rues, mères éplorées, épouses harassées que l’on croise au fil des textes offrent une image impressionniste de l’Algérie laborieuse de années 70.
Sans pitié pour les bureaucrates, l’auteur se montre en revanche plein de fraternelle tendresse pour les petites gens. Salim, devenu fou d’amour pour Raja, la fille de son directeur, Si-Ali, l’écrivain public qui ne fait pas payer les pauvres ou le rusé Mokhtar capable de tous les subterfuges pour approcher une mystérieuse personnalité susceptible de faire avancer un dossier, sont autant de personnages attachants, authentiques représentants d’un peuple sans cesse bafoué et toujours mis en avant.
Utilisant le théâtre pour formuler une critique radicale de la société, Abdelkader Alloula ne dérangeait sans doute pas que les prétendus islamistes. Sa mort, attribuée aux groupes armés qui ont mis l’Algérie à feu et à sang durant la décennie 90, est restée impunie et surtout mystérieuse. C’est lui rendre hommage que de relire ses textes.

Addelkader Alloula : Les Sangsues, suivi de Le Pain, La Folie de Salim, Les Thermes du Bon Dieu. Traduit de l’arabe par Messaoud Benyoucef. Ed. Actes Sud, 250 p., 25 euros
Geneviève Fidani


Le « Portrait du colonisé » réédité en poche

(MFI) Ce livre d’Albert Memmi a connu une brillante carrière – brillante et méritée. Ecrit avant la guerre d’Algérie, le philosophe et sociologue décrivait avec la rigueur qu’on lui connaît la physionomie du colonisateur comme du colonisé, les rôles dans lesquels chacun était enfermé, la tragédie qui forcément se nouait entre eux, et même l’issue inévitable de cette tragédie – une coupure politique totale entre les deux mondes, dont l’épisode le plus douloureux a été le sanglant conflit algérien et le retour en France des descendants des colonisateurs. Paru en 1961 (des premiers extraits ayant paru dès 1956 dans Les Temps modernes et Esprit), préfacé par Jean-Paul Sartre qui concluait que sur le sujet « tout est dit », ce livre a été commenté dans les facultés, lu et relu dans tout le Tiers Monde. « Nous considérons, écrivait pour sa part Alioune Diop, que ce Portrait est le meilleur des ouvrages connus sur la psychologie coloniale » . En fait, Memmi a brillamment montré comment une situation engendre des comportements et les renforce jusqu’à la sclérose et comment « la colonisation fabrique des colonisés et des colonisateurs ».
Ayant clairement établi que le seul but de la colonisation (malgré les grands discours) est la recherche du profit, il brosse les portraits du colonisateur le plus raciste jusqu’au gauchiste-en-porte-à-faux, en passant par le petit colon tout de même privilégié (par rapport aux autochtones), le médiocre fonctionnaire ou l’expatrié de bonne volonté, qui finira par renoncer et retourner chez lui. Il montre surtout comment le mépris, la dévalorisation du colonisé (tout comme il le montrera pour le racisme) justifie l’entreprise de domination et d’exploitation. Entreprise coloniale -il fallait l’écrire à l’époque, dans la France encore imprégnée des idéaux de la Résistance !- « qui porte ainsi en son sein les germes de la tentation fasciste ». Le colonisé, de son côté, tout en se débattant entre l’admiration envers le puissant et la haine de sa propre faiblesse, se réfugie dans la famille et la religion, forcément survalorisées par rapport à une impossible action extérieure sur la société et le monde. Déjà, Albert Memmi décrivait l’inévitable rejet de la domination - révolte adolescente - précédant les ambiguïtés de la nécessaire affirmation de soi des peuples et des individus enfin dits libres.
Livre-événement devenu un classique, ce Portrait du colonisé garde tout son intérêt, historique et d’actualité – la colonisation a disparu, mais non la domination, l’exploitation ou le racisme. A lire donc aussi L’Homme dominé et Le Racisme, deux autres essais, devenus des références, du même auteur.

Albert Memmi : Portrait du colonisé, précédé de Portrait du colonisateur. Ed Folio, 162 p.
Henriette Sarraseca


Nouvelle collection d’Histoire au quotidien

(MFI) Nous introduire dans l’intimité des anciens Egyptiens ou des pionniers de l’Ouest nord-américain, nous faire connaître leur vie sociale et leurs mentalités, c’est ce que propose cette nouvelle collection de beaux livres à la maquette fort agréable : une moitié de textes relativement brefs, une moitié d’illustrations en couleur. Durant les trois mille ans qu’a duré la civilisation des pharaons, les Egyptiens ont eu le loisir et le génie de développer – grâce à la richesse agricole de la vallée du Nil – nombre de sciences et d’arts. Grands buveurs de bière, les Egyptiens pratiquaient la lutte et la natation, jouaient de la lyre et du luth, et les riches faisaient déjà des « safaris » dans le désert. La vie familiale était riche et les amoureux écrivaient des poèmes à leurs aimées : « Ta main est portée sur ma main. Mon corps est heureux. Mon cœur est dans la joie, car nous marchons ensemble ». La vie était beaucoup plus rude pour les pionniers de l’Ouest américain… et pour les Indiens, considérés comme « un obstacle à la civilisation blanche » jusqu’à ce que les Quakers (qui avaient été persécutés eux aussi) et des ligues féminines ne commencent à faire évoluer les mentalités. Le livre met l’accent sur la pauvreté et la rudesse de la vie au quotidien, surtout pour les femmes. Plus tard, quand la « civilisation » avait commencé de pénétrer le sous-continent, il fallait tout de même vingt-quatre jours de diligence pour aller du Mississipi à Los Angeles, ainsi qu’une solide santé : « Vingt-quatre jours et autant de nuits à passer dans cette voiture, témoigne un écrivain. Les voyageurs, bourrés de whisky et épuisés par le manque de sommeil sont parfois obligés de se laisser attacher à leurs sièges. Les repas expédiés pendant les dix minutes de la halte sont absolument abominables ». Désormais, on regardera les westerns d’un autre œil !

Au temps des pharaons ; Au temps de la conquête de l’Ouest ; Au temps du Roi-Soleil. Ed. Larousse. 192 p., 29 euros le volume.
H. S.


Qu’est-ce donc que l’Irak ?

(MFI) L’Irak se retrouve aujourd’hui sur la couverture de tous les journaux. Mais que savons-nous de son histoire, de son passé récent ? Du pétrole et de l’eau en abondance, une démographie équilibrée, l’ancienne Mésopotamie, berceau des cultures, avait tout pour devenir un pays riche et moderne. Pourquoi en est-il arrivé là aujourd’hui ? Pour comprendre la « question irakienne » qui explose à la face du monde, Pierre-Jean Luizard, chercheur au CNRS, remonte le temps, revient aux origines du pays pour exhumer une histoire occultée par la colonisation anglaise. Mais s’il passe du mandat britannique à la révolution de 1920, de l’analyse du chiisme à celle de la montée du clan de Saddam Hussein, du rôle du pétrole dans la guerre à la question kurde, l’auteur n’oublie ni l’histoire commune avec l’Iran ni les dernières péripéties avec l’ennemi juré : les Etats-Unis. Très documenté, il dresse le portrait d’un pays complexe qui vaut mieux que les stéréotypes qu’on lui accole trop souvent.

Pierre-Jean Luizard : La question irakienne. Fayard, 337 p., 20 euros.
Moïra Sauvage


un auteur à découvrir : La voix singulière de Maïssa Bey

(MFI) Auteur de cinq romans, Maïssa Bey est algérienne. Les blessures et les silences de son peuple constituent les matériaux de sa fiction.

Avec cinq titres publiés, la romancière algérienne Maïssa Bey a su imposer sa voix dans la très masculine bibliothèque des littératures du Maghreb. La parution de son dernier récit, Entendez-vous dans nos montagnes, offre l’occasion de s’attarder sur l’ensemble de ses publications. Dès 1998, avec A contre-silence, Maïssa Bey invitait déjà à la rencontre bouleversante, chaleureuse et dense de son univers. Le long entretien qui composait l’essentiel du livre était accompagné de photos d’enfance, d’un texte manuscrit, de quelques poèmes et textes en prose, du premier chapitre d’un roman... Déjà, la haute figure du père, « ce rebelle », un instituteur torturé et exécuté durant la guerre, hantait les pages de ce livre, et nul doute que Maïssa Bey trouve en ce juste un modèle. Enseignante demeurée au pays, les douleurs de l’Algérie d’aujourd’hui sont aussi, évidemment, au cœur de ses préoccupations et elle se fait un devoir de dire le rôle, difficile et courageux, que peuvent y jouer les femmes. Elle affirme volontiers que « le statut de la femme algérienne est bien plus enviable que celui de la plupart des femmes arabes ». Dès lors, ses autres livres trouvent leur source entre ces deux pôles, ces deux douleurs. Blessure plus personnelle avec Cette fille-là, douleurs collectives dans Nouvelles d’Algérie, mais une même façon de s’inscrire au monde et cette même volonté d’oeuvrer à la cause avec les armes de son talent.
Il en est ainsi avec sa dernière publication, Entendez-vous dans les montagnes, un court récit, tout de retenue et de gravité, de complicité et de transmission comme le suggère la double dédicace : « à celui qui ne pourra jamais lire ces lignes », « à mes fils ». Un livre qui vient comme une épitaphe pour apaiser la peine à défaut de cicatriser tout à fait la blessure. Seule dans un compartiment d’un wagon des chemins de fer français, une femme s’apprête à se plonger dans la lecture d’un livre. La solitude lui convient et elle commence à en apprécier les premiers instants lorsqu’un homme d’une soixantaine d’années (« mon père aurait à peu près le même âge ») vient prendre place avec elle ; plus tard, ils seront rejoints par une jeune fille « blonde et lisse, jeans et baskets, sûre d’elle, visiblement bien dans sa peau, à l’image de presque toutes les jeunes filles ici ». La conversation s’engage. Ils ont en commun l’Algérie, mais les générations et les rives de la Méditerranée les séparent... « Une petite fille de pieds-noirs, un ancien combattant (français), une fille de fellaga (...) elle-même contrainte à fuir son pays pour échapper à la folie intégriste ». Les blessures, les silences et les oublis vont alors tisser une maille des plus fines entre ce trio « presqu’irréel » de l’innocente, de la victime et du bourreau... Ainsi, Maïssa Bey poursuit son travail de mémoire et impose peu à peu son nom et ses murmures comme autant de petites touches d’humanité, de bouteilles adressées à la mer du silence, comme autant de paroles pour vaincre les non-dits.

Au commencement était la mer, Marsa, 1996
Nouvelles d’Algérie, Grasset, 1998
A contre silence, Paroles d’Aube, 1998
Cette Fille-là, Paroles d’Aube, 2001
Entendez-vous dans les montagnes, Editions Barzach, Editions de l’Aube, 2002
Bernard Magnier




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