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21/02/2003
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Le succès mitigé de l’édition 2003 du festival du livre de Bamako
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(MFI) Le rideau est tombé sur la troisième édition de la manifestation littéraire de Bamako, organisée à l’initiative de l’association Etonnants voyageurs. Bilan plutôt décevant de quatre jours de rencontres autour des heurs et malheurs du livre africain.
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On ne dira jamais assez combien le festival international du livre dont la troisième édition s’est déroulée dans la capitale malienne du 07 au 10 février, en présence d’une trentaine d’écrivains africains et français, est un événement nécessaire. Nécessaire car un tel festival permet d’installer le livre dans la culture littéraire malienne essentiellement orale, comme n’a cessé de le rappeler le ministre malien de la culture Cheikh Oumar Sissoko qui a rendu visite aux festivaliers presque tous les jours.
Nécessaire aussi parce que chaque fois qu’on parle de la littérature africaine en Afrique, cela contribue à réduire un peu le fossé qui sépare le livre africain de ses destinataires naturels... les Africains. Comme la littérature africaine contemporaine est écrite et publiée pour l’essentiel à l’étranger, ceux-ci n’y ont guère accès et pourtant ce sont leurs peines et leurs espoirs, leurs rêves et leurs fantasmes qui constituent la matière de cette littérature. D’où l’intérêt d’un festival tel qu’Etonnants voyageurs de Bamako. A condition bien sûr que le public soit au rendez-vous.
Malheureusement, ce ne fut pas le cas cette année. Les chaises étaient désespérément vides pendant les rencontres et les débats. Les stands des éditeurs aussi. Le déplacement du festival du Centre culturel français au Palais de la Culture situé sur l’autre rive du fleuve Niger qui coupe la ville en deux, n’est sans doute pas étranger à la chute de la fréquentation par rapport aux deux précédentes éditions.
Immense et peu accueillant, le Palais de la Culture n’est pas un endroit très fréquenté. Situé loin du centre ville, il n’est pas facilement accessible non plus au grand public. Sans doute un système de navettes de bus entre le centre ville et le Palais aurait-il davantage incité les mordus de la littérature de faire le déplacement. Et les mordus de la littérature il y en a à Bamako, si l’on en croit l’expérience des auteurs qui sont allés dans les écoles et les collèges de la capitale et qui en sont revenus fortement impressionnés par les classes et les amphis bondés. Une coordination plus poussée avec les chefs des établissements scolaires aurait sans doute permis à ces jeunes des lycées et des collèges de la capitale de poursuivre leur découverte de la littérature africaine en participant aux rencontres du Palais sans craindre de se faire taper sur les doigts par leurs professeurs pour absentéisme. Les autorités maliennes se sont engagées à remédier à cela et à sensibiliser la population en organisant dans le Palais de la Culture tout au long de l’année des cafés littéraires. Ainsi on espère que le pli sera pris et que les Bamakois seront plus nombreux dans les allées du jardin du Palais en février prochain pour la quatrième édition des Etonnants voyageurs.
Il faudrait aussi que l’année prochaine le festival soit davantage recentré sur la création littéraire. « Mince, quand est-ce qu’on parle de la littérature ? », s’interrogeait à haute voix l’écrivain malgache Michèle Rakotoson le dernier jour du festival. En effet, comble de paradoxe, les oeuvres littéraires étaient les principales oubliées de ce festival international du livre et de la littérature ! Le festival a même réussi l’exploit de rendre un hommage (largement mérité) à l’écrivain sénégalais Aminata Sow Fall sans présenter aucun de ses livres à l’assistance. Cet oubli de la matérialité de la littérature est symptomatique du statut ambigu du livre africain. Pour les Africains, la littérature africaine est un concept abstrait puisque leur difficultés économiques ne leur permettent guère d’accéder aux livres. Les livres africains n’existent pas non plus pour nombre d’occidentaux qui sont épris avant tout de l’idée de la littérature africaine. Mus peut-être par un sentiment de repentance vis-à-vis de l’Afrique, ils construisent l’objet « littérature africaine » à partir d’un discours universalisant et de bons sentiments. Dans leurs discours, il n’y a guère de place pour le livre, comme on le voit en feuilletant le programme des rencontres et des débats aux Etonnants Voyageurs de Bamako où ne figure aucun titre de livre Africain.
Comment s’étonner dans ces conditions que les débats à Bamako furent souvent mal engagés, répétitifs, abstraits quand ils ne sombraient pas carrément dans des règlements de compte personnels ? L’absence d’une thématique centrale, la confusion des genres (roman, conte, folklore) érigée en méthodologie ne pouvait que favoriser les tendances des uns et des autres à dire des banalités sur le devenir de la littérature en Afrique. Selon les auteurs, le problème venait aussi du fait que le programme des débats avait été établi sans les consulter, sans s’assurer que ceux-ci avaient des choses à dire sur les sujets qu’on leur a imposés. A plusieurs reprises, les auteurs se sont dits surpris de se retrouver sur tel ou tel plateau avant de déclarer forfait. Mais les organisateurs n’étaient peut-être pour rien dans la défection des éditeurs du nord qui devaient participer à un débat sur les heurs et malheurs du livre africain. Les Hachette, les Seuil, les Gallimard, qui comptent pour 70% des livres circulant en Afrique, ont brillé par leur absence, laissant courageusement à leurs homologues du sud assumer seul la responsabilité des maux qui frappent l’édition Africaine !
Non, malgré quelques moments de grâce et quelques initiatives heureuses telles que le lancement des ateliers pour l’écriture des scénarios à partir des romans africains, Bamako 2003 n’a pas été un franc succès. Les problèmes de fond et de forme qui ont obéré les chances de succès du festival, mériteraient que les organisateurs y réfléchissent sérieusement. Avec les autorités locales qui tiennent les clés des fréquentations et de la communication avec le grand public. Et surtout avec ces drôles d’« étonnants voyageurs » que sont les auteurs, ceux que le public réclame à Bamako, comme à Saint-Malo. Les impliquer dans l’organisation et l’imagination du festival serait sans doute le meilleur moyen de répondre aux attentes immenses en termes d’échanges, de dialogues que celui-ci suscite.
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Tirthankar Chanda
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