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20/03/2003
Les misères du « Monde »

(MFI) Avis de grosse tempête sur le fleuron de la presse française. Deux livres viennent de paraître coup sur coup mettant en cause les pratiques journalistiques et financières du quotidien de la rue Claude-Bernard, que beaucoup croyaient au-dessus de tout soupçon.

Deux journalistes, Pierre Péan et Philippe Cohen, viennent de créer l’événement politico-médiatique de ce début d’année en publiant un ouvrage au vitriol dans lequel ils attaquent le quotidien parisien Le Monde, un journal jusque-là quasi unanimement respecté et considéré comme une véritable institution. L’ouvrage, intitulé La Face cachée du Monde, a fait la « une » des journaux français et a provoqué une avalanche de commentaires dans tous les médias. C’est qu’il constitue un véritable réquisitoire contre les trois dirigeants du journal, Alain Minc, économiste de renom, président du conseil de surveillance, Jean-Marie Colombani, président du directoire et principal responsable du journal, et Edwy Plenel, directeur de la rédaction. Le Monde a longuement répondu, notamment dans un article occupant toute une page, aux « accusations calomnieuses » – selon lui – contenues dans le livre. Un précédent ouvrage de Pierre Péan, Une jeunesse française : François Mitterrand, sur le passé vichyste de l’ancien président, avait déjà déclenché une vive polémique lors de sa parution, en 1994. Pierre Péan a aussi écrit plusieurs livres sur l’Afrique, dont l’un sur Jacques Foccart, L’homme de l’ombre. Philippe Cohen a brièvement collaboré au Monde il y a quelques années avant d’entrer à l’hebdomadaire Marianne.

Combinaisons financières

Les deux auteurs épinglent en particulier le journal parisien sur un problème de déontologie, relatif à la presse gratuite, en l’occurrence la publication en France d’un quotidien intitulé 20 minutes. Le Monde publie à cette occasion un éditorial dans lequel il s’élève contre cette presse gratuite qui fait une concurrence déloyale aux journaux payants. Mais il se trouve que le dit journal gratuit est imprimé sur les rotatives du Monde… Péan et Cohen ont beau jeu de dénoncer ce qu’ils estiment être une preuve de la duplicité de l’équipe dirigeante du journal. Dans le même registre, ils lui reprochent une combinaison financière avec les Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne, l’organisme qui distribue les journaux de la capitale. Le Monde est intervenu pour obtenir du gouvernement une subvention importante pour rétablir les finances des NMPP, et, une fois la subvention obtenue, a réclamé aux NMPP d’importants honoraires pour son action de « lobbying » auprès du ministère de la Communication.
A ces reproches qui mettent gravement en cause l’honnêteté « financière » de l’équipe dirigeante, Pierre Péan et Philippe Cohen en ajoutent d’autres qui ont trait cette fois au contenu éditorial du journal. Le reproche peut-être le plus inattendu est celui de « francophobie » : pour les auteurs, Le Monde dénigre systématiquement la France, soit pour la collaboration avec l’occupant allemand pendant la seconde guerre mondiale, soit pour son passé colonial (notamment la torture pendant la guerre d’Algérie). Péan et Cohen relèvent aussi dans un chapitre intitulé « Le Monde tel qu’il hait », le lynchage médiatique d’un certain nombre de personnages en vue, comme Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre de Lionel Jospin, ou Loïk Le Floch-Prigent, ancien patron d’Elf. Ils s’indignent encore de la partialité politique d’un journal qui se veut au-dessus de la mêlée, mais qui lors de l’élection présidentielle de 1995 a soutenu ostensiblement Edouard Balladur contre Jacques Chirac, un Jacques Chirac que, d’après eux, des vedettes du journal affirmaient vouloir « tuer », politiquement s’entend. Enfin, les deux auteurs expriment le regret que Le Monde a perdu le sérieux austère du temps de son fondateur, Hubert Beuve-Méry, pour dériver vers le fait de société croustillant et la mise en scène de l’information.
Les auteurs reviennent par ailleurs sur une affaire qui avait fait grand bruit, celle de la mise sur écoute par l’Elysée d’Edwy Plenel, ancien trotskiste, mais soupçonné par François Mitterrand d’être un agent de la CIA – ce dont bien entendu l’intéressé se défend farouchement. Pour mieux éclairer les comportements de Plenel et de Colombani, Péan et Cohen ont « fouillé » le passé de leur père respectif : ils notent que celui de Plenel, universitaire, s’était engagé aux côtés des indépendantistes de la Martinique, et que celui de Colombani avait été un moment séduit par l’Italie mussolinienne qui revendiquait la Corse.
Les trois dirigeants du journal ont refusé que les deux auteurs du livre soient conviés à une émission de télévision au cours de laquelle ils ont présenté leurs arguments. Dans un livre publié il y a quelques années et intitulé Un temps de chien, Edwy Plenel affirmait que le devoir d’un journaliste d’investigation était de « porter la plume dans la plaie ». Un précepte que Pierre Péan et Philippe Cohen ont apparemment voulu appliquer à son journal.

La face cachée du Monde, par Pierre Péan et Philippe Cohen. Ed. Fayard, 631 p., 24 euros.

Claude Wauthier


Cinq questions à Pierre Péan

MFI : Avec ce nouveau livre dénonciateur, ne risquez-vous pas de donner l’impression de vous prendre pour une sorte de redresseur de tort professionnel ?
Pierre Péan :
Je n’ai pas ce sentiment. J’ai réagi probablement avec passion parce que c’est un journal auquel je suis attaché, mais qui nous a déçus. Il ne s’agissait pas de dénoncer Le Monde, mais de provoquer un débat qui est aujourd’hui public comme je l’espérais.

MFI : Votre description du journal et des trois dirigeants que vous épinglez n’est-elle pas un peu trop manichéenne ? Vous n’avez pas un mot en leur faveur…
P. P. :
Nous avons enquêté sur la « face cachée » du journal. Il y a bien sûr une autre face – lumineuse – et cela ne m’écorche pas du tout la bouche de dire que Le Monde est un vivier de très bons journalistes. Notre propos, c’est de dire ce qui ne va pas, et non de dire ce qui va bien.

MFI : Vous semblez vous indigner des manœuvres de ces trois dirigeants pour accéder aux postes de commande. Mais cette compétition pour le pouvoir n’est-elle pas monnaie courante, dans les entreprises de presse comme ailleurs ?
P. P. :
Nous ne nous indignons pas, nous nous contentons de décrire. Le mot « indignation » ne correspond pas à notre démarche.

MFI : Votre enquête sur les pères de Jean-Marie Colombani et d’Edwy Plenel était-elle indispensable à votre démonstration de l’arrivisme des fils ?
P. P. :
Edwy Plenel parle constamment de son père dans ses deux livres, Les mots volés et Secrets de famille. De même Jean-Marie Colombani met son père au centre de son ouvrage Les infortunes de la République à propos de la Corse. De surcroît, il explique ses affinités profondes avec Edwy Plenel par la similarité de leurs liens avec leur père respectif.

MFI : Vous estimez que Le Monde dénigre la France et qu’il est francophobe : n’est-ce pas là un jugement excessif ?
P. P. :
Les articles de Colombani et de Plenel sur Vichy et sur la guerre d’Algérie nous semblent relever d’une sorte d’obsession et ressemblent à des campagnes de presse. Si nous sommes tout à fait pour le devoir de mémoire, nous pensons que la manière dont ces sujets sont traités donnent une image déformée et négative de la France.

(Propos recueillis par Claude Wauthier)


« Le Monde » et les livres

(MFI) Après la publication de La Littérature sans estomac de Pierre Jourde (La Fosse aux ours), qui attaquait assez violemment le contenu du Monde des Livres, et différentes pratiques et méthodes de ses rédacteurs, un déjeuner a réuni les responsables du journal – Josyane Savigneau, Patrick Kéchichian et Jean-Luc Douin – et l’éditeur de Pierre Jourde, Eric Naulleau. Aux dires de ce dernier – qu’on n’a aucune raison de mettre en doute – le déjeuner s’est déroulé dans une ambiance tendue et des propos peu amènes ont été échangés. Josyane Savigneau aurait même traité Pierre Jourde de crétin des Alpes.
Après le déjeuner, Eric Naulleau a voulu participer lui aussi à la fête des pamphlets en rédigeant et en publiant une sorte de compte-rendu, ironiquement intitulé Petit Déjeuner chez Tyrannie, sans qu’on sache si la tyrannie en question est celle du cahier littéraire du Monde ou celle de sa directrice. Toujours est-il que les reproches formulés par Naulleau et Jourde rejoignent les inquiétudes des lecteurs du Monde des Livres. Ceux-ci sont lassés par la culture systématique, universelle et superficielle d’un Philippe Sollers qui est un des principaux collaborateurs extérieurs de ces pages, qui se répète sur tous sujets, tous auteurs dans presque chaque numéro. Les lecteurs s’étonnent que l’on puisse être à la fois directeur littéraire dans une maison d’édition, auteur et critique dans Le Monde des Livres (évidemment, sans doute par déontologie, on ne critique pas soi-même ses propres livres ni ceux que l’on édite !). On a parfois l’impression que le renvoi d’ascenseur semble entrer dans la ligne éditoriale du supplément. A la décharge de ce dernier, ce serait bien le seul endroit où il n’y en aurait pas !
Tout cela est vrai et parfois agaçant. Mais nous sommes bien loin de l’ancienne querelle Barthes-Picard où deux conceptions de la critique et de la littérature s’affrontaient. Et c’est là sans doute que le bât blesse. Si l’on devine les préférences littéraires des journalistes grâce au nom des auteurs qu’ils citent, on aimerait en savoir un peu plus sur leurs conceptions esthétiques – et politiques – et sur la fonction de la littérature et de la critique. Mais Le Monde des Livres n’est qu’un journal, non un service public. Ses responsables préfèrent et défendent ceux qu’ils veulent. Faut-il vraiment s’en inquiéter ? Seuls 10 % des acheteurs du quotidien lisent le supplément livres, semble-t-il. C’est tout dire.

Petit Déjeuner chez Tyrannie, par Eric Naulleau, suivi de Le Crétinisme alpin, par Pierre Jourde. Ed. La Fosse aux Ours, 185 pages, 16 euros.

Jean Guiloineau




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