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13/03/2003
Un passionnant tour du monde des médecines

(MFI) Quoi de commun entre les médecines africaine ou chinoise, égyptienne ou amérindienne, arabe ou tibétaine ? Elles sont toutes holistiques, globales, avant tout préventives mais aussi curatives. Anthropologue, ancien membre de l’OMS, Claudine Brelet revisite quinze grandes traditions qui, tout comme les « musiques du monde », font partie du patrimoine commun de l’humanité. Un ouvrage exceptionnel.

« Il n’y a pas que les vieilles pierres ou la baie du Mont St Michel à sauvegarder ! » Claudine Brelet est passionnée par le sujet, vaste comme la planète. Il lui a fallu cinq années pour rédiger cet ouvrage de près de mille pages, qui est en fait le fruit du travail de toute une vie : de sa formation d’ethnologue au Musée de l’Homme à Paris et à Sofia en Bulgarie, de son travail pour l’OMS à Genève, New York et Copenhague, de ses nombreuses missions en Afrique. De son expérience intime aussi : en 1974 elle a été la première Française à accoucher par césarienne, sous acupuncture. Courageuse ? « Je l’ai vécu comme une initiation. » C’est dire si son livre est nourri de connaissances, de pratiques, de milliers de rencontres.
On se plonge dans chaque chapitre comme dans un roman qui raconte l’histoire, la culture d’un peuple, les conditions ayant permis la naissance d’un système de guérison : on se retrouve donc parmi les chamanes – les plus anciens thérapeutes –, en Afrique noire, à l’ombre des pyramides, chez les Hébreux et chez les Arabes, du côté de l’Inde, du Tibet et de la Chine, dans les Amériques enfin. La plupart de ces systèmes ont traversé les siècles et sont toujours bien vivants. Les médecines orientales, chinoise et ayurvédique en tête, font aujourd’hui un beau parcours dans les pays développés.
Cinq autres chapitres permettent de mieux comprendre comment s’est constituée la médecine occidentale moderne, ce qu’elle a gardé de ses racines et ce qu’elle a, hélas, perdu : débuts en Grèce au temps d’Hippocrate, puis les médecines gnostiques des premiers temps chrétiens (de Galien, sous Rome, aux médecins de Molière), la science des druides à qui il fallait vingt années d’apprentissage de leur art, la médecine alchimique et les réformes humanistes, et un enseignement original enfin, celui de Rudolf Steiner qui a donné la médecine anthroposophique, très subtile et toujours pratiquée.

La transe, technique thérapeutique

Les médecines africaines ont apporté leur pierre à l’édifice : « Elles ont montré, dit l’auteur, que concevoir le malade de manière isolée, hors de son environnement social, familial et naturel est une énorme bêtise ! Ce n’est pas le malade seul qui est pris en compte mais aussi tout son environnement, familial et social, ce qui est une démarche scientifique en soi puisqu’on cherche ainsi la cause de sa maladie. » Claudine Brelet rappelle l’étonnement des Occidentaux, dans les années 60, à la vue du film de Jean Rouch, Les Maîtres fous : tout le monde participait aux scènes de transe. Depuis, les effets de la transe sur le système neurovégétatif ont été étudiés dans le milieu médical et psychiatrique, aussi bien aux Etats-Unis qu’en France, par exemple, avec Jacques Donnars ou Georges Devereux. « L’induction de la transe est une véritable technique thérapeutique illustrant combien les populations qui la pratiquent ont compris, de manière empirique, que cet équilibre (ce "bien-être physique, mental et social", selon la définition que donne l’OMS de la santé) dépend du fonctionnement harmonieux de cette part de nature existant en chaque être humain. A cet égard, le guérisseur mérite d’être reconnu comme un véritable "manager de la transe". De fait, le tradipraticien sait aussi manipuler la colonne vertébrale, réduire des fractures, pratiquer des amputations et des sutures, inciser des abcès, extraire des filaires, obturer des caries et "notamment au Soudan et en Ethiopie, traiter des blessures traumatiques abdominales accompagnées d’éviscération, voire pratiquer des ovariectomies et des césariennes." »
Ce livre érudit (la cosmogonie yorouba compte quelques quatre cents orishas ou divinités !) est aussi un livre pratique : il existe par exemple plus de six cents espèces de yam, plante aux nombreuses vertus, utilisée en Occident par les femmes ménopausées et averties pour sa progestérone. Quant aux propriétés des nombreuses plantes connues des tradipraticiens, des alcaloïdes calmant les états d’agitation aux cardiotoniques en passant par celles qui soignaient la lèpre ou la gale, elles sont loin d’avoir été toutes vérifiées.
Tardivement connues, toutes ces médecines du Sud ou d’Orient n’ont longtemps suscité que mépris ou condescendance de la part des « collègues » du Nord. Mais les temps changent, l’anthropologue Claudine Brelet le constate. En mai 2002, l’OMS a lancé la première stratégie mondiale pour l’étude et la reconnaissance des médecines traditionnelles. Les plantes et certaines pratiques suscitent convoitise ou intérêt. Surtout, il y a la demande du grand public, des malades - ou des bien-portants souhaitant le demeurer - qui s’intéressent de plus en plus aux médecines douces et naturelles, alternatives ou complémentaires, à celles qui considèrent l’être humain plus comme un « coresprit » interagissant avec son environnement que comme un assemblage d’organes.

Médecines du monde, par Claudine Brelet. Ed. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 926 p., 28,95 euros.
Un site pour plus d’informations et une bibliographie exhaustive : http://cbrelet.free.fr

Henriette Sarraseca


Trois questions à Claudine Brelet

MFI : Que peuvent nous apporter ces médecines du monde ?

C.B. :
Plusieurs choses essentielles. Outre que, dans les pays du Sud, quatre personnes sur cinq y ont toujours recours, elles peuvent reconnecter les autres avec leurs racines, leur donner plus de confiance en soi. Ensuite, elles mettent l’accent sur l’hygiène de vie au quotidien, leur but étant d’abord de préserver la santé des personnes, de renforcer ce qu’on appelle aujourd’hui le système immunitaire. Importante aussi, leur dimension psychologique. Or on sait maintenant combien la santé est liée au bien-être ou au mal-être mental. Dans le dernier rapport de l’OMS, on voit que 26 % des maladies ont des causes psychiatriques à Paris, alors que pour Ibadan au Nigeria, par exemple, le chiffre est de 7 % seulement. Ces médecines n’essaient pas d’effacer les symptômes mais de trouver les causes du trouble, et ces causes peuvent être dans le comportement d’un ou de plusieurs membres de la famille ou de la communauté. Voilà une preuve supplémentaire apportée au moulin de la médecine psychosomatique, mais aussi à la responsabilisation de la collectivité.

MFI : Quel regard l’anthropologue que vous êtes porte-t-elle sur la médecine moderne ?

C.B. :
Justement, la grande leçon de ces médecines est que la science telle que nous l’avons conçue à la Renaissance est quand même très restrictive au plan de l’être humain, des soins donnés à l’être humain. Mais la génération des jeunes médecins voyage, ils parlent d’autres langues, et, voyageant plus, ils n’ont pas cette forme de racisme culturel qui a existé longtemps dans la médecine occidentale. Je pense que la jeune génération de médecins en France se dégage de l’ethnocentrisme qui était l’héritage de la Renaissance, de la philosophie aristotélicienne.

MFI : Cependant, beaucoup de gens ne croient toujours pas à l’efficacité d’autres médecines...

C.B. :
Ce terme « croire » me fait bondir ! Lorsque j’ai accouché de ma seconde fille, par césarienne et sous acupuncture, on me disait « puisque vous y croyez »... Mais l’acupuncture ne relève pas du domaine de la croyance ! Ce n’est pas Dieu ou le père Noël, c’est une méthode, proposée en Allemagne par 77 % des services soignant la douleur, enseignée dans plusieurs facultés en France... De même, des essais contrôlés ont établi que l’hypnose ou la relaxation peuvent soulager l’anxiété, les peurs paniques ou l’insomnie, que le yoga peut réduire les crises d’asthme. Aujourd’hui, trois personnes sur quatre vivant avec le VIH/sida font appel à des traitements traditionnels ou complémentaires pour divers symptômes et pathologies. L’artemisia, utilisée depuis deux mille ans par les Chinois, est efficace contre le paludisme résistant... Tout ceci montre bien qu’il y a des amalgames qui relèvent simplement de la confusion mentale !

(Propos recueillis par Henriette Sarraseca)




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