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24/04/2003
Chronique Livres

L’essentiel d’un livre : Autobiographie de Coetzee, suite…

(MFI) Avec Vers l’âge d’homme, le romancier sud-africain John Michael Coetzee livre le deuxième volet de son autobiographie. Il se penche ici sur les drames et les traumatismes de son entrée dans l’âge adulte.

Nous sommes dans les années 60. Le jeune protagoniste des Scènes de la vie d’un jeune garçon a échappé à sa famille étriquée et l’amour étouffant de sa mère pour aller vivre seul à Cape Town. Il s’est inscrit à l’université. Son plan est « de mener à bien ses études de mathématiques puis partir à l’étranger et se consacrer à l’art ». Un plan qu’il met à exécution en partant pour Londres dès qu’il obtient son diplôme.
Quelles sont les raisons qui poussent le jeune Coetzee - désigné par son premier prénom tout au long du livre - à quitter l’Afrique du Sud ? Il y en a au moins deux. Tout d’abord, parce qu’il veut vivre la vie à plein. « Il est venu à Londres pour faire ce qui est impossible en Afrique du Sud : explorer les profondeurs. Si on ne descend pas dans les profondeurs, on ne peut être un artiste. » Mais, c’est surtout la prise de conscience de la situation politique explosive de son pays qui conduit le jeune homme à s’enfuir à l’étranger. Il pense qu’il y aura une révolution dans cinq ans. Pour mieux réprimer la colère de la population noire, le gouvernement sud-africain s’est lancé dans une vaste campagne de conscription de jeunes Blancs. Pour John, il n’est pas question de gaspiller les années précieuses de sa jeunesse à suivre un entraînement militaire dont le seul objectif est de maintenir les Noirs sous le joug de l’apartheid. « Comment peut-on espérer tenir bon contre eux quand on ne sait pas ce qu’on veut défendre. [...]Il n’y a qu’une chose à faire : fuir. » Cette condamnation sans équivoque du régime raciste sud-africain est une première sous la plume de Coetzee. Elle mettra définitivement fin aux critiques qu’ont valu à l’écrivain son oeuvre peu marquée par les contingences de la vie politique sud-africaine, à mille lieux de la littérature engagée d’un Brink ou d’une Gordimer.
Enfin, si Coetzee part en Europe à vingt ans, c’est pour pouvoir écrire. L’essentiel des vingt chapitres de Vers l’âge d’homme est consacré à sa vie à Londres, aux difficultés matérielles, sentimentales et esthétiques auxquelles il a dû faire face avant de se réaliser en tant qu’écrivain. Coetzee raconte comment tout en travaillant en tant que programmeur informaticien, il a fréquenté assidûment les bibliothèques, les rencontres littéraires pour s’initier à cette « vie de l’esprit » à laquelle il a toujours aspiré. L’ouvrage se termine toutefois sans que le futur écrivain ait encore produit quoi que ce soit, sans qu’il ait réussi à surmonter la peur d’écrire. Il sait seulement, obscurément, qu’il veut écrire des livres « convaincants». Sur son pays « où est son cœur ». A la manière d’un Conrad, d’un Ford Madox Ford et surtout de Beckett dont il vient de découvrir la prose. Prose dont le rythme « épouse parfaitement le rythme de sa propre pensée ».
Rédigé à la troisième personne comme l’était déjà le premier tome consacré à l’enfance, Vers l’âge d’homme se distingue de ce dernier par sa tonalité, par sa distance ironique renforcée par l’approche rationalisante, souvent explicative des expériences et des événements que traverse le protagoniste. D’où un récit moins poignant, moins immédiat. Mais cette carence de spontanéité est compensée ici par une exigence d’honnêteté exceptionnelle et quasi-confessionnelle. L’auteur a pris le parti de tout dévoiler sur lui-même, de l’avortement qu’il a imposé à sa petite amie à l’université jusqu’à ses complexes liés à ses origines sud-africaines, en passant par ses petites lâchetés quotidiennes et son incapacité à percer le mystère de la maturité et de l’écriture. Cette quête exigeante de la vérité sur soi est sans doute le principal trait caractéristique de ce nouveau volume de l’autobiographie coetzienne.

Vers l’âge d’homme, par J.M. Coetzee. Traduit de l’anglais par Catherine Lauga du Plessis. Ed. du Seuil, 231 p., 19 euros.

Tirthankar Chanda


Les blues d’une voyageuse européenne en Afrique

(MFI) Mali Blues est un récit de voyage en Afrique, sous la plume de la journaliste hollandaise Lieve Joris. De Dakar à Bandiagara, par toutes sortes de moyens de transport, une Blanche rationnelle et pudique voyage à la recherche de l’Afrique intérieure, qu’elle ne pense pas trouver dans les capitales ni dans les lieux touristiques, mais dans les campagnes, les petites villes, les villages, où tout lui semble « plus transparent, plus simple ». Envers Dakar, cette « façade française » fonctionnant sur le principe du « mimétisme », Lieve Joris n’a aucune indulgence (reprenant sur ce point les analyses de V.S. Naipaul sur d’autres pays du Sud). Pas davantage de patience envers ces Africains qui jugent l’Europe sans en connaître les différences, les inégalités. On ne s’étonne donc pas qu’elle donne les premiers rôles à des hommes qui ont connu la France ou l’Europe, et même l’émigration : Sass l’aristocrate maure, qui a vécu si bien intégré en France, qui en est revenu sociologue mais pour retourner peu à peu à ses dunes, à la piste, tiraillé entre ses livres et son désert ; Mohammed Sissako, « l’homme de Sokolo », le vieux qui a connu la colonisation, qui se comporte en tout avec franchise et naturel ; Kar Kar, alias Boubacar Traoré, « le John Lee Hooker du Mali », vedette des premières années d’indépendance avec sa chanson Mali twist, puis oublié, meurtri, paraissant perdu pour la musique et puis à nouveau produit, invité en Europe, une étonnante histoire de renaissance à cinquante ans (qui inspirera aussi le beau film de Jean-Pierre Sarasin Je chanterai pour toi).
L’histoire qui occupe la seconde moitié du livre et lui fait véritablement changer de dimension, c’est celle de Kar Kar et de sa femme Pierrette, morte à quarante ans, après un onzième accouchement. Avec le temps et la confiance qui s’installe entre eux, Kar Kar se raconte peu à peu à Lieve, en véritable initiateur. Et la voilà introduite dans un univers auquel elle était toujours restée étrangère : les croyances, les marabouts et les gris-gris, les prédictions et les sorts, les femmes « travaillées » par leur mari, les drames de l’envie racontés à la manière africaine. A la fin, lorsqu’elle aura entendu toute l’histoire, Lieve pourra pleurer à son tour sur Pierrette, dans un beau moment d’émotion partagée. Mais il n’est pas sûr que ce soit pour les mêmes raisons. La « Blanche » a su raconter l’Afrique de l’intérieur, mais elle reste incrédule, et peinée de ces malheurs que seule une attitude plus rationnelle, plus moderne, pourrait à son avis empêcher. Lieve Joris a du caractère, elle pose les problèmes, ce n’est pas son genre de voyager pour rien.

Mali Blues. Je chanterai pour toi, par Lieve Joris. Traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin. Ed. Actes Sud, coll. « Babel », 347 p., 9 euros.

Frédéric Lefebvre


Une femme disparaît à Luanda

(MFI) 1992. A la veille de la présentation d’un nouveau livre, la poétesse et historienne angolaise Lidia do Carmo Ferreira disparaît mystérieusement à Luanda. Un journaliste – le narrateur – qui l’a bien connue, part à sa recherche. En marchant sur ses traces, c’est en réalité sa propre histoire et une part, cruciale, de celle de l’Angola qu’il retrouve. Lidia do Carmo Ferreira, proche des intellectuels Viriato da Cruz et Mario de Andrade, membres fondateurs du Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MLPA), a participé au mouvement de libération de son pays. Mais bien avant que l’indépendance de l’Angola ne soit proclamée, elle sait, pour avoir vu les nationalistes s’entre-déchirer, que la suite ne sera que douleur et folie. « Même si elle est muselée, mon ami, cette indépendance va vous manger la chair et nous ronger les os », prédit-elle à Mario de Andrade. Au moment où le nouveau président Agostinho Neto annonce, le 11 novembre 1975, l’indépendance du pays, la guerre civile fait déjà rage. Lidia, elle, rêve de la mer... « Ouvrant les yeux, elle vit que la pendule marquait minuit vingt. “L’Angola est donc indépendante”, pensa-t-elle, s’étonnant d’être là, couchée sur ce lit, dans la vieille maison d’Ingombotas. Que faisait-elle dans ce pays ? Vaine question qui chaque jour la tourmentait. » Entre désillusions, tragédie et ironie, le nouveau roman de José Eduardo Agualusa permet de suivre la longue descente aux enfers qu’a connue l’Angola. Il confirme aussi que son auteur, découvert au début des années 90, est décidément un grand écrivain.

La saison des fous, par José Eduardo Agualusa. Ed. Gallimard, Coll. « Continents noirs », 261 p., 18,50 euros.

Fanny Pigeaud


Charonne, 1962 : le débat continue

(MFI) Que s’est-il donc passé le 8 février 1962, au carrefour Charonne ? Combien de morts, combien de blessés lors de cette manifestation contre l’OAS et pour la paix en Algérie ? En 2001, un livre de Jean-Luc Einaudi , qui avait fait beaucoup de bruit, parlait de plus de trois cent victimes. Jean-Paul Brunet, historien et professeur émérite à la Sorbonne, déjà auteur, en 1999, de Police contre FLN, le drame d’octobre 1961 , revient sur ce qu’il appelle la « construction d’une légende ». Après une première réfutation de la thèse d’Einaudi, non historien de profession et soupçonné par l’auteur de parti pris en faveur du FLN en tant qu’ancien maoïste, Jean-Paul Brunet en vient au drame et au nombre des victimes au sujet desquelles il avoue que les historiens ne pourront jamais donner qu’un ordre d’idée, soit entre une trentaine et une cinquantaine de morts. Suit une analyse de la situation de tension que vivait la capitale au début des années soixante avec les diverses manifestations contre la guerre ainsi que la multiplication des attentats de l’OAS. L’auteur s’appuie ensuite, comme l’avait fait Einaudi aussi, sur les archives récemment ouvertes de la préfecture de police, mais en choisissant d’y étudier plus particulièrement les dossiers de la police judiciaire et leur somme de détails sur chaque mort suspecte.
Fourmillant de reconstitutions, rondement menées, ne ménageant pas les autorités de l’époque, ce livre est l’occasion de se pencher une fois de plus sur l’un des plus sombres moments de la République française que les querelles entre historiens et journalistes empêchent finalement de ne pas oublier.

Charonne, lumières sur une tragédie, par Jean-Paul Brunet. Ed. Flammarion, 332 p., 22 euros.

Moïra Sauvage


Un auteur à (re)découvrir : Leïla Sebbar, l’exilée du paysage de l’enfance

(MFI) Il y a un peu plus de vingt ans, elle livrait dans Les Temps modernes un texte intitulé « Si je parle la langue de ma mère ». Le dernier livre de Leïla Sebbar a pour titre Je ne parle pas la langue de mon père.

Entre les deux, il y a des histoires de lointaines enfances, des histoires de silence, des lettres d’exil. Avant, il y a eu aussi des récits de femmes, toujours venues d’un quelconque ailleurs. Si étendue que soit la palette de ses thèmes, de la trilogie de Shérazade aux récits de soldats, on ne trahira pas Leïla Sebbar en disant qu’elle est d’abord l’écrivain de l’exil, même s’il lui est arrivé – dans sa déjà longue carrière littéraire – d’aller parfois butiner ailleurs.
L’exil est un objet compliqué. Sentiment à la fois diffus et parfaitement précis, il habite entièrement une pensée tout en choisissant un lieu où il se fixe de préférence. Ce peut être l’enfance, ou la terre, ou les images qui restent après que tout a disparu. Leïla Sebbar sait qu’elle est en exil du « paysage de l’enfance », de ce bourg de l’ouest algérien où elle n’a jamais voulu retourner, où elle retournera un jour, quand elle aura fini d’écrire ce qu’elle doit écrire. Mais l’exil qui la fonde, qui la constitue, c’est celui de la langue qu’elle n’a jamais parlé, la langue de son père, devenu de ce fait « l’étranger bien-aimé ». L’arabe, elle en connaît les sons, la musique et la mélodie, la violence aussi, celle des insultes que les garçons du quartier nègre lançaient aux « petites françaises » – elle et ses sœurs sur le chemin de l’école – mais elle n’en sait pas le sens. L’arabe est en même temps la langue qu’elle n’a jamais connue et qu’elle a perdue, « parce que l’on peut perdre quelque chose que l’on n’a jamais eu, mais qui était là » dit-elle pour préciser ce qui est inexplicable à qui ne connaît pas l’exil. Alors la langue devient frontière infranchissable qui lui interdit d’appartenir au peuple de son père. Mais c’est aussi un chemin, comme la ligne de vie qui court le long de la main, sur laquelle elle a choisi d’écrire. « Ce que j’ai aimé et qui me plaît toujours, ce qui me fait écrire, c’est la part d’altérité qui fait toujours problème. Il faut que cela fasse problème. Mon père est un étranger : c’est fascinant n’est-ce pas ? Une des raisons pour lesquelles je ne pourrais pas vivre en Algérie, c’est qu’il n’y a plus d’altérité dans ce pays, tout y est devenu homogène ». Il n’est dès lors pas étonnant que ses romans soient peuplés de figures d’étrangers, de nègres, d’arabes, de juifs, de femmes, de tous ceux que l’Occident impérial désigna si longtemps comme « les autres », qui ne pouvaient accéder à l’entière dignité dont était paré le maître, le mâle européen.
Mais les textes d’elle qu’elle préfère sont ses récits-poèmes où elle explore les territoires du père, où se meuvent des personnages du peuple du père, déchirants et énigmatiques comme l’homme souffrant du splendide Silence des rives ou le combattant, fils de la bonne Fatima, de son dernier livre. Les rythmes de ces récits sont lents comme la mémoire, compagne inséparable de l’exil, dont Leïla Sebbar excelle aussi à remonter le cours, y mêlant le réel, le mythe et l’imaginaire.
L’exil, donc, est « une source et une ressource», d’une richesse qui se mesure à la longévité de l’inspiration de Leïla Sebbar, mais qui n’est pas inépuisable, tient-elle à préciser. Celle qui se définit comme « une écrivaine française avec en moi de l’Algérie et de la France, l’Algérie de mon père et la mienne aussi » affirme qu’elle n’écrira jamais autre chose que ces histoires d’exil et de mémoire, ces autobiographies en partie imaginaires, où se croisent le vrai et l’inventé. Et quand elle aura fini d’écrire par ces chemins détournés une autobiographie dont chacun de ses textes donne un fragment plus ou moins long ? Eh bien, elle n’écrira plus dit-elle, parce qu’elle n’aura plus rien à dire. On la croit, comme on peut croire quelqu’un qui est habité. Pour l’instant, elle n’a pas fini. Un recueil de nouvelles et deux ouvrages collectifs dont l’un, Les Algériens au café, illustré par son fils peintre, sortiront dans les prochains mois. Ensuite, probablement, encore deux ou trois choses essentielles à dire. Et puis, ce sera peut-être le silence d’un écrivain qui aura su au mieux mêler l’histoire personnelle et la grande histoire, celle d’un temps où l’exil n’est pas seulement le départ de son lieu natal, mais la disparition du lieu lui-même parce que le monde qu’on laisse derrière soi est condamné à mort, inexorablement.

Œuvre de Leïla Sebbar : Une enfance algérienne, textes recueillis par Leïla Sebbar, Paris, Gallimard, 1997 ; Une enfance d’ailleurs, textes recueillis par Nancy Huston et Leïla Sebbar, Belfond, 1993 ; Une enfance outremer, Seuil, 2001 ; Le silence des rives, Stock, 1993 ; Lettres parisiennes, autopsie de l’exil, avec Nancy Huston, J’ai lu, 1999 ; Shérazade 17 ans, brune, frisée, les yeux verts, Stock, 982 ; Soldats, Seuil, 1999.

Sophie Bessis




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