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22/05/2003
Chronique Livres

L’essentiel d’un livre : La naissance de la nation, version mauricienne

(MFI) Avec intelligence et poésie, la Mauricienne Nathacha Appanah-Mouriquand raconte l’odyssée de sa communauté. Un premier roman prometteur.

Les Rochers de Poudre d’Or est un premier roman éblouissant d’audace, d’intelligence et de promesse. Journaliste à Lyon, son auteur Nathacha Appanah-Mouriquand est d’origine indo-mauricienne. L’histoire bouleversante de quatre expatriés indiens qu’elle raconte dans son roman s’inspire de l’odyssée de sa communauté, qui a quitté l’Inde au XIXe siècle pour venir travailler sous contrat dans les plantations sucrières de l’île Maurice.
Réparti en quatorze chapitres qui se lisent comme autant de nouvelles quasiment autonomes – ce qui n’est guère étonnant car Nathacha Appanah-Mouriquand a publié des nouvelles avant d’en venir à la fiction longue –, ce roman est campé en partie en Inde et en partie à l’île Maurice avec un interlude qui se déroule dans la cale meurtrière du bateau conduisant les immigrants vers leur destin de sueur, de sang et d’humiliation. Un destin que les paysans et les parias, qui ont fui leur lot quotidien de misères et de mépris, croyaient avoir exorcisé pour de bon en s’inscrivant sur la liste des Emigrants Agriculteurs de Sa Majesté la Reine Victoria. Le « maistry », c’est-à-dire le recruteur, ne leur avait-il pas dit que Maurice était l’Eldorado où il suffisait de soulever les rochers pour trouver de l’or ? Et ils s’étaient tous mis à rêver. « Les Indiens rêvaient, quand l’odeur des morts hantait la cale, d’un port riche. Peut-être verraient-ils des sacs repus de riz, d’épices, de sucre ? Ah, oui, le sucre. On leur avait dit qu’ils travailleraient le sucre. Peut-être qu’ils verraient les champs aussi, de loin. Et les cannes en fleur bougeraient dans le vent pour les saluer. Ainsi les Indiens rêvaient-ils du port de Maurice. »
La réalité se révélera beaucoup moins romantique, cruelle. Au bout de quelques jours dans les plantations où les ouvriers sont soumis à la dure loi du « sirdar » (contre-maître), au fouet facile, et leurs femmes vouées à la servitude, les rêves se dissipent vite. Ils ne feront jamais fortune et ne reverront jamais non plus les herbes et les collines du Bihar ou du Bangalore d’où ils sont partis. Alors, dans leurs boxes misérables, alignés dos à dos à la lisière des champs de canne d’où ils aperçoivent par journées claires le bleu de la mer lointaine, les Vaithy, les Das, les Roy, les Ganga, les Jotsana apprennent à oublier le passé et à vivre avec le désespoir.
Organisé autour de parcours individuels, imbriquant habilement les drames des personnages fictionnels et les étapes mouvementées de l’histoire de l’île Maurice (passage de cette possession française sous souveraineté britannique au XIXe siècle, fin de l’esclavage et arrivée massive de travailleurs indiens qui remplacent les esclaves dans les champs), ce roman parvient à reconstituer l’entrée dans l’histoire de tout un peuple. C’est La naissance de la nation, version mauricienne. Comme Griffith (réalisateur de ce classique du cinéma américain), Nathacha Appanah-Mouriquand descend dans les ténèbres des origines, pour saisir derrière le chaos originel les voix, les tensions, les aspirations, les déceptions et les peurs fondatrices de l’identité mauricienne. Le retour à ce brassage originel rappelle aussi la démarche d’un Faulkner qui n’a cessé de chercher dans les blessures du passé les prémices de la précarité du présent. Les Rochers de Poudre d’Or renvoient aussi à Shakespeare sous le signe duquel l’auteur a placé son livre, puisant en particulier dans La Tempête le matériau métaphorique et intertextuel à travers lequel elle interroge les ténèbres et les silences de l’aventure mauricienne.
La narration de Nathacha Appanah-Mouriquand, riche en réminiscences littéraires et historiques, est admirablement servie par une écriture poétique, émouvante qui fait de ce premier roman une réussite totale.

Les Rochers de Poudre d’Or, par Nathacha Appanah-Mouriquand. Ed. Gallimard. Collection « Continents noirs », 161 p., 13,50 €.

Tirthankar Chanda


Ebène passe en poche

(MFI) Ébène, qui porte en sous-titre « aventures africaines », est un livre de voyages et de souvenirs qui mêle les douleurs entraperçues et les analyses des événements politiques, les rencontres avec quelques personnalités de premier plan et les petits faits quotidiens. Son auteur, Ryszard Kapuscinski, est né en Pologne en 1932 et c’est en tant que journaliste qu’il a arpenté le monde et singulièrement l’Afrique, où il est allé pour la première fois en 1957. Composé de quelque vingt-neuf chapitres comme autant d’étapes dans son itinéraire de rencontres, Ébène – qui vient d’être réédité en format de poche – répond parfaitement à la définition donnée par l’auteur dans sa préface : « Ce n’est donc pas un livre sur l’Afrique mais sur quelques hommes de là-bas, sur mes rencontres avec eux, sur le temps que nous avons passé ensemble. » Un livre sur des lieux et des hommes du continent, sans systématisme, sans volonté exhaustive mais au gré d’une incontestable passion et riche d’une belle empathie pour ses amis de hasard et de rencontre.
A Lagos ou Zanzibar, à Dar-Es-Salaam ou Accra, à Mopti ou Asmara, Ryszard Kapuscinski observe le monde avec la même proximité complice et la même distance objective. Et s’il évoque, ça et là, quelques grandes (et parfois sordides) figures de l’Histoire contemporaine, ce sont, avant tout et surtout, les rencontres anonymes qui retiennent son attention. Une encombrante voisine dans le train entre Dakar et Bamako, un compagnon de méharée en Somalie, un journaliste grec et néanmoins spéculateur seront, parmi bien d’autres, les compagnons de fortune et d’infortune de ce voyageur qui sait écouter l’autre et restituer l’essentiel de la rencontre. Ébène est un livre vrai qui pose sur le continent africain un regard intègre, sans fausse compassion ni condescendance mais avec une authentique sincérité teintée d’humour et nourrie de passion.

Ebène, par Ryszard Kapuscinski. Ed. Pocket n° 11351, 6,50 €.

Bernard Magnier


Le nouveau visage de la poésie flamande et néerlandaise

(MFI) La littérature de Flandre et des Pays-Bas était à l’honneur au dernier Salon du Livre à Paris. A cette occasion, la revue Poésie 2003 présente cinq poètes néerlandais, traduits par Jan H. Mysjkin. Le premier, Willem van Toorn, également auteur de récits, raconte en quatre poèmes précis, à petites touches, une ferme à la campagne « remplie / de temps entassé ». Pour Ben Zwaal, homme de théâtre et de musique, les éléments sont volontiers métaphores : le vent, les arbres, la mer, les rives, les nuages font signe, parlent de « solitude », de fatigue ou de questions sans réponse, de « chute », et les hommes, les couples, les pays s’y meuvent dans de courtes paraboles, souvent chargées de mystère. A l’opposé, Martin Reints se veut prosaïque, analyste des gestes et des pensées ordinaires, presque scientifique dans son vocabulaire. Plus jeune, Menno Wigman est aussi plus sentimental, en son nom propre, porté par ses souvenirs « de lits étrangers / et de communications amoureuses », ou, plus en arrière, d’une maison d’enfance où il régnait, véritable « Mengele des fourmis sans défense ». Enfin, Mustafa Stitou représente la voix nouvelle des enfants d’immigrés qui écrivent en néerlandais, la tête dans un autre monde (pour lui le Maroc) : autour de lui sa mère, « avec ses sens cassés », qui « invoque pour chaque mouvement / son souffle et sa terre », les « pères rôtis causerie radiophonique » le jour du barbecue, « la maison de Dieu dans le centre commercial », où « ça va pas fort », les querelles de communautés, « le Coran comme du lait maternel », et plus loin l’Afrique, le « profond sommeil diplomatique » des grandes puissances et le rêve d’un pays d’exil.

Cinq poètes néerlandais d’aujourd’hui, in Poésie 2003, N° 96, Février 2003, 126 p., 14 €.

Frédéric Lefebvre


La peau dure

(MFI) Ils se lacèrent les bras, se brûlent les mains, gravent signes cabalistiques, initiales ou dessins maladroits sur leur poitrine. Canif, cutter, cigarettes incandescentes, tessons ou aiguilles rouillées, épines de rosier, tout leur est bon pour graver au plus vif, au plus nu, au plus près de leur corps leur mal être. Souvent, ils le font dans le plus grand secret, cachant ce à quoi leurs proches, parents, amants ou amis, ne pourraient opposer que des regards horrifiés, sans espoir de parvenir à faire partager les ressorts secrets de leur étrange conduite. De fait, se lacérer, porter atteinte à l’intégrité de son corps, faire couler son propre sang ne peut que déclencher colère et incompréhension. « Des témoignages nombreux font état d’un accueil difficile des femmes américaines qui attentent à l’intégrité de leur corps ; elles sont soignées sur un mode agressif, souvent recousues sans anesthésie, considérées comme des malades et comme des « pertes de temps », note David Le Breton. Cet anthropologue se passionne depuis toujours pour le corps humain, la façon dont il évolue, mute et se modèle.
S’il est beaucoup question d’automutilation dans ces pages, l’auteur aborde aussi largement les mutilations volontaires, scarifications et autres marques corporelles traditionnelles, qui, s’il fallait les rattacher au monde occidental, renverraient logiquement aux tatouages et « piercings ». Ici, plus question de faire de son corps le paysage dévasté d’un inguérissable manque à être : il s’agit bien au contraire d’y inscrire la marque de l’entrée dans la communauté des adultes. « Je savais parfaitement que je souffrirais, mais je voulais être un homme, et il ne semblait pas que rien fût trop pénible pour accéder au rang d’homme », écrit le Guinéen Camara Laye dans L’enfant noir à propos de sa propre circoncision. Difficile de mieux résumer que le rapport au monde est toujours… affaire de peau.

La peau et la trace, par David Le Breton, Ed. Métailié, 140 p., 15 €.

Elisabeth Lequeret


Un auteur à (re)découvrir : Djibouti transit

(MFI) En un peu moins de dix ans, Abdourahman Waberi a su occuper une place singulière dans le panorama littéraire du continent. Avec six ouvrages de fiction, un recueil de poèmes, un livre de photos et de nombreux articles à son actif, ce jeune Djiboutien au visage d’enfant s’est imposé comme le chef de file de la nouvelle génération d’écrivains africains francophones. Itinéraire d’écriture à l’occasion de la publication d’un nouveau roman, Transit (1).

Avec ses premières publications, mosaïques de textes courts, Le Pays sans ombre en 1994 (2) et Cahier nomade (3) en 1996, le Djiboutien désormais « bas-normand » de façon « provisoirement définitive » comme il se plaît à le revendiquer lui-même, balisait le terrain natal et tentait de dire un pays dont il convenait d’entendre les limites au delà de la seule République de Djibouti afin d’embrasser l’ensemble de l’aire somalie. Une approche parachevée comme en écho par un livre de photos, L’œil nomade (4), dont il avait assuré la préface, et par un recueil de poèmes, Les nomades, mes frères, vont boire à la grande ourse (5). En 1997, un premier roman, Balbala (6), poursuivait l’exploration du pays en plongeant un quatuor d’opposants dans les méandres de la dissidence et de l’engagement politique.
Si l’on veut bien tenir pour exceptionnel Moisson de crânes: Textes pour le Rwanda (7), écrit en 2000, à l’issue de l’opération « écrire par devoir de mémoire » qui l’avait mené au Rwanda après le génocide qui avait ravagé le pays, c’est avec Rift routes et rails (8) qu’Abdourahman Waberi esquissa, dès le titre, l’idée d’un ailleurs somali, dans l’au-delà du monde. Avec son dernier roman, Transit, un nouveau pas est franchi. Les personnages appartiennent par leur histoire au pays mais vivent hors des frontières originelles. « Je suis à Paris » s’écrie dès la première ligne, l’un des protagonistes à peine arrivé à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, car le propos du romancier est ici d’exil et d’errance. S’il s’agit bien d’un roman, la fragmentation chère à l’auteur demeure dans la succession des voix, elles-mêmes dispersées dans l’espace (entre le lieu d’origine et les terres d’exil) et confrontées aux douleurs du passé et à toutes les dérives subséquentes. Épicentre de ce traumatisme polymorphe, Bachir tente par ses pauvres mots de dire sa triste condition : « Je suis né hier, je dis hier comme ça, enfin je veux dire que je suis né il n’y a pas très longtemps, et même à l’échelle de ce pays poussin, je ne suis pas trop trop cassé quoi. On a le même âge le pays et moi-même... » Par vantardise et par une sorte de bravade infantile dont il ne mesure guère la portée, au-delà d’une symbolique qui relève davantage du cliché de héros de cinéma ou de bandes dessinées que de l’implication militante, politique ou religieuse, il se fait appeler Ben Laden, pseudonyme ô combien lourd de bien des interprétations collatérales...
Mais il s’agit ici surtout d’appréhender une part de cette errance des populations qui caractérise notre siècle. « Il y a de plus en plus d’étrangers dans le monde », disait Coluche, il y a quelque vingt ans. L’absurde de la phrase avait certes pu faire sourire – et tel était bien l’un des objectifs de l’auteur – mais il n’en demeure pas moins vrai que la formule révèle, peu à peu, sa part de vérité. Waberi complète la galerie de portraits de quelques nouveaux visages. Son héros « bien malgré lui » rejoint ainsi la lignée, désormais de plus en plus longue, de ces rescapés de conflits auxquels ils ont dû participer sans jamais y croire. Bachir Ben Laden est un confrère de Méné, le « pétit minitaire » du roman du Nigérian Ken Saro-Wiwa, Sozaboy (Actes Sud, 1998), pionnier de tous ces combattants qui tentent de dire dans leurs pauvres mots la douleur des humbles et des perdants. Il est aussi « collègue » de Johnny Chien méchant (Le Serpent à plumes, 2002) du Congolais Dongala ou bien encore de Birahima, le gamin d’Allah n’est pas obligé (Seuil, 2001) de l’Ivoirien Kourouma. Tous partagent la même détresse, tant les guerres se ressemblent. Tous ont en commun un immense et juvénile désarroi dont ils transmettent la douleur dans un langage inventif. Les enfants-soldats sont, eux aussi, de plus en plus nombreux sur cette terre.

(1) Ed. Gallimard, coll. « Continents noirs », 154 pages, 13,50 €.
(2) Ed. Le Serpent à plumes. Disponible en poche, coll. « Motif » (1996), 5,34 €.
(3) Ed. Le Serpent à plumes. Disponible en poche, coll. « Motifs » (1999), 5 €..
(4) Ed. L’Harmattan, 29,75 € .
(5) Ed. Pierron, 16 €.
(6) Ed. Le Serpent à plumes. Disponible en poche, coll. « Folio » (2001), 4,50 €.
(7) Ed. Le Serpent à plumes, 8,99 €.
(8) Ed. Gallimard, coll. « Continents noirs », 11 €.

Bernard Magnier




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