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19/06/2003
Chronique Livres

L’essentiel d’un livre : Saga Africa façon Orsenna

(MFI) Enfin, le voilà. L’Orsenna nouveau est arrivé, un gros roman dans la veine de L’Exposition coloniale (Le Seuil), qui a valu à l’ancien conseiller de Mitterrand le prix Goncourt en 1988.

Madame Bâ - c’est son titre - est une lettre ouverte au « Président de la République française des armes, des lois et des aéroports », à Jacques Chirac soi-même. Oui, car Dyumasi Marguerite, épouse Bâ, Malienne soninké née en 1947 à Médine, dans la région de Kayes – d’où viennent la plupart des immigrés installés en France –, professeur des écoles, mère de huit enfants et petite nièce par alliance du grand poète et très révéré maître Hampaté Bâ, a impérativement besoin d’un visa pour rejoindre la France. Elle doit récupérer et ramener au Mali son petit-fils préféré, Michel, disparu dans l’hexagone corps et biens, avalé par « l’ogre du football ». Le gamin, fan de foot, élevé dans le culte de Platini par son père (d’où son prénom), s’est fait pratiquement kidnapper par deux énergumènes pourris, débarqués en Afrique à la recherche de champions futurs. Pas de danger prévient Madame Bâ, « mon séjour sera de courte durée ». Juste le temps de reprendre le petit. Elle n’est pas atteinte, elle, par ce terrible « mal de la boussole » qui affecte les hommes et même les enfants africains en les attirant irrésistiblement vers cette France à paillettes, égoïste et glacée où ils souffrent mille morts.
Ainsi démarre « la leçon de fierté » de la dynamique et prolixe matrone malienne très versée dans les finesses de la langue de Molière et de Charles de Gaulle et s’y complaisant avec une gourmandise non dissimulée. Certes, elle a promis d’être brève, mais pour que le Président français comprenne sa supplique, il lui faut obligatoirement raconter sa vie. Tout y passe, son enfance émerveillée sur les bords du fleuve Sénégal, l’amour de son père, forgeron et sous-directeur des chutes d’eau, qui l’initie aux cris des oiseaux, la sévérité bienveillante de sa mère, les hauts faits de son grand-père, ancien combattant dans l’armée française, et aussi, son coup de foudre pour son mari, Balewell, « le plus bel homme du monde », Peul devenu cheminot, seul métier possible pour un nomade… Bref, tous les événements de la vie d’une femme africaine, qui « plus encore que toutes les autres doit lutter pour sa dignité st sa liberté ».
Bravo l’Académicien ! Voilà un superbe ouvrage qui explique l’Afrique aux Français mieux que n’importe quel grand reportage. Car au delà du roman et de son héroïne, géante au nez fin et à la langue bien pendue, épique et drôle, au delà de l’hommage rendu à la femme africaine qui « porte le continent à bout de bras », c’est l’Afrique d’aujourd’hui qu’Erik Orsenna décrit, telle qu’elle est, avec ses misères, ses magouilles et ses humiliations. L’Afrique mythique, souvent corrompue, abandonnée toujours, comme marquée par le destin. « Le pire chez nous a cette capacité démoniaque d’engendrer de l’encore pire… Il n’a pas de fond », dit Madame Bâ lorsqu’elle se retrouve veuve avec ses huit enfants, consciente des « fléaux » qu’elle devra affronter. Et affrontera avec une pêche extraordinaire.
L’écrivain tempête, dénonce et règle leur compte aux pilleurs de tout bords. Avec une force et un humour au vitriol des plus efficaces. « Madame Bâ, c’est moi », pourrait-il dire, D’abord parce que cela fait quarante ans qu’il va et vient en Afrique, qu’il y a vécu, qu’il connaît. Puis il est convaincu comme Madame Bâ que la misère n’est pas une fatalité. Des solutions existent, mais ceci est une autre histoire, peut-être un prochain roman comme Orsenna l’Africain sait les écrire.

Madame Bâ, par Erik Orsenna. Editions Fayard/Stock, 490 p., 22 euros.

Elisabeth Nicolini


Un texte majeur du Mali

(MFI) En 1222, année de l’intronisation de Soundjata Keita qui allait fonder l’empire du Mali, l’esclavage était devenu un fait banal dans une Afrique de l’Ouest islamisée. « Dix, voire vingt esclaves se troquaient contre un cheval ou une barre de sel, écrit dans sa préface l’ethnologue Youssouf Tata Cissé. L’on comprend dès lors que la volonté clairement exprimée par les “chasseurs” d’abolir la capture et la déportation des hommes vers le nord musulman du pays ne plut point aux puissants du moment. Devant la levée de boucliers qui s’ensuivit, une seule action prévalait aux yeux de Soundjata Keita et de ses compagnons : la lutte sans merci contre les esclavagistes d’où qu’ils viennent. » Parties du cœur du Mandé au sud de Bamako, des brigades volantes traquèrent les marchands d’esclaves. La « Charte du Mandé » nous transmet l’esprit de fraternité, l’amour de la liberté de ces hommes.« Entente ! Entente ! Entente ! Entendons-nous,/rien ne vaut l’entente/ainsi s’édifia le monde/ainsi finira le monde. » Chaque strophe de cette geste est illustrée par le calligraphe malien Aboubakar Fofana, dont le destin est singulier : « donné » à douze ans à un oncle vivant en France, « arraché » à son pays ainsi qu’il l’écrit dans sa très belle postface, il est ensuite parti en Extrême-Orient étudier les calligraphies anciennes de Chine et du Japon avant de découvrir le riche univers d’idéo-pictogrammes africains et de se passionner pour le travail du textile. Aujourd’hui membre de la société des Scribes et des enlumineurs en Angleterre, il veut contribuer à la circulation mondiale des matières et des signes, aider à transmettre quelques « lourds mystères » africains afin qu’ils soient « partagés et respectés ». Ce livre est le premier consacré à un thème africain par la belle petite collection « Les carnets du calligraphe ».

La Charte du Mandé et autres traditions du Mali. Traduit par Youssouf Tata Cissé et Jean-Louis Sagot. Calligraphies d’Abou Bakar Fofana. Ed. Albin Michel, « Spiritualités », 64 p., 10,90 euros.

H. S.


Un poète contre le bagne et l’administration coloniale

(MFI) En 1934, Léon-Gontran Damas, qui sera après la seconde guerre mondiale, un des « pères de la négritude » avec Aimé Césaire et Léopold Sedar Senghor, part de Paris en mission pour la Guyane, son pays natal. Formé à l’ethnologie au Musée de l’Homme, il est chargé notamment d’étudier les nègres « Bosch », c’est à dire les descendants des esclaves marrons réfugiés dans la forêt vierge comme ceux du légendaire quilombo de Palmares au Brésil au XVIIe siècle. En 1938, sous le titre Retour de Guyane, Damas publie chez José Corti (le célébre éditeur de Julien Gracq) un livre reportage sur son séjour. C’est ce récit que viennent de rééditer les éditions Jeanmichelplace, sous la direction de Marcel Bibas, un parent de l’auteur.
Son premier recueil de poèmes, Pigments, avait paru en 1937. On retrouve dans Retour de Guyane la plume acérée du poète qui décrit la Guyane comme « la poubelle de la France », et Cayenne comme « le cul du monde ». Il pourfend l’administration coloniale et s’élève avec vigueur contre le bagne que la France y a installé et qui gangrène la société. Il critique le député-maire de Cayenne, Gaston Monnerville (originaire de la Martinique), alors sous-secrétaire d’Etat aux colonies (qui sera après la guerre président du Sénat). Il reproche au ministère des colonies de ne pas encourager l’exploitation de l’or guyanais, seul moyen susceptible de faire décoller rapidement l’économie du pays. Et il n’épargne guère la bourgeoisie noire de Cayenne, « plus raciste que les bourgeois blancs », ni les fonctionnaires de la métropole à son avis trop grassement payés.
Inutile de dire que Retour de Guyane fut plutôt mal accueilli dans la colonie. Comme le remarquent les présentateurs de cette réédition, George Sebbag et Sandrine Pujols, l’ouvrage se situe dans la lignée des grands reportages anti-colonialistes d’André Gide et d’Albert Londres.

Retour de Guyane, par Léon-Gontran Damas. Ed. jeanmichelplace, 187 p., 20 euros.

Claude Wauthier


Psychologie, transes et spiritualité

(MFI) Stanislav Grof est l’un des psychologues de notre époque qui aura effectué l’une des plus vastes et originales recherches dans son domaine d’étude. Né en Tchécoslovaquie, c’est dans son pays que ce médecin psychiatre a débuté son travail avant d’émigrer aux Etats-Unis au début des années 70. L’étude des états modifiés de conscience, d’abord par des psychotropes puis par la respiration holotropique, qu’il a mise au point, l’ont amené à la suite de Jung à élargir le champ de la psyché à des états qui recouvrent aussi bien les transes chamaniques que la méditation. Ainsi il propose une cartographie bien plus vaste que celle, individuelle et familiale, de Freud, incluant aussi bien l’épisode périnatal (avec ses patients, il a longuement exploré le « traumatisme de naissance » et ses conséquences), que les mémoires inconscientes, ancestrales et collectives, qui influent sur nos comportements. Ce livre, une somme dans laquelle il nous fait partager d’une manière claire et méthodique les résultats de quarante années de recherche, pourrait passionner en particulier les psychologues, médecins, infirmières, mais aussi tous ceux qui en Afrique sont familiers des approches traditionnelles, qu’il s’agisse de gnawa, vaudou ou autres. En conclusion de ce livre riche, dense, qui explore aussi l’apprentissage de la mort et la spiritualité, l’auteur émet l’hypothèse que seule une transformation intérieure de l’humanité et sa progression vers un niveau de conscience plus élevé pourraient représenter un véritable espoir pour la paix.

Pour une psychologie du futur, par Stanislav Grof. Ed. Dervy, 446 p. 23 euros.

H. S.



EN POCHE… EN POCHE… EN POCHE… EN POCHE…



Le pleurer-rire d’Henri Lopes

(MFI) « Quelque part sur le continent, bien sûr », un pays est sous l’emprise dictatoriale, sanguinaire et grotesque, du « père du pays », le Maréchal Tonton Bwakamabé Na Sakadé, assisté dans son entreprise par Gourdain, « un oncle », venu du « pays des oncles », « véritable inspirateur de la répression permanente ». Une dictature qui serait ubuesque et risible si elle ne s’accompagnait d’une féroce répression dont sont victimes les opposants... Telle est la toile de fonds du roman d’Henri Lopes, Le Pleurer-rire. Pour ce roman burlesque et dénonciateur, le romancier congolais choisit la confrontation de diverses paroles (narration, témoignages, courriers, extraits de presse, documents d’archives) et l’articulation de divers récits autour de quatre personnages principaux : le dictateur, son maître d’hôtel qui tient son journal intime et sera le narrateur du roman, un autre militaire, opposant principal au régime, et un vieil instituteur, observateur lucide du drame.
Entre les premières publications du romancier éditées aux Editions CLE de Yaoundé (Tribaliques, La nouvelle romance, Sans tam-tam) et celles publiées plus tard (Le Chercheur d’Afriques, Sur l’autre rive ou plus récemment, Dossier classé) par les Editions du Seuil à Paris, Le Pleurer-rire est un livre charnière et singulier dans la carrière de l’écrivain. Sa publication, en 1982, marque une transition dans sa bibliographie (seul titre publié aux Editions Présence africaine) et dans son oeuvre romanesque, par son sujet, son ton et sa structure.

Ed.Présence Africaine poche, 384 p., 8,90 euros.

Bernard Magnier


Le docker noir d’Ousmane Sembène

(MFI) Publié pour la première fois en 1956, Le Docker noir conte le quotidien misérable d’un immigré africain, les humiliations et les trahisons qu’il doit subir mais aussi ses amours et ses espoirs d’échapper à son sort par le biais de la littérature. Dans ce roman, l’écrivain sénégalais Ousmane Sembene recourt à sa propre expérience dans ce métier qu’il a exercé sur le port de Marseille, afin d’en restituer les difficultés et les douleurs, devenant ainsi, l’un des rares écrivains de sa génération, à aborder dans son oeuvre le thème de l’immigration populaire.

Ed. Présence Africaine poche, 220 p., 6,10 euros.

B. M.


Soundjata ou l’épopée mandingue de Djibril Tamsir Niane

(MFI) « Nous sommes les sacs à paroles. L’Art de parler n’a pas de secret pour nous. Sans nous les rois tomberaient dans l’oubli, nous sommes la mémoire des hommes... » Ainsi s’exprime, sous la plume du Sénégalais d’origine guinéenne Djibril Tamsir Niane, le griot Djeli Mamadou Kouyaté qui sera le conteur des faits et gestes de Soundjata, fondateur de l’empire du Mali au XIIIe siècle. Une « épopée mandingue », publiée en 1960, qui est devenue un texte classique dont l’intérêt repose, tout à la fois, sur la personnalité de cette grande figure de l’Histoire du continent et sur la manière d’en restituer la destinée.

Présence Africaine poche, 160 p., 6,10 euros.

B. M.


Nour 1947 de Jean-Luc Raharimanana

(MFI) D’un enfer à un autre, un ancien combattant de la Seconde guerre mondiale, de retour au pays, se trouve mêlé à l’insurrection sanglante de 1947 à Madagascar. Autour de ce personnage, le livre de l’écrivain malgache Jean-Luc Raharimanana est un long poème dérangeant qui interroge le présent de son île à la douloureuse lumière du passé et de sa longue litanie d’erreurs et de ratages, d’oppressions et de soumissions.

Le Serpent à plumes, collection « Motifs », 264 p., 6,50 euros.

B. M.


Lettre à la France nègre de Yambo Ouologuem

(MFI) Après Le devoir de violence, les éditions Le Serpent à plumes viennent de rééditer, en format poche cette fois, Lettre à la France nègre que l’écrivain malien publia dès 1968. Composé de treize lettres ouvertes adressées à la France gaulliste, ce livre charrie avec brio les stéréotypes et les mythes concernant l’Afrique, les Africains et les relations Blanc-Noir. Sa philosophie est clairement énoncée dès la première lettre : « Du jour où les Nègres accepteront de s’entendre dire des vérités désagréables, ils auront alors commencé à s’éveiller au monde ». Quelles sont ces vérités ? La responsabilité des Africains et de leurs « rois-nègres » dans les drames que connaît le continent noir. L’anti-racisme des Blancs qui n’est pas totalement dépourvu de racisme. L’hypocrisie de « l’aide au tiers-monde ». Pour démontrer l’ambiguïté de ces idéologies, Ouologuem a choisi une prose virulente qui n’épargne ni les hommes ni leurs idées reçues. Un livre-réquisitoire à la fois dérangeant et jubilatoire.

Le Serpent à plumes, Collection « Motifs », 217 p., 8 euros.

T. Chanda




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