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14/11/2003
La montée en puissance des paysans des villes

(MFI) Les maraîchers urbains gagnent leurs lettres de noblesse. L’explosion démographique, les difficultés d’approvisionnement des métropoles et le coût élevé des importations vivrières en font non plus des « délinquants » pourchassés par la police et les promoteurs immobiliers, mais des fournisseurs respectés. Reste à les organiser, les financer et les former.

Les mêmes scènes se voyaient aux abords de Dakar et autour de Pointe-Noire, Abidjan ou Douala : périodiquement, la police venait demander aux maraîchers cultivant illégalement des fruits et légumes sur des petits lopins en friche d’évacuer les lieux. Souvent sur plainte de promoteurs immobiliers, parfois pour éviter le développement des baraquements sauvages qu’habitent certains de ces « paysans des villes ». L’explosion de la population urbaine (les villes d’Afrique connaissent une croissance démographique annuelle de 7 % à 10 %) et les difficultés d’approvisionnement des métropoles sont en train de changer la donne.
Les gouvernements découvrent que ces exploitations jouent un rôle déterminant dans l’équilibre des marchés alimentaires. D’après une étude conjointe de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et de la Caisse française de développement, 20 % de la consommation maraîchère des métropoles d’Afrique francophone proviennent de ces « jardins » cultivés. « Ce taux peut atteindre 80 % pour certaines variétés de légumes feuilles », précise Mario Margiotta, consultant pour la FAO. En outre, la filière représente un débouché naturel pour les jeunes issus de l’exode rural, les fonctionnaires victimes des compressions d’effectifs ou les diplômés sans emploi. Les femmes et les salariés à bas revenus se lancent aussi dans le créneau. De quoi désamorcer bien des crises sociales. Résultat : les gouvernements les plus sévères ferment maintenant les yeux, et certains commencent à organiser la filière.


Un rendement jusqu’à 15 fois plus élevé que la culture traditionnelle rurale

Il est vrai que le nombre de ces « jardiniers » ne cesse d’augmenter. Début 2000, la FAO estimait leur nombre à 2 000 à Bissau, plus de 3 000 à Antananarivo, 5 000 à Nouakchott et 30 000 autour de Kinshasa. Depuis, le phénomène s’amplifie. Car, en plus des professionnels, des maraîchers à temps partiel s’installent, produisant pour leur propre consommation, afin de compenser les retards de paiement de salaire et l’indigence de leurs revenus ; 25 % des ménages des faubourgs de Brazzaville et 50 % de ceux de Bamako exploiteraient ainsi un petit lopin de terre.
Fini, le temps où la police de Harare poursuivait les maraîchers de banlieue pour occupation illégale du domaine public et violation de propriétés foncières ! Dans la situation alimentaire désormais critique du pays, ils sont au contraire cajolés. Et pour cause : ces agriculteurs urbains fournissent une bonne partie de l’alimentation de la capitale du Zimbabwe en fruits et légumes. Même situation en Namibie, où les autorités cherchent à développer le maraîchage dans la zone de Katutura, principale banlieue noire de la capitale Windhoek. Les organisations internationales et les ONG apprécient cette tendance. Une preuve parmi d’autres : la coopération canadienne vient de lancer un programme de recherches sur l’agriculture urbaine.
De fait, l’agriculture urbaine ne manque pas d’atouts. D’abord elle est productive toute l’année. Ensuite, elle affiche de hauts rendements grâce à des techniques intensives (irrigation ou arrosage, utilisation d’engrais et de produits phytosanitaires). Ses marges de progression sont encore importantes, disent les experts : l’agriculture urbaine africaine pourrait avoir un rendement jusqu’à 15 fois plus élevé que la culture traditionnelle rurale.


Les maraîchers ne craignent plus d’investir

La crainte des descentes de police limitait les investissements des « jardiniers ». Rassurés quand ils ne sont pas carrément encouragés, ils commencent à investir de façon durable. A Lomé par exemple, certains maraîchers togolais investissent jusqu’à 2,5 millions de francs CFA (environ 3 700 euros) dans leurs équipements. Une petite fortune, compte tenu du niveau de vie local. Et il n’est pas rare que les frais d’exploitation atteignent le million de F CFA. A Brazzaville et à Bangui, les producteurs commencent à protéger leurs cultures des intempéries et des vandales. Une entreprise congolaise, Agricongo, a même mis au point des abris en plastique adaptés à la structure des terrains et aux capacités financières des exploitants. Autant d’évolutions qui améliorent les rendements sur ces lopins qui couvrent généralement de 100 à 800 m², et dépassent rarement les 1 500 m². A Kinshasa par exemple, la production maraîchère a doublé depuis 1985, passant de 30 000 à plus de 60 000 tonnes.
Par ailleurs, la proximité des marchés facilite la commercialisation. Les maraîchers exploitent simultanément plusieurs segments. D’un côté ils produisent des légumes traditionnels de consommation locale, écoulés en volume à bas prix, de l’autre, ils proposent des légumes de contre-saison, plus rémunérateurs car spécialement destinés aux coopérants européens. Les mieux organisés parviennent à signer des contrats d’approvisionnement avec les hôtels. Difficiles à estimer à cause de l’autoconsommation, les revenus des maraîchers semblent progresser régulièrement, à la différence de ceux des paysans et fonctionnaires. Un bon maraîcher peut espérer gagner de 150 à 300 euros par mois à Brazzaville, jusqu’à 300 euros en République centrafricaine.
Restent deux ombres au tableau. Plusieurs enquêtes ont prouvé qu’il y avait des risques de pollution liés à l’utilisation non contrôlée des engrais et à l’usage d’eaux usées pour l’arrosage. Par ailleurs, ce secteur relève encore de l’informel et ne bénéficie pas de l’encadrement (financement, formation professionnelle) dont profite l’agriculture traditionnelle. Mais ce n’est sans doute qu’une question de temps.


Yolande S. Kouamé

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