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02/01/2004
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Le secteur privé appelé à défendre la diversité culturelle
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(MFI) Alors que le chiffre d’affaires mondial des industries créatrices devrait atteindre 1 300 milliards de dollars en 2005, les initiatives se multiplient pour développer les partenariats public-privé-artistes et professionnaliser les acteurs culturels, du Sud notamment. L’Unesco a présenté les premiers résultats de l’Alliance globale pour la diversité culturelle alors que le Canada réunit, du 12 au 14 janvier à Paris, le Forum canadien sur l’entreprise de la culture.
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« L’Alliance vise à mettre en place des activités concrètes permettant de promouvoir la diversité culturelle, en encourageant en particulier le développement de petites et moyennes entreprises culturelles dans les pays en développement ou en transition. Cette démarche ne se contente pas d’être pragmatique. Elle est aussi novatrice, car elle tente de mettre en place un système où chaque partenaire trouve un intérêt, autre que purement éthique ou caritatif, à faire vivre cette Alliance. » C’est par ces mots que Koïchiro Matsuura, directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), a ouvert la journée de présentation de l’Alliance globale pour la diversité culturelle (AGDC), le 2 décembre 2003 à Paris.
Lancée par l’Unesco en janvier 2002, l’Alliance répond au souci global de prendre en considération l’importance de l’activité culturelle en tant que vecteur de croissance et de développement. Alors que la structure actuelle de cette activité (émergence de grands conglomérats notamment) menace la diversité, l’Alliance cherche à aider les entreprises culturelles des pays en développement et en transition à consolider leurs capacités, à trouver des opportunités de distribution de leurs produits et à accéder aux marchés étrangers. L’AGDC travaille dans ce but à trois niveaux : la régulation (réglementation, législation, régimes de protection, droit d’auteur), l’accès aux financements et la gestion des industries culturelles locales (compétences, approche stratégique). Présente dans 64 pays, elle regroupe actuellement plus de 170 partenaires (entreprises privées, ONG, fondations, associations professionnelles, centres de recherche, etc.). Elle a mobilisé des fonds d’un montant de 850 000 dollars, fournis par des investisseurs publics et privés, et également créé une base de données accessible par Internet (1), point de contact entre les offres et les besoins qui stimule la création de nouveaux projets.
La plus forte progression de l’économie mondiale : + 7,2 % par an
Actuellement, 25 projets pilotes sont en cours et une cinquantaine en gestation. Les premières réalisations concrètes, dont certaines ont été présentées le 2 décembre, portent sur la promotion d’une loi sur le livre et la structuration du secteur de l’édition en Algérie, sur le développement d’une stratégie nationale pour l’industrie musicale en Jamaïque, ou encore, en partenariat avec le musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, sur l’implantation de boutiques au sein des musées de la CEI pour y commercialiser leurs produits dérivés. « L’Alliance globale, a expliqué Milagros del Corral, directrice de la Division des arts et de l’entreprise culturelle à l’Unesco, réunit le savoir-faire et les finances du privé, l’expertise internationale et les autorités publiques pour offrir un espoir aux jeunes créateurs, aux coopératives et PME qui commercialisent leurs créations. L’Alliance n’est pas en elle-même un organisme de financement, mais plutôt un catalyseur, fonctionnant sur le principe du « win win », du gagnant-gagnant, de la mise en réseau afin d’aboutir à une circulation globale plus équilibrée des cultures. » Cependant, un fonds aidant au démarrage des projets a été créé pour l’Alliance, et alimenté notamment par le Canada, le Japon, la Corée, l’Espagne…
La caractéristique commune des industries culturelles – qui vont de l’édition d’ouvrages imprimés et multimédias aux productions de films, vidéos, disques et cassettes en passant par l’artisanat ou les arts graphiques – est de produire des biens et services protégés par les droits d’auteur. Or, rappelle l’Unesco, « en plus de transmettre des valeurs qui contribuent à renforcer la cohésion sociale, les industries culturelles sont l’un des secteurs qui connaît la plus forte progression de l’économie mondiale. En 2000, le chiffre d’affaires mondial des industries créatrices était de 831 milliards de dollars (plus de deux fois et demi le PIB de l’Afrique subsaharienne). On estime que ce chiffre atteindra 1 300 milliards de dollars en 2005, soit une croissance nette de 7,2 % par an. »
Or 2005, c’est aussi la fin de l’exception culturelle à l’Organisation mondiale du commerce. Les biens culturels vont-ils redevenir des produits comme les autres ? En attendant la grande bataille, qui aura lieu non seulement à l’OMC, mais aussi à l’Unesco (voir encadré), les initiatives se multiplient pour convaincre de ses positions le maximum d’interlocuteurs et, surtout, renforcer les capacités des acteurs de terrain. Y compris de la part d’institutions plutôt actives dans d’autres secteurs. La Banque mondiale, par exemple, a pour la première fois, sous la direction de Frank J. Penna, mené un projet (2000-2003) destiné à développer l’industrie musicale en Afrique – le premier pays à en avoir bénéficié est le Sénégal, qui en mai 2003 a reçu un prêt destiné, notamment, à améliorer la formation juridique des musiciens, afin que ceux-ci soient capables de négocier correctement leurs contrats.
Comment utiliser le levier de l’aide publique pour mobiliser des financements privés
La Francophonie, elle, assume depuis longtemps un rôle de précurseur. L’une de ses plus récentes actions est le lancement d’un site Internet trilingue (2) dédié à la diversité culturelle, résultat d’une coopération initiée en 2001 par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) avec les organisations représentant les espaces hispanophone et lusophone. Ces trois espaces linguistiques rassemblent 77 Etats et 3 gouvernements et représentent 1,2 milliard de personnes.
L’OIF s’est également penchée, lors d’une table-ronde préparatoire à la tenue de son Symposium sur l’accès aux financements internationaux (Paris, 5-7 mai 2004), sur « Les nouveaux partenaires du financement dans les domaines de l’éducation, de la formation et de la culture ». L’enjeu est ici de savoir comment inciter le secteur public à mieux s’ouvrir au secteur privé, comment convaincre ce dernier, et au-delà la société civile, de soutenir des actions dans ces domaines. Ou, plus précisément, comment utiliser le levier de l’aide publique pour mobiliser des financements privés et en retour comment utiliser la flexibilité et l’efficacité des financements privés pour améliorer la performance de l’aide au développement.
Au plan national également, plusieurs pays se mobilisent. La Belgique a créé Africalia, dont « la seule finalité (est) de permettre un développement structurel et une professionnalisation du secteur culturel africain ». En septembre 2003 notamment, Africalia a rassemblé acteurs et décideurs culturels africains à Bruxelles autour du thème « Formuler de nouveaux types de partenariats ». Le gouvernement du Québec, lui, a créé un site Internet (3) opéré par le Bureau de la diversité culturelle. Le ministère du Patrimoine canadien, pour sa part, organise du 12 au 14 janvier 2004 à Paris le Forum canadien sur l’entreprise de la culture (4). « J’invite, déclarait récemment la ministre Sheila Copps, les entrepreneurs du secteur des arts et de la culture du Canada, de la France et des pays francophones d’Europe et d’Afrique à participer à cette manifestation d’envergure. Ce sera pour eux l’occasion de créer des réseaux d’achat, de vente et de distribution et de mieux faire connaître leurs produits et services sur la scène internationale. »
« Dépasser l’opposition apparemment systématique entre “culture” et “commerce” »
Cette rencontre internationale, la première du genre, est un projet du programme canadien Routes commerciales, lancé il y a deux ans pour appuyer les exportations du secteur des arts et de la culture. Le Forum s’inscrit dans le contexte de l’exposition Le Canada Vraiment, qui se tient à La Villette, à Paris, pour célébrer le 400è anniversaire de la présence française en Amérique du Nord. Visitant début décembre cette exposition, le président Jacques Chirac a souligné que les deux pays avaient la « même conception des relations internationales fondées sur la primauté du droit, le respect des peuples, le rôle des Nations unies (…) Le même souci d’agir en faveur du développement durable, de l’Afrique et de l’environnement, le même engagement en faveur de la solidarité internationale, de la diversité culturelle et de la francophonie ».
Placé sous la bannière « Quand la culture s’affaire », le Forum propose trois sessions plénières et des ateliers thématiques où seront abordés des points comme le financement, l’investissement, la co-entreprise, le développement des compétences et la contribution des industries culturelles au développement international. Mais aussi un village d’experts, source d’information sur des questions concrètes telles que le droit commercial, la fiscalité et la réglementation culturelle pour les pays représentés au Forum. Et, enfin, des rencontres interentreprises (B-to-B), avec des producteurs, distributeurs, éditeurs, artistes et investisseurs afin de créer ou de consolider des partenariats d’affaires. Près de 400 participants sont attendus, venus du Canada, de France, Suisse, Belgique, Maroc, Tunisie, Algérie, Côte d’Ivoire, Mali, Sénégal..., représentant des festivals, des maisons de production/d’édition, des musées, des médias, des ministères et institutions en charge des divers secteurs de la création…
« Notre volonté, souligne Raymond Chrétien, ambassadeur du Canada en France, est de dépasser l’opposition apparemment systématique entre “culture” et “commerce”. Le Canada, tout comme la France et la Commission européenne, figure parmi les grands promoteurs de la diversité culturelle. (…) Nous souhaitons découvrir les savoir-faire de nos partenaires, exposer l’originalité de notre propre expression culturelle et favoriser le dialogue. Ce faisant, nous espérons donner l’occasion aux artisans de la culture de valoriser leurs œuvres pour mieux les faire circuler, élargir leurs auditoires et, pourquoi pas, par cette prospérité générée, offrir des conditions meilleures aux créateurs en vue de poursuivre leur mission. »
(1) www.unesco.org/culture/alliance
(2) www.3el.org
(3) www.mcc.gouv.qc.ca/international/diversite-culturelle/index.html
(4) www.forumcanada2004.com
Ariane Poissonnier
Vers une convention protégeant la diversité des contenus culturels ?
(MFI) En novembre 2001, la Conférence générale de l’Unesco adoptait la Déclaration universelle sur la diversité culturelle, qui qualifie cette diversité de « patrimoine commun de l’humanité » et la considère aussi nécessaire pour le genre humain que la biodiversité dans l’ordre du vivant. L’article 8 – la Déclaration en compte douze – stipule en particulier que « face aux mutations économiques et technologiques actuelles, qui ouvrent de vastes perspectives pour la création et l’innovation, une attention particulière doit être accordée à la diversité de l’offre créatrice, à la juste prise en compte des droits des auteurs et des artistes ainsi qu’à la spécificité des biens et services culturels qui, parce qu’ils sont porteurs d’identité, de valeurs et de sens, ne doivent pas être considérés comme des marchandises ou biens de consommation comme les autres ».
Après l’adoption de la Déclaration, la question de l’opportunité de concevoir un instrument normatif de nature contraignante s’est posée. Sur recommandation du Conseil exécutif, la 32è session de la Conférence générale a confié à Koïchiro Matsuura le mandat d’élaborer, pour la prochaine session de la Conférence générale, à l’automne 2005, un rapport préliminaire sur la situation devant faire l’objet d’une réglementation, accompagné d’un avant-projet de Convention internationale sur la protection de la diversité des contenus culturels et des expressions artistiques.
Si l’Allemagne, le Canada, la France, la Grèce, le Maroc, le Mexique notamment et la plupart des francophones sont « pour » la conception d’un tel instrument, les Etats-Unis, l’OMC et plusieurs membres de l’Union européenne, entre autres, sont « contre ». Or les Etats-Unis viennent, après presque vingt ans d’absence, de réintégrer l’Unesco dont, rappelle Bernard Cassen (Le Monde diplomatique, septembre 2003), « ils doivent financer 25 % du budget ».
La Francophonie a constitué un groupe de travail auquel elle a confié le mandat de préparer la contribution francophone à ce projet d’instrument juridique international ; elle a également développé un argumentaire (1) destiné à sensibiliser les acteurs, notamment francophones, appelés à prendre position sur le principe même de l’élaboration d’un tel instrument.
(1) http://agence.francophonie.org/diversiteculturelle/fichiers/argumentaire_diversite.pdf
A. P.
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