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05/03/2004
Les privatisations en question

(MFI) Si elle n’est pas nouvelle, la question de la privatisation des économies africaines se pose aujourd’hui dans un contexte différent. Un récent forum tenu à Bamako (1) l’a bien montré : alors que la privatisation touche désormais des entreprises à forte valeur symbolique, elle se produit aussi dans une période de moindre dogmatisme, où même les « privatiseurs » ne semblent plus si sûrs de leurs recettes et des résultats attendus.

Il n’y a pas si longtemps (en 2002), l’un des chefs de file du mouvement altermondialiste, Bernard Cassen, pouvait affirmer dans Le Monde diplomatique : « Pour les intégristes libéraux, hégémoniques au Fonds monétaire international, à la Banque mondiale, à l’OCDE, à la Commission européenne…, l’existence d’entreprises et services publics constitue un motif d’indignation permanent. » Formulée en référence aux pays européens, cette observation demande toutefois quelques nuances lorsqu’on envisage la situation en Afrique, où la question des privatisations, tout le monde en convient, ne peut plus être abordée de manière dogmatique.
Adepte d’une position modérée, la Commission européenne relève ainsi que « la privatisation et la libéralisation en Afrique sub-saharienne et dans les économies en transition n’ont pas toujours permis d’atteindre les résultats escomptés », avant de proposer une démarche peut-être moins systématique, où d’autres mécanismes seraient mis en œuvre ; on préférera alors parler, en procédant au cas par cas, de « réforme des entreprises d’État ». Une prudence qui s’explique : un délégué de la Commission européenne fait ainsi état des « véritables appels au secours reçus de gouvernements confrontés aux problèmes nés des privatisations ». Professeur à la Sorbonne et expert auprès de l’OCDE, Jean-Claude Berthélémy reconnaît lui aussi « la médiocrité des résultats obtenus par rapport à l’objectif ».
Observations d’autant plus à considérer qu’on est toujours, en Afrique subsaharienne, en pleine vague de privatisations. Après quelques initiatives assez isolées, la première grande phase de privatisations a été engagée au début des années quatre-vingt-dix, période où se diffusent les politiques d’ajustement structurel menées sous la pression des institutions de Bretton Woods. Cette première phase concernait plutôt les petites et moyennes entreprises intervenant dans un secteur concurrentiel, avant de s’étendre à des entreprises publiques plus importantes. On parle aujourd’hui d’une « seconde génération des privatisations », laquelle touche désormais les grandes entreprises dites de « réseau » jugées d’intérêt social ou stratégique (eau, électricité, télécommunications, transports, mais aussi mines, textiles, etc.).


Priorité à la réduction de la pauvreté

Or cette seconde vague se présente dans un contexte assez différent. C’est qu’on s’attaque aujourd’hui à des secteurs hautement sensibles, dans des pays africains convertis à la démocratie pluraliste où le poids de l’opinion se fait sensiblement plus important. Ensuite l’optique globale a changé : si l’on pensait, hier, les privatisations en termes de facteur de croissance, selon un schéma libéral assez univoque, tout le monde s’entend à reconnaître que la priorité en Afrique est aujourd’hui à la réduction de la pauvreté.
Et là, de grandes précautions s’imposent lorsqu’il s’agit d’évaluer l’impact de la privatisation sur les pauvres. L’entreprise privatisée permet-elle d’améliorer de manière notable la distribution d’eau ou d’électricité, notamment en direction des populations rurales ? Ses coûts sont-ils de nature à garantir l’accès des pauvres à ses services ? L’autre inconnue concerne l’emploi : la privatisation engendre le plus souvent une compression de personnels ; et à plus long terme, son effet sur l’emploi reste à ce jour frappé d’incertitude.
Comme le résume Jean-Claude Berthélémy, « le coût social de la privatisation reste à estimer pour les plus pauvres… Il doit être mis en rapport avec l’amélioration de la qualité de service… lequel peut avoir un coût. » Pour toutes ces raisons, la privatisation est souvent rejetée par les syndicats de travailleurs et reste suspecte aux yeux du public : « Nous avons fait notre bilan, note le secrétaire général de l’Union nationale des travailleurs du Mali : le passif est plus important que l’actif. » Connue pour ses prises de position contre la mondialisation, Aminata Traoré enfonce le clou : « Quelle est la place du citoyen ? Qui a décidé de la privatisation ? Qui en profite ? La privatisation est-elle respectueuse de la citoyenneté ? On parle de tout en matière de privatisation, sauf des hommes et des femmes réels ! »
Patron à la fois de la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) et de la Société des eaux de Côte d’Ivoire (Sodeci), Marcel Zadi peut donner l’exemple d’une privatisation réussie depuis… 1960. Mais cet exemple reste assez unique, et l’on peut opposer à la formule-choc de Marcel Zadi (« pour faire du social, il faut créer de la richesse ») un point de vue plus large adapté aux contraintes de l’époque : directeur général de la Banque commerciale du Burkina, Mahmud Hammuda, relève que « selon la Banque mondiale, la privatisation a rapporté seulement l’équivalent de 1,5 % du PIB du continent. Un problème se pose donc… »

Les privatisations, oui, mais selon quelles modalités ?

Ensuite personne ne peut ignorer que les privatisations se font, pour les gouvernements africains, sous la contrainte. « Nous devons privatiser, c’est incontournable », disent peu ou prou tous les dirigeants africains, avant de relever que tous les maux viennent de la mauvaise gestion des entreprises d’État, qui n’est guère contestée, et de la pression des partenaires internationaux. « On privatise aussi pour résoudre un problème », signale Jean-Claude Berthélémy, en citant le Botswana, qui a su – rare exemple de gestion efficiente – échapper à la déferlante. « Mais les privatisations sont quelquefois un drame pour les populations et le plus souvent un dilemme pour les politiques », résume le Premier ministre du Mali, Ahmed Mohammed Ag Hamani.
Cet état d’esprit peu encourageant est souligné par les spécialistes, qui insistent sur la nécessaire « capacité de l’État à s’approprier les réformes de privatisation, face aux interlocuteurs extérieurs ». Pour mieux négocier, il faut être convaincu, en effet. Et il faut un État fort pour mener à bien le processus. On conviendra toutefois que c’est ce qui manque le plus à l’Afrique actuelle… si bien que les privatisations s’effectuent le plus souvent dans un contexte de flou juridique et réglementaire, en l’absence de cahiers des charges méthodiques, sans véritable examen de la situation respective des entreprises à privatiser, sans trop de soin apporté à l’information des personnels et des populations, avec une opacité certaine sur les modes de rétrocession au privé, et pour finir dans une grande indécision sur les objectifs poursuivis : « On ne peut pas privatiser pour à la fois remplir les caisses de l’État, préserver l’emploi, améliorer le service… », souligne un observateur. Ce que résume magistralement Aminata Traoré, d’un proverbe bamanan du Mali : « La viande n’est pas tendre et le couteau coupe mal » !

(1) Forum de Bamako, 19 février 2003 : Privatisations en Afrique, quelle analyse critique ?

Thierry Perret


L’IHEM, un institut malien pour l’« excellence »

(MFI) Organisateur depuis plusieurs années du Forum de Bamako, l’Institut des hautes études en management (IHEM) a trouvé avec cette initiative qui draine régulièrement hautes personnalités et experts reconnus, une vitrine pour ses activités d’enseignement. Dédié notamment à l’organisation de sessions de formation pour les hauts cadres maliens publics et privés, l’Institut doit à plusieurs partenariats noués avec les universités canadiennes ou françaises de proposer des programmes de bon niveau, reconnus à l’étranger.
Mais l’ambition, dans un pays comme le Mali où la carence est importante en matière d’enseignement supérieur, va plus loin : l’IHEM veut constituer à la fois un pôle d’excellence et un catalyseur pour l’évolution du contexte socio-économique du pays, dont son fondateur, Abdoullah Coulibaly, reconnaît qu’il est « difficile » et offre de nombreux freins au développement. Consultant international, ayant occupé des fonctions de direction dans plusieurs sociétés spécialisées dans le conseil en management en France et aux Etats-Unis, le président de l’IHEM figure cette nouvelle génération d’acteurs africains soucieux de promouvoir, non sans grands efforts, l’esprit d’entreprise dans une configuration a priori peu propice. Le futur Forum de Bamako s’interrogera d’ailleurs, en 2005, sur les rapports entre… culture et développement.

T. P.




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