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19/03/2004
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Afrique : la mondialisation sur la sellette
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(MFI) La mondialisation chère aux chantres du libéralisme a souvent pénalisé les plus pauvres, qui n’ont pas les moyens de se battre dans cette guerre économique généralisée. Ses impacts souvent négatifs sur les pays africains ont été soulignés, fin février à Genève, par la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation, mise en place par l’Organisation internationale du travail.
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C’est en 2002 que le directeur général de l’Organisation internationale du travail (OIT), Juan Somavia, a suscité la création de la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation. Formée de 26 personnalités internationales dont des politiques, des spécialistes des questions économiques et sociales, des représentants du milieu des affaires, des syndicats et de la société civile, cette commission porte aussi bien la voix du Nord que celle du Sud : elle est dirigée conjointement par les chefs d’Etat de Finlande et de Tanzanie, Tarja Halonen et Benjamin Mkapa. Dans un rapport de 200 pages, publié à l’issue d’une série de réunions de groupes de travail à travers le monde, les 26 se sont émus de « l’impasse » dans laquelle se trouve le débat sur la mondialisation. « Il s’agit de changer la voie actuellement suivie par la mondialisation. Nous estimons que celle-ci peut profiter à plus de personnes, que ses avantages doivent être mieux partagés entre les pays et à l’intérieur des pays, que beaucoup plus de voix doivent se faire entendre et influer sur le cours des événements. Les ressources et les moyens existent », ont-ils affirmé.
Le chapitre sur l’Afrique, qui reflète les points de vue de participants du continent, est plus dur. « Il ne fait pas de doute que, en vingt ans de mondialisation, les choses se sont bien plus mal passées pour l’Afrique que pour les autres régions. Toutefois, la responsabilité de la mondialisation dans les problèmes de l’Afrique reste à débattre. L’Afrique s’est sentie, dans le meilleur des cas, laissée pour compte, et, dans le pire, trompée et humiliée », ont-ils souligné.
« Développer une culture de résistance »
Les critiques des Africains ont été diverses et nuancées. Ainsi un participant au dialogue tenu au Sénégal a comparé la mondialisation à une « recolonisation de nos pays ». Il a estimé que celle-ci n’était pas souhaitée par l’Afrique mais lui était étrangère et imposée. Selon un autre participant, pour les entreprises africaines la mondialisation est un « combat inégal aboutissant à une mort certaine ». Un leader de la société civile a considéré que l’Afrique doit « développer une culture de résistance », si elle ne veut pas être reléguée au rang d’« économie de mendiants ». Toutefois, en Ouganda, pays qui a été un des « bons élèves » de la libéralisation économique, le son de cloche est plus nuancé. Certains participants au groupe de travail régional ont admis que la mondialisation peut être une bonne chose pour la démocratie, l’éducation et l’emploi.
L’opinion générale a été que l’Afrique ne pourra pas avancer en se tenant à l’écart de ce processus. Les participants africains relèvent toutefois une longue liste d’aspects négatifs au schéma actuel de mondialisation. D’abord les politiques agricoles et les tarifs douaniers des pays riches. Ainsi, le Mali ne trouve aucune raison de respecter les règles commerciales quand l’un des rares produits pour lesquels il est compétitif, le coton, est vendu moins cher par d’autres pays à cause de subventions. Les tarifs douaniers pratiqués par les pays occidentaux continuent de faire obstacle à la transformation locale des produits ; les producteurs deviennent otages de la baisse des cours des matières premières, indique le rapport. En Tanzanie, un participant a souligné que les cours du café brut n’ont jamais été aussi bas, mais qu’une tasse de café coûte toujours aussi cher à New York, Tokyo ou Genève.
Privilégier les initiatives locales et les « solutions africaines aux problèmes africains »
Parmi les principaux sujets d’inquiétude évoqués figurent le sida, la pauvreté et les migrations. Les médicaments coûtent toujours très cher, et le sida et les migrations réduisent le nombre « déjà bien maigre » de main d’œuvre qualifiée. Les Africains ont aussi fréquemment souligné la frustration causée par les attitudes de certaines organisations internationales. Ils ont indiqué que les négociateurs africains manquent de l’information et des ressources nécessaires pour défendre leurs intérêts à l’Organisation mondiale du commerce. Certains ont affirmé que le Fonds monétaire international et la Banque mondiale sont des institutions « arrogantes » qui ignorent la situation locale et imaginent que leurs solutions sont valables partout. Ces institutions imposent des politiques qui conduisent à amputer le budget de l’éducation et les dépenses sociales, ont-ils ajouté. Et malgré leurs prévisions, la libéralisation des économies n’a pas été suivie de beaucoup d’investissements étrangers. Surtout, le poids de la dette extérieure paralyse les pays, même les mieux dirigés.
Mais les Africains n’imputent pas aux autres tous leurs problèmes. Ils se sentent eux aussi responsables et citent leur propre incapacité à créer des courants commerciaux et à s’intégrer aux autres économies. Ils reconnaissent que la régression économique a souvent pour cause autant une gouvernance déficiente que des influences extérieures, relevant notamment que les maigres ressources budgétaires sont dilapidées dans l’achat d’armes et des conflits dévastateurs. Il y a, estiment les auteurs du rapport, beaucoup à faire pour créer les conditions nécessaires à la réduction de la pauvreté. Il faut privilégier les initiatives locales et les « solutions africaines aux problèmes africains », même si l’aide extérieure reste importante pour permettre au continent de participer au progrès mondial.
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Marie Joannidis
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