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21/01/2005
Industries textiles africaines : comment contrer la déferlante asiatique ?

(MFI) Depuis le 1er janvier 2005, l’Afrique se trouve confrontée à un nouveau défi : la suppression des quotas sur le commerce des textiles, qui ouvre la voie à une déferlante asiatique, en particulier chinoise et indienne ; celle-ci risque de laminer une production certes modeste sur le plan international mais vitale pour plusieurs pays du continent.

L’Accord Multifibres (AMF) de 1974 et l’Accord sur les textiles et les vêtements (ATV), arrivé désormais à expiration, ont longtemps régi le commerce dans ce domaine par un régime de contingentement des importations adapté à chaque pays. Les quotas ont notamment profité à des pays pauvres d’Asie, comme le Bangladesh, mais aussi africains qui risquent d’être aujourd’hui pénalisés au même titre que des Etats riches d’Europe ou d’Amérique du Nord.
Pour Hildegunn Nordaas, économiste norvégienne auteure d’un rapport pour le Bureau International de Travail (BIT) sur les retombées probables de la fin de l’AMF/MFA, la concurrence chinoise représente une menace pour les producteurs africains à court terme. Mais, selon cette "ancienne" de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Chine a déjà atteint un niveau de développement industriel qui implique qu’elle va se détourner peu à peu des textiles pour se concentrer sur des secteurs à valeur ajoutée plus élevée. A plus long terme, ce sera ainsi l’Inde qui causerait les plus grands problèmes pour les Africains.

Un marché mondial dominé par les grandes chaînes multinationales du prêt-à-porter

Les PMA africains gardent pour l’instant un avantage non négligeable. Alors que les vêtements fabriqués en Chine ou en Inde sont frappés de droits de douanes élevés – de l’ordre de 15 % – aussi bien à l’entrée dans l’Union européenne qu’aux Etats-Unis, les produits africains sont exemptés de ces droits dans la plupart des cas. Soulignant que le marché mondial est désormais dominé par les grandes chaînes multinationales du prêt-à-porter, Hildegunn Nordaas explique aussi que ces groupes basent en général leurs commandes sur le principe de la fourniture "à flux tendu" pour éviter le maintien de stocks coûteux. Ce qui n’avantage pas les producteurs africains qui ont du mal à respecter les délais de livraison.
Les nouvelles méthodes de fabrication impliquent souvent que les tissus sont fabriqués dans un pays, les modèles découpés dans un autre et les vêtements montés dans les ateliers d’un troisième. Dans un tel environnement, les retards accumulés aussi bien à l’importation des matières premières qu’à l’exportation du produit fini peuvent menacer la compétitivité, selon Hildegunn Nordaas. Jean-Paul Sajhau, responsable du secteur textile et vêtements au BIT reconnaît que les Africains, en particulier des pays comme le Maroc, la Tunisie, le Kenya, le Lesotho ou Maurice ont raison d’éprouver « une inquiétude mesurée ». Mais il faut, selon lui, attendre un certain temps pour voir les conséquences de la nouvelle situation qui dépendra des gouvernements mais aussi des grosses entreprises.
Pour la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), tous les pays peuvent retirer des gains substantiels d’une libéralisation de ce commerce mondial. Un rapport indique ainsi que, de façon générale, « les pays en développement ayant un avantage comparatif dans le secteur devraient voir leur production et leurs exportations augmenter une fois que l’ATV aura disparu, tandis que le consommateur des pays développés devrait beaucoup y gagner car il achètera moins cher ses vêtements ». Les experts de cette organisation admettent toutefois que l’expiration de l’ATV peut fragiliser les pays les moins avancés (PMA) et les petits pays dont les exportations sont tributaires des produits textiles ; ils préconisent pour eux des mesures d’ajustement spéciales, consistant à améliorer l’accès préférentiel et à assouplir les conditions et les règles d’origine. Des fonds de développement visant à aider ces pays à renforcer leur offre et à se moderniser sur le plan technique devraient également être prévus.
Le Directeur général de l’OMC, Supachai Panitchpakdi, partage cet optimisme relatif, tout en affirmant qu’il est conscient des problèmes d’ajustement. Rappelant que le secrétariat de l’OMC avait organisé trois ateliers régionaux en 2004 pour examiner les conséquences de la fin des quotas, dont une réunion à l’intention des pays africains à Maseru (Lesotho) en septembre, il s’est notamment félicité de la mise en place du Mécanisme d’intégration commerciale (MIC) du Fonds monétaire international (FMI). Celui-ci constitue, selon lui, un exemple significatif de coopération et de cohérence dans l’élaboration des politiques économiques au niveau mondial. Le MIC soutiendra les pays en développement à faible revenu qui rencontreront des problèmes d’ajustement du fait de l’expiration de l’ATV.

Trente millions d’emplois affectés dans le monde ?

Mais d’autres sons de cloche sont plus alarmistes. La Confédération internationale des syndicats du textile estime ainsi que 30 millions d’emplois pourraient être affectés dans le monde par la fin de la politique des quotas. Des experts de la Banque mondiale pensent que la Chine en profitera le plus, même si des mécanismes de protection sont prévus jusqu’en 2008. Dans un rapport de février 2004, la Commission américaine du commerce extérieur partage ce point de vue, soulignant que nombreux pays en développement, tels que le Bangladesh, l’Égypte, Madagascar, le Sri Lanka et l’Ouganda, craignent que les importations en provenance de la Chine et de l’Inde fassent disparaître leurs produits du marché des grands pays industriels.
Sous la direction de Maurice, un groupe de 10 pays en développement a demandé à l’OMC d’évaluer l’incidence de la suppression des contingents sur les différents pays. Des consultations officieuses n’ont pas abouti à un accord formel au sujet d’une aide éventuelle aux producteurs les plus vulnérables. La Chine, l’Inde et d’autres exportateurs ont en effet soutenu que de tels pays devraient chercher à obtenir un meilleur traitement préférentiel de la part des grands pays importateurs et une aide des institutions financières multilatérales au lieu d’exonérations de la part de l’OMC.
Les producteurs de 51 pays en développement ont en outre apporté leur soutien à une pétition présentée par le secteur américain du textile en vue de limiter les importations chinoises telles que chaussettes, pantalons en coton, en matières synthétiques et en laine, chemises de tricot en coton et en matières synthétiques et sous-vêtements. Les Chinois qui courtisent l’Afrique et mènent depuis quelques années une offensive commerciale tous azimuts sur le continent ont voulu calmer le jeu. Ils ont indiqué fin 2004 qu’ils avaient décidé d’exempter de droits douaniers un certain nombre d’articles d’usage courant importés de 25 pays africains les moins développés.
« Les Africains doivent non seulement s’organiser mais aussi se moderniser dans le secteur des textiles », souligne un expert. Ils doivent, pour lui, profiter du soutien actuel de pays européens comme la Grande-Bretagne ou la France et des acquis concernant la filière cotonnière. Grâce aux efforts de quatre producteurs africains – Bénin, Burkina, Mali et Tchad –, les pays membres de l’OMC ont établi en novembre 2004 un sous-comité du coton afin de s’assurer que les problèmes dans ce secteur soient traités « de manière ambitieuse, rapide et spécifique » dans les négociations du cycle de Doha. La démarche, datant de la mi-2003, était la première action de ce type effectuée par des pays africains. Ils demandaient l’élimination des subventions par les pays riches et une compensation pour couvrir les pertes économiques occasionnées par ces pratiques. La France, la première, a plaidé dès 2003 pour un moratoire sur les aides aux exportations agricoles déstabilisantes pendant la durée des négociations en cours à l’OMC.
Elle a été suivie au début de 2005 par la Grande-Bretagne qui, en tant que présidente cette année du G8, a lancé l’idée d’un plan ambitieux de lutte contre la pauvreté. Ce plan prévoit notamment l’annulation de la dette « impayable » de pays africains. Gordon Brown, le ministre britannique des Finances a souligné, lors d’une tournée en Afrique en janvier 2005, la nécessité d’ouvrir les marchés aux exportations africaines, reconnaissant que les subventions agricoles des pays riches freinent les efforts de développement de l’Afrique.

Marie Joannidis




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