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04/03/2005
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Corruption et concurrence déloyale en Afrique : que faire ?
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(MFI) Comment rendre l’Afrique plus attrayante pour les investisseurs ? La Commission économique pour l’Afrique accueille, les 7 et 8 mars 2005 à Addis-Abeba (Éthiopie), une conférence intitulée « Alliances en faveur de l’intégrité » qui s’interroge sur les moyens que les gouvernements et les investisseurs peuvent employer pour donner aux affaires un cadre exempt de malversations, d’extorsions et autres formes de corruption.
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« Malgré les soutiens extérieurs, le Tchad n’est pas en mesure de gérer les complexités d’une économie de plus en plus dominée par le pétrole. Trop d’argent reste en dehors des mécanismes de transparence mis en place lors de l’élaboration du projet », souligne l’Américain Ian Gary, membre de Catholic Relief Services et animateur de la campagne internationale Publiez ce que vous payez, dans un nouveau rapport rendu public début mars, Le pétrole au Tchad : miracle ou mirage ?. Si les industries extractives sont particulièrement visées lorsqu’on parle détournements et corruption, elles sont loin d’être les seules concernées.
Tous les secteurs sont touchés, et la question ne regarde pas uniquement les associations militantes et les gouvernements, mais aussi le secteur privé et, plus généralement, la société dans son ensemble : « Laisser se développer un climat de corruption et d’extorsion conduit l’économie d’un pays au chaos », souligne Philippe Montigny, président du groupe de travail du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN) sur la prévention de la corruption. « La corruption, poursuit-il, touche plus ou moins toutes les régions du globe. Mais elle est particulièrement désastreuse dans les pays les plus pauvres. C’est une véritable hémorragie sur un corps affaibli, les ressources détournées n’étant jamais investies dans le pays. Et ce sont les citoyens les plus démunis du pays qui en pâtissent le plus : infrastructures non construites, marchés publics emportés sur des critères autres que de qualité, prix à l’importation renchéris par les prélèvements indus en douane… »
La donne est radicalement modifiée
Pour que les entreprises puissent investir dans les économies africaines, il est donc essentiel d’offrir un environnement transparent et sans corruption. C’est dans cette optique que se réunit, les 7 et 8 mars 2005 à la Commission économique pour l’Afrique, à Addis-Abeba (Éthiopie), la conférence intitulée « Alliances en faveur de l’intégrité : rôle des pouvoirs publics et des entreprises dans l’amélioration du niveau de vie en Afrique ». Organisée par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) avec le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), le Pacte mondial des Nations unies et Transparency International, la conférence est axée sur les moyens que peuvent utiliser les gouvernements africains et les investisseurs pour donner à la conduite des affaires un cadre exempt de malversations, d’extorsions et d’autres formes de corruption.
L’Union africaine a adopté, à Maputo (Mozambique) en juillet 2003, une convention sur la transparence et la lutte contre la corruption, signée par la plupart de ses pays membres. Trente-deux pays d’Afrique ont également signé la convention des Nations unies contre la corruption, adoptée à Mérida (Mexique) en décembre 2003. Mais seule une poignée de pays du continent a pour l’instant ratifié ces textes.
Plus « ancienne », puisqu’elle a été adoptée en 1997 et ratifiée par la plupart des pays membres, dont la France, en 2000, la convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales est désormais en vigueur. Ce texte, auquel l’Afrique du Sud a récemment demandé à adhérer, a radicalement modifié la donne pour les entreprises des pays de l’OCDE l’ayant ratifié.
Ariane Poissonnier
Philippe Montigny : « Des mesures urgentes et simples pour rétablir une concurrence loyale en Afrique »
(MFI) Philippe Montigny, président du groupe de travail du CIAN sur la prévention de la corruption, est directeur exécutif du cabinet-conseil International Development & Stratégies. Il a longtemps été en poste à l’OCDE.
MFI : Vous dites, de façon volontairement provocatrice, que la Convention anti-corruption de l’OCDE est « un nouvel obstacle au développement du commerce en Afrique ». Pourquoi ?
Philippe Montigny : Il s’agit d’attirer l’attention sur la situation inédite que cette convention a créée en Afrique. Une situation de compétition déloyale pour les entreprises de la zone OCDE, avec pour conséquence un désintéressement, voire un retrait d’un nombre significatif d’entre elles du continent, au profit d’autres marchés. Ce texte a provoqué une véritable révolution copernicienne. Avant 2000, une commission versée par une entreprise française à un fonctionnaire étranger pouvait être considérée comme relevant de frais commerciaux extraordinaires et parfois être déductible des impôts. Désormais, la même commission peut entraîner une condamnation à dix ans de prison et 75 000 euros d’amende pour le chef d’entreprise, et 750 000 euros d’amende pour l’entreprise.
Comment les entreprises ont-elles réagi ?
Elles ont adopté des mesures structurelles radicales destinées à interdire tout acte de corruption. Certaines ont mis en place des comités d’éthique, d’autres ont centralisé la gestion des contrats internationaux ; des procédures strictes ont été établies et des personnes chargées de veiller à leur respect ; les règlements intérieurs des personnels ont été modifiés et parfois des dispositifs de « sonnette d’alarme » mis en place. Mais au-delà de ces adaptations, l’idée émerge qu’il vaut peut-être mieux abandonner des marchés, y compris importants, plutôt que de risquer la prison, ou d’être banni des appels d’offres publics.
Cet assainissement du paysage de la corruption n’est-il pas un progrès ?
En Afrique, ce paysage s’est paradoxalement plutôt dégradé : les situations d’extorsion ont pris des proportions jusqu’ici inédites. Auparavant, les commissions indues pouvaient, pour certains agents publics et administrations, représenter non pas l’accessoire, mais l’essentiel de leurs ressources. Une fois ce circuit asséché, puisque les entreprises refusent désormais de verser de telles commissions, la tentation est grande de forcer leur décision en les plaçant en situation de racket. Ces pratiques ne sont pas nouvelles, mais elles prennent un caractère systématique qui conduit certaines entreprises de la zone OCDE à s’interroger sur leur présence en Afrique. En revanche, des sociétés locales ou des filiales de sociétés étrangères de pays n’ayant pas ratifié la convention de l’OCDE recourent encore aux « enveloppes » ou acceptent, au final, de payer dans les situations d’extorsion. Souvent, ces sociétés proviennent de pays émergents, comme le Pakistan, la Malaisie ou la Chine, qui a par exemple doublé ses relations commerciales avec le continent entre 2000 et 2003.
Quel effet ce changement d’acteurs peut-il avoir pour les pays africains ?
Si le mouvement d’abandon du continent par les entreprises de la zone OCDE devait se poursuivre et s’amplifier, l’impact sur les économies africaines serait lourd. Au-delà de la convention anti-corruption, ces entreprises respectent les normes sociales établies par le Bureau international du travail, et partagent pour la plupart un souci de protection de l’environnement, de formation de leurs salariés… Les entreprises du CIAN, par exemple, sont engagées dans le programme Sida-Entreprises qui a pour objet de prévenir et dépister la maladie et de soigner les salariés atteints. Par ailleurs, on constate que les pays les moins corrompus sont les plus compétitifs.
Quelles solutions proposez-vous ?
J’en vois trois, qui sont à la fois simples et urgentes. Un, que les gouvernements africains ratifient les deux conventions anti-corruption qu’ils ont, pour la plupart, signées. Deux, qu’ils mettent en oeuvre des dispositifs efficaces d’incrimination de la corruption et de lutte contre l’extorsion. Certains pays ont ainsi commencé à condamner des agents publics convaincus de corruption. Trois, que les gouvernements de la zone OCDE exercent une pression systématique et déterminée, bilatérale autant que multilatérale, sur les pays émergents pour une ratification immédiate de la convention anti-corruption des Nations unies. Ces mesures sont urgentes, car sinon les règles du commerce international seront structurellement faussées.
Propos recueillis par A. P.
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