|
|
20/01/2006
|
Pétrole : pourquoi le monde a besoin de l’Afrique
|
(MFI) L’envolée depuis 2003 des cours du pétrole, poussés par la demande galopante de la Chine mais aussi par celle de l’Inde, l’autre géant asiatique, a de quoi rassurer les dirigeants de la douzaine de pays producteurs de l’Afrique sub-saharienne. Ils sont en effet assurés pour quelque temps encore de tirer du brut des revenus dépassant largement les niveaux escomptés encore au début de la décennie. Et ils continuent d’être courtisés de tous les côtés par les pétroliers étrangers – asiatiques ou occidentaux – soucieux d’obtenir des nouveaux permis d’exploration et de production.
|
Le monde va plus que jamais avoir besoin de chaque goutte de brut sortie du sous-sol africain. Ceci en raison des changements intervenus depuis le début du nouveau millénaire dans le contexte géopolitique. On sait quelle est la volatilité des prix du pétrole, montés en flèche : de 19,50 dollars par baril début mai 2003, au moment où le président George Bush avait crié « victoire » en Irak, à 70 dollars en septembre 2005 sous l’effet de l’ouragan Katrina, avant de retomber à environ 55 dollars en fin d’année. La raison : les principaux producteurs, surtout les pays de l’Opep, n’ont plus disposé d’un excédent de capacité de production suffisant pour répondre à la poussée exceptionnellement forte de la demande internationale.
La nouvelle donne géopolitique
Les attaques terroristes aux Etats-Unis en septembre 2001, suivi de la déclaration de « guerre au terrorisme » du président George Bush et de l’intervention en Irak en 2003, jointes aux incertitudes qui entourent toujours le conflit israélo-palestinien ou encore la controverse autour des projets nucléaires iraniens, ont incité les Américains à tenter de réduire leur dépendance du pétrole importé du Moyen Orient, où gisent les deux tiers des réserves mondiales. Dès 2002, des responsables américains ont ainsi reconnu la valeur « stratégique » des réserves d’hydrocarbures du continent africain, où les « majors » pétroliers américains et européens sont déjà bien implantés. Depuis, Washington a aussi manifesté un nouvel intérêt pour le développement de l’Afrique sub-saharienne.
L’émergence de la Chine en tant que puissance économique sur le plan mondial, avec un taux de croissance avoisinant les 9 % par an, complique les choses pour les Occidentaux. La consommation chinoise a augmenté de 15 % en 2004 et d’autant en 2005, selon les experts, et Beijing a fortement accru ses importations. L’Inde, voisine de la Chine en Asie du Sud, se trouve également dans une phase de développement rapide, et importe du brut à tout va.
Ces facteurs ont entraîné une concurrence effrénée entre les compagnies pétrolières des deux géants qui cherchent à s’assurer de nouvelles sources d’approvisionnement en Afrique, mais qui sont aussi prêts à travailler ensemble - comme au Soudan. Les « majors » multinationaux occidentaux, forts de leurs technologies de pointe et de leurs poids financier, s’accrochent farouchement à leurs positions acquises, mais laissent aussi des niches libres pour une multitude de petites compagnies, dites « indépendantes », qui explorent fiévreusement le continent et ses côtes à la recherche de la moindre indication de pétrole ou de gaz, partout où ils peuvent obtenir le feux vert des autorités.
Potentiels et perspectives
Depuis les années 1980, et surtout depuis la fin des années 1990, le pourtour du Golfe de Guinée est devenu l’un des point chauds de l’exploration pétrolière mondiale, avec une série de découvertes majeures au large des côtes de pays comme l’Angola, la Guinée Equatoriale et le Nigeria, et le développement de ressources significatives à l’intérieur du continent, au Soudan et au Tchad. La Mauritanie va rejoindre le peloton des pays producteurs avec la mise en opération d’un premier gisement offshore, le Chinguetti, prévue au premier semestre de 2006, et un deuxième champ devrait être opérationnel dès 2007. Sao Tomé et Principe, voisine de la Guinée Equatoriale, pourrait aussi devenir prochainement un producteur significatif.
Malgré une production en forte hausse depuis quelques années, l’Afrique subsaharienne ne prétend pas rivaliser en importance avec les principales provinces pétrolières du monde. Ses réserves prouvées, estimées par certains experts à environ 57 milliards de barils, contre 55 milliards pour les pays de l’Afrique du Nord (Algérie, Libye, Egypte – dont les deux premiers font partie de l’OPEP), ne pèsent pas lourd par rapport aux réserves mondiales, estimées à 1188 milliards de barils. Et la production de la région, estimé par le groupe British Petroleum (BP) à 5 millions de barils par jour (Mbj) en 2004, est également assez limitée par rapport à un total mondial de 80,2 mbj. Michael Rothman, analyste américain bien connu, estime la production de la région à environ 5,44 mbj pour 2005 et prévoit un accroissement de quelque 0,55 mbj en 2006, pour un total de 6,0 mbj.
Des atouts pour le pétrole africain
Pour Jean-Pierrre Favennec, de l’Institut Français de Pétrole, l’Afrique et notamment sa partie sub-saharienne « est déjà et deviendra encore plus dans le moyen terme un acteur significatif » sur la scène pétrolière mondiale et dispose de plusieurs atouts. Les bruts de la région sont de bonne qualité, en général légers et peu sulfureux, et conviennent ainsi particulièrement aux raffineries européennes. En outre, grâce aux progrès technologiques, les gisements au large des côtes de l’Afrique de l’Ouest sont relativement faciles à exploiter. Ils sont en outre bien situés par rapport aux pays consommateurs de l’Europe et des Etats-Unis.
La production de pétrole en Afrique sub-saharienne a commencé plus tard que dans d’autres régions du monde – dans les années 1950 au Gabon, au Congo-Brazzaville et en Angola, et dans les années 1960 au Nigeria, le seul membre de l’Opep dans la région et de loin le principal producteur, avec environ 2,5 mbj. Le Nigeria a dépassé ce niveau pour la première fois en 2004 et le maintiendra sans doute dans l’immédiat. L’Angola, deuxième producteur de la région, aura dépassé pour la première fois le million de barils en 2005 (à 1,24 mbj), et devrait pratiquement atteindre les 1,5 mbj en 2006, avec la mise en œuvre de nouveaux champs. Un nouveau producteur, la Guinée Equatoriale, produit depuis 2004 environ 350 000 à 360 000 b/j, devançant ainsi le Soudan, à 337 000 b/j en 2005, et les deux « anciens » de la région, Congo-Brazzaville et le Gabon, à 241 000 b/j et 235 000 b/j respectivement en 2005. Le Soudan pourrait dépasser les 530 000 b/j cette année, devenant ainsi le troisième producteur de la région.
Les Africains ont créé l’Association des Pays Producteurs Africains (APPA) – qui couvre aussi l’Afrique du Nord – pour défendre leurs intérêts communs. Sept pays riverains ont aussi établi en 1999, à l’initiative du Nigeria, la Commission du Golfe de Guinée (CGG) pour « préserver la paix, la sécurité et la stabilité » dans la région. Des litiges sur la démarcation des zones d’exploitation du brut ont été résolus dans ce cadre.
Bénédiction ou… malédiction pétrolière ?
Selon Michael Rothman, les pays de l’OPEP pourraient réduire leur production si les prix du marché baissaient à quelque 40 à 45 dollars le baril courant 2006. Si tel était le cas, les producteurs africains en bénéficieraient. Leurs revenus seraient maintenus à des niveaux qui devraient leur assurer des ressources considérables pour leur développement économique et social. Certains de ces pays, comme l’Angola et le Soudan, sortent à peine de conflits prolongés. Leurs régimes, comme on l’a vu récemment au Tchad, acceptent mal les pressions du Fonds monétaire international et de leurs bailleurs de fonds pour plus de transparence dans la gestion de leurs pétrodollars. Les Chinois et les Indiens de leur côté ne se soucient guère des droits de l’homme ni des efforts internationaux pour combattre la corruption.
La concurrence est ainsi dure pour les grandes compagnies internationales, pour leur part surveillées de près par les ONG et l’opinion publique de leurs pays d’origine. Reste que pour certains observateurs, y compris africains, le pétrole est plus perçu comme une malédiction que comme un bienfait, son exploitation ayant désorganisé des économies désormais livrées à l’affairisme et au détournement, avec de faibles retombées pour les populations. Des manifestations populaires ont ainsi salué l’entrée de la Mauritanie dans l’âge de « l’or noir »…
|
Jan Kristiansen
|
|
|