(MFI) L’Afrique, où des millions de civils dépendent encore de l’aide internationale pour survivre, redoute d’être oubliée par les bailleurs de fonds, préoccupés par la situation humanitaire dramatique de l’Afghanistan.
Le secrétaire général des Nations unies (Onu), Kofi Annan, a mis en garde la communauté internationale contre ce risque d’oubli en lançant, le 26 novembre à New York, un appel à une contribution de 2,5 milliards de dollars des pays donateurs afin de venir en aide à quelque 33 millions de personnes « vulnérables » à travers le monde, en particulier en Afrique, qui, selon lui, sont « les survivants de conflits, de désastres naturels et très souvent d’une combinaison terrible des deux ».
« N’est-il pas ironique qu’il ait fallu une attaque terroriste et la réaction militaire à celle-ci pour attirer l’attention sur les énormes besoins humanitaires de l’Afghanistan », a-t-il demandé, en se félicitant des efforts faits pour soulager les souffrances du peuple afghan. Cependant, a ajouté Kofi Annan qui est lui-même ghanéen, « il y a dix-sept autres crises humanitaires complexes qui sont identifiées dans cet appel et je vous demande de ne pas oublier une seule d’entre elles ».
Le Haut commissaire des Nations unies pour les réfugiés, le Néerlandais Ruud Lubbers, a pour sa part affirmé à Bruxelles qu’en se concentrant sur l’Afghanistan, il y avait un risque d’oublier les autres crises. « Tout le monde est conscient à présent de la tragédie du peuple afghan… mais qu’en est-il de la situation de populations vulnérables qui n’est pas moins tragique, comme par exemple en Angola », a demandé pour sa part le Commissaire européen pour le développement, le Danois Poul Nielsen, qui l’accompagnait au cours du lancement dans plusieurs centres européens de l’appel de l’Onu. « Qui fait ce qu’il faut pour mettre un terme à ce genre de conflits ? », a-t-il ajouté.
Les pays et régions africains concernés par l’appel sont l’Angola, le Burundi, la République démocratique du Congo (RDC), l’Erythrée, l’Ethiopie, la région des Grands Lacs, la Guinée, le Liberia, la Sierra Leone, la Somalie, le Soudan et l’Ouganda. Parmi les autres pays ou régions mentionnés figurent la Corée du Nord, l’Indonésie, le nord Caucase (Tchétchénie), le sud-est de l’Europe (Balkans) et le Tadjikistan.
Les besoins afghans pour six mois passent de 584 à 662 millions de dollars
Pour l’Afghanistan, l’Onu, ses agences spécialisées et leurs partenaires avaient prévu initialement une somme de 584 millions de dollars pour la période allant d’octobre 2001 à fin mars 2002. Ce montant a été revu à la hausse à 657 millions de dollars, puis à 662 millions auxquels s’ajoute un supplément de 319 millions de dollars qui n’avait pas été déboursé. Cette somme de près d’un milliard de dollars a été estimée dans une période de grande incertitude et de bouleversements. Une nouvelle évaluation devrait se faire d’ici la fin février 2002 pour les besoins couvrant la période du 1er octobre 2001 au 31 décembre 2002.
A Genève, la Norvégienne Gro Harlem Brundtland, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a rappelé que seuls 50 % des besoins des populations vulnérables dans le monde ont été couverts cette année contre 55 % en 2000 et 67 % en 1999. Ainsi, l’OMS n’a pas reçu plus de 12,5 % des sommes requises pour 2001. De son côté, le directeur général du Comité international de la Croix Rouge (CICR), Paul Grossrieder, a mis l’accent sur le fait que plusieurs pays comme le Soudan ou la RDC sont actuellement dans la même situation d’urgence que l’Afghanistan avant le 11 septembre.
Sauver des vies et préserver les moyens de subsistance
Le Sénégalais Daouda Touré, représentant du PNUD et coordinateur humanitaire en Ouganda, ne cache pas en privé sa préoccupation, même si les bailleurs de fonds assurent qu’ils resteront généreux pour tout le monde. « En Ouganda, pays qui a pourtant bénéficié d’un soutien dans plusieurs domaines, il existe toujours des poches d’extrême pauvreté… Et la seule aide alimentaire ne suffit pas à sauver les populations quand il n’y a ni eau potable, ni médicaments, ni infrastructures », a-t-il souligné. Les besoins africains incluent en effet de l’aide d’urgence, mais aussi un soutien aux projets permettant de relancer la production agricole et l’économie locale.
En RDC par exemple, où l’aide demandée est de 194 millions de dollars, il s’agit non seulement de sauver des vies dans un pays où deux millions de personnes ont fui leurs foyers et où un tiers de la population manque de nourriture, mais aussi de préserver les moyens de subsistance en fournissant aux familles déplacées les semences et les outils nécessaires pour se nourrir elles-mêmes. En Guinée, l’action prévue (50 millions de dollars) porte sur la recherche d’une solution durable à la crise régionale en améliorant la sécurité alimentaire et les conditions de santé. Le pays abrite 200 000 réfugiés du Liberia et de la Sierra Leone et 300 000 Guinéens ont été déplacés de leurs régions d’origine.
« Les exemples en Afrique sont multiples et il faut que les Africains assument aussi leur part du fardeau », reconnaissent les experts africains. « Mais il ne faut pas que les images de l’Afghanistan, comme celles du Kosovo en leur temps, occultent les souffrances des populations africaines qui ne sont plus médiatisées », ajoutent-ils. « Sans protéger les vulnérables, nos initiatives de paix seront à la fois fragiles et illusoires », a affirmé pour sa part Kofi Annan.
Marie Joannidis