(MFI) Parce qu’elles représentent des enjeux économiques de premier ordre, les industries culturelles font l’objet d’âpres négociations dans les négociations liées au commerce international. Mais elles servent aussi de ciment à des regroupements régionaux. Pendant que les pays les mieux lotis se disputent les marchés, les moins avancés cherchent à cumuler les aides à travers des accords de coopération.
Selon l’Unesco, les exportations de biens culturels pèsent 123 milliards de dollars. Leur volume a triplé au cours des vingt dernières années. De plus, le secteur génère des centaines de milliers d’emploi dans l’audiovisuel, le show business, le tourisme et l’édition. Plusieurs études onusiennes prévoient un doublement des emplois dans ces activités, d’ici 2005.
Il n'est donc pas étonnant que le sujet enflamme toutes les négociations internationales. L’enjeu des industries culturelles se cristallise autour des négociations qui se poursuivent dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La communauté internationale s’accorde sur les principaux objectifs à atteindre : la préservation des droits d’auteur, une concurrence mondiale équitable et la libre circulation des œuvres et des capitaux. Le premier point fait l’unanimité dans la mesure où la piraterie frappe indifféremment des artistes de tous pays (une œuvre musicale sur trois est piratée). En revanche, les voies pour parvenir à une concurrence équilibrée opposent d’un côté les gros exportateurs emmenés par les États-Unis, le Japon, le Mexique et le Brésil, favorables à la libéralisation totale de l’audiovisuel... et de l’autre les États qui militent pour ce qu’il est convenu d’appeler « l’exception culturelle », c’est à dire la faculté d’appliquer des règles de sauvegarde particulières aux produits culturels. L’affrontement est particulièrement vif entre les quelque vingt cinq pays industrialisés qui représentent, d’après l’Unesco, 78 % des échanges de produits culturels.
Constitution de blocs régionaux
En marge de cette confrontation généralisée, des blocs régionaux s’organisent au niveau de l’Union européenne, de l’Amérique du nord ou du sud, de l’Afrique, et de la zone francophone. « Ce n’est que récemment que la culture et les produits culturels ont commencé à recevoir une reconnaissance particulière en droit communautaire européen », fait remarquer Pierre Sauvé, expert auprès de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et enseignant à l’Université de Harvard. Partie sur cette lancée en 1993, l’Europe a mis les bouchées doubles, en multipliant les échanges entre pays membres et les partenariats avec les pays tiers. Au catalogue des mesures : promotion des produits multimédias, facilités fiscales, prix fixe du livre, accord de production audiovisuelle, soutien à l’audiovisuel public. Objectif : faire contrepoids à la « puissance culturelle » américaine.
Cette offensive généralisée a largement profité aux pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), qui ont bénéficié de la monté en puissance du volet culturel de la convention ACP-CEE. « Ces 15 dernières années, 350 projets culturels ont été soutenus par les fonds européens », confirme Serge Kancel, expert auprès de la Commission européenne. Cela va du financement du Festival panafricain de cinéma de Ouagadougou (FESPACO) à la formation de réalisateurs audiovisuels ivoiriens, en passant par l’organisation de manifestations favorables au Sud dans les villes européennes. « La culture est l’un des rares domaines où les pays pauvres peuvent s’affirmer d’une voix forte, y compris en position de leadership commercial, car on connaît la vigueur économique de la world music. Il faut donc aider les exportations culturelles au même titre que celles de matières premières », analyse de son côté un membre du secrétariat permanent ACP à Bruxelles.
L’action multiforme de la Francophonie mérite aussi d’être soulignée, même si elle ne s’inscrit pas dans une logique de blocs régionaux. On citera notamment les projets visant à favoriser la circulation des spectacles, les arts plastiques, le soutien aux entreprises culturelles, et à l’audiovisuel par le truchement du programme « Image ».
Des stratégies de coopération divergentes sur les différents continents
Sur le continent américain, où coexistent deux modèles de coopération (Accord de libre échange nord américaine –Alena- d’un côté et Marché commun du sud – Mercosur – de l’autre), les produits culturels ont aussi fait l’objet de négociations spécifiques. Mais les résultats concrets sont divergents. Si dans le cadre de l’Alena le Mexique a peu ou prou adhéré à la libre circulation sans restriction, le Canada y est resté réfractaire. Quant au Mercosur, qui regroupe l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l´Uruguay, il a opté pour un « traitement particulier » des biens culturels qui laisse une large place aux initiatives nationales. Un signe qui ne trompe pas : le premier rapport du Comité sur la culture créé en son sein a été consacré à… la pénétration du cinéma américain sur le territoire des pays membres. Dans la zone Asie, la Chine le Japon et l’Inde qui occupent jusqu’à 30 % du marché audiovisuel se gardent bien d’éveiller des visées revendicatives chez leurs partenaires de la région.
Restent les organismes de coopération interafricains. Tous, de la CEDEAO à la SADC font une allusion explicite aux échanges culturels, mais il s’agit plus de déclarations de principe que de l’organisation d’un véritable marché du loisir, faute de véritables « industries » locales. De fait, c’est avec leurs partenaires du Nord que les pays du continent réalisent la part la plus significative de leurs échanges. Outre les subsides accordés dans le cadre la convention ACP et le programme spécial Afrique de l’Unesco, ils comptent sur les accords de coproduction. La France, la Belgique, la Suisse le Canada et le Portugal en proposent. Le volume et la valeur de ces opérations excèdent largement ceux des échanges purement commerciaux des pays du continent. C’est dire la distance qui les sépare des « puissances » culturelles qui s’empoignent à l’OMC.
Yolande S. Kouamé