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07/03/2002
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Les enjeux du sommet de Monterrey (4) : Le piège de la dette
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(MFI) Rien de plus normal pour un pays que d’emprunter si ses ressources intérieures ne suffisent pas à financer les investissements nécessaires à l’expansion de son économie. Mais bien des pays pauvres sont tombés dans le piège du surendettement, pour des raisons extérieures autant que par la faute de leurs propres dirigeants.
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Les pays ainsi piégés se trouvent pris dans un cercle vicieux : sans développement ni croissance, pas de moyens pour rembourser la dette, et sans remboursements réguliers, pas de crédits nouveaux pour alimenter l’expansion. La communauté internationale cherche depuis des années une solution à ce dilemme. Le sujet figure en bonne place à l’ordre du jour de la Conférence internationale sur le financement du développement, à Monterrey, au Mexique. Les Nations unies (Onu), qui organisent cette rencontre, espèrent mobiliser les hommes d’Etat, grands argentiers et financiers de tout bord pour atteindre un nouveau consensus sur les moyens d’éliminer une fois pour toutes le « piège de la dette » et pour susciter la volonté politique nécessaire.
Le contre-coup des chocs pétroliers
Le problème de la dette des pays du Tiers Monde a ses racines dans les chocs pétroliers des années soixante-dix et le recyclage, via les banques commerciales, des pétrodollars excédentaires. A la recherche de placements rémunérateurs, les banques « gavaient » de prêts les pays en développement ; ceux-ci, exportateurs de matières premières dont les cours étaient en hausse, se laissaient tenter. Les pays industrialisés, cherchant à exporter davantage pour payer leurs factures pétrolières multipliées par quatre, accordaient des crédits d’exportation à qui en voulait. Dans bien des pays à revenu intermédiaire, le développement industriel battait son plein : des sommes faramineuses étaient englouties dans des projets à la rentabilité douteuse. Dans l’ambiance de la guerre froide, ni les grands pays donateurs ni les institutions internationales n’osaient tirer la sonnette d’alarme, pour ne pas offusquer les amis, alliés ou clients du moment.
La grande cassure est intervenue en 1981-82. La Federal Reserve américaine a resserré le crédit pour contrer une inflation dangereusement élevée. Les taux d’intérêt ont bondi jusqu’à 20 %, le dollar a flambé. Les emprunts devenaient trop chers. En 1982, le Mexique, pays le plus endetté de l’époque, ne pouvait plus honorer ses échéances. C’était le début de la crise de la dette latino-américaine. La stabilité du système financier international était menacée. Le FMI a joué les pompiers pour maintenir la confiance : il a chapitré les créanciers pour qu’ils reportent les échéances en accordant de l’argent frais aux pays endettés ; ceux-ci ont été sommés de pratiquer une stricte discipline budgétaire assortie de réformes libérales pour relancer la croissance. Le pli a été vite pris : programme d’ajustement avec le soutien du FMI, renégociation de la dette auprès des gouvernements créanciers du Club de Paris, et ensuite de celle due aux banques commerciales du Club de Londres. La cure a coûté cher aux pays latino-américains : leur produit intérieur brut a baissé de 16 % en dix ans.
« Trop peu, trop tardivement… »
Alors qu’une autre crise de la dette se profilait, celle des pays pauvres en Afrique et ailleurs, la communauté internationale a fini par comprendre que les « pays à revenu intermédiaire » étaient confrontés à une crise de solvabilité plutôt qu’à un manque passager de liquidités. Ces pays ne pouvaient simplement pas rembourser toutes leurs dettes, dont 52 % étaient dus au secteur privé et plus de 30 % aux créanciers publics, mais moins de 17 % aux institutions multilatérales.
Les créanciers ont peu à peu reconnu qu’il fallait réduire la pression sur les pays endettés. Vers la fin des années quatre-vingt, les banques privées ont accepté la conversion de la dette en obligations – les Brady bonds – à valeur réduite, mais garanties par les institutions internationales et les Etats-Unis. C’est parce que la dette des pays intermédiaires menaçait directement le système financier mondial que la communauté internationale, le Groupe des Sept (G7) en tête, a fait un effort exceptionnel pour résoudre ce problème.
Pour les pays pauvres très endettés (PPTE), la situation était différente. Leur dette à long terme (174 milliards de dollars à la fin de 1997) ne constituait pas une menace pour l’équilibre mondial. Seuls 17 % étaient dus aux banques privées. Leurs principaux créanciers étaient des gouvernements (54 %) et les institutions financières multilatérales (29 %). Ces pays semblaient condamnés à emprunter toujours davantage pour honorer leurs obligations. En 1998, alors que les 49 pays les moins avancés (PMA) remboursaient 4,4 milliards de dollars ou 12 % de la valeur de leurs ventes à l’étranger, les arriérés dépassaient 30 % de leur dette totale. De 1988 à 1994, les sommets du G7 ont encouragé le Club de Paris à leur accorder des allègements de plus en plus généreux, et les pays donateurs ont converti certaines dettes en dons. Mais, selon certains experts, c’était toujours « trop peu, trop tard ».
Un niveau « supportable »
Dans ce contexte, James Wolfensohn, président de la Banque mondiale, et Michel Camdessus, alors directeur général du FMI, ont lancé en 1996 l’initiative PPTE, proposant à tous les créanciers une approche intégrée pour ramener la dette de ces pays à un niveau « supportable ». Ce plan, qui répond aux pressions des églises et des ONG, a été renforcé en 1999 avec le soutien du sommet du G7 de Cologne, afin d’apporter un soulagement plus important, mais lié à la réduction de la pauvreté et à la politique sociale. Il devrait réduire de moitié l’encours de la dette et d’un tiers le service de la dette des Etats concernés.
Pour l’instant, 24 pays, pour la plupart en Afrique sub-saharienne, sont entrés dans ce système et devraient obtenir une remise de dette globale de 36 milliards de dollars. Mais c’est toujours trop peu, trop tard… Le FMI reconnaît que cette aide « n’est pas une panacée ». Elle ne suffira pas à elle seule à relancer la croissance, alors que l’aide publique au développement depuis la fin de la guerre froide ne cesse de baisser.
Et de nouveaux défis se sont manifestés. Les pays pauvres ont été frappés par des chocs inattendus : la crise financière asiatique de la fin des années quatre-vingt-dix et la récession de l’économie mondiale, accentuée par les attaques du 11 septembre, ont déprimé les cours des matières premières, réduisant leurs revenus d’exportation – et l’impact de l’initiative PPTE.
Entre temps, les rechutes de quelques grands pays endettés, comme la Turquie ou l’Argentine, ont inspiré de nouvelles réflexions. On envisage un nouveau cadre juridique permettant aux pays en difficulté de restructurer leurs dettes de manière ordonnée, tout en imposant – si on peut – aux créanciers privés leur part de responsabilité. Mais il faudra sans doute deux à trois ans pour que ces idées, dont les pays pauvres ne tireraient qu’un avantage indirect, arrivent à maturité.
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Jan Kristiansen
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