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04/04/2002
De Monterrey au G8 : Interview exclusive avec Michel Camdessus

(MFI) Michel Camdessus, qui fut pendant treize ans à la tête du Fonds monétaire international, dresse un bilan prospectif de la Conférence de Monterrey (Mexique) sur le financement du développement, à laquelle il a activement participé après l’avoir préparée à la demande de Kofi Annan.

MFI : Que penser des résultats de Monterrey ? La communauté internationale s’est-elle vraiment donné les moyens de réduire de moitié la pauvreté dans le monde d’ici 2015, objectif qu’elle s’était fixé au Sommet du Millénaire en 2000 ?
Michel Camdessus : La communauté internationale a fait un pas substantiel mais encore insuffisant. Il y a désormais reconnaissance unanime, par la communauté internationale, que tout pays appliquant les politiques préconisées par ce qu’on appelle le Consensus de Monterrey – qui sont des politiques de sagesse économique et financière – doit pouvoir trouver chez ses partenaires les moyens nécessaires pour réaliser les objectifs du Millénaire… Ces engagements qu’on avait déjà, hélas, tendance à oublier. Quant à l’aide publique au développement (APD), les pays industrialisés se sont engagés à verser, pourrait-on dire, un « premier acompte » en augmentant leurs contributions. Avec ce à quoi les Américains, les Européens et les Canadiens se sont engagés, l’APD pourra être augmentée de 25 % dans les trois ans. Ce qui inverse la tendance à la régression des dix dernières années et permet de penser que si, de leur côté, les pays en développement accroissent leurs efforts vers des politiques saines, on devrait voir une sorte de cercle vertueux se mettre en place. Tout cela me semble de bon augure pour le Sommet sur le développement durable prévu en Afrique du Sud : Monterrey a donné quelques signaux positifs dans le domaine financier.

MFI : Quels sont les éléments vraiment nouveaux du cadre de coopération né à Monterrey ?
M. C. : Ce qui me semble résumer le Consensus de Monterrey, c’est qu’on substitue enfin, à des relations d’assistance, des relations de partenariat entre pays qui reconnaissent que la question de la pauvreté est le problème de tous, Nord et Sud, même si les symptômes se manifestent surtout au Sud… Et ceci engage des partenaires – qui réalisent chacun une part de l’effort, et acceptent de dialoguer sur la manière de faire face à un problème commun.

MFI : L’Onu avait calculé, avant la conférence, qu’il faudrait doubler l’APD, la porter à plus de 100 milliards de dollars par an, pour obtenir l’impact voulu sur la pauvreté à l’horizon 2015. Les promesses de Monterrey ne sont pas suffisantes…
M. C. : Oui, nous sommes encore loin du compte. Il faudra aller plus loin. Mais ce n’est pas seulement un effort du Nord; il faut aussi que le Sud applique des politiques qui rendent les pays éligibles à ce soutien… Une aide qui ignore trop longtemps ses résultats « s’auto-détruit ». La grande crise de la « fatigue de l’aide » a été due à une évaluation insuffisante de ses effets.

MFI : Pourquoi a-t-on écarté des idées comme celles de nouvelles taxations, du genre de la taxe Tobin ?
M. C. : Ces modes de financement novateurs, comme indiqué dans les travaux initiaux, s’appliquaient au financement de ce qu’on appelle les « biens publics globaux ». Ce concept récent recommande la poursuite et le financement de stratégies visant à promouvoir des biens tels que la bio-diversité, le maintien de la paix, la préservation des équilibres environnementaux, la recherche médicale pour les maladies tropicales… Toutes choses qu’aucun pays n’a tendance à financer par lui-même, mais dont le monde dans son ensemble a le plus grand besoin. C’est pour de tels biens publics globaux qu’on avait pensé à ces moyens de financement alternatifs, tels une «éco-taxe», la taxe Tobin, la taxation des exportations d’armes ou l’allocation des droits de tirages spéciaux (DTS). Le consensus de Monterrey n’a pas retenu cela et beaucoup de pays l’ont regretté… Dans ce domaine, Monterrey ouvre un agenda de travail plus qu’elle n’apporte des solutions. Mais c’est en soi positif.

MFI : La nouvelle notion de partenariat implique une certaine forme de donnant-donnant – les donateurs augmentent leur aide, les bénéficiaires se plient aux exigences de la « bonne politique »… Ne risque-t-on pas de marginaliser davantage certains pays très pauvres, où démocratie et bonne gouvernance n’ont pas encore pris racine ?
M. C. : Là où vous voyez du donnant-donnant, moi je vois surtout du partenariat, et la possibilité de déclencher un cercle vertueux et un encouragement mutuel. Je pense que cela est bon, et j’espère que beaucoup de pays qui n’ont pas aujourd’hui les conditions désirables de démocratie se laisseront entraîner par de tels exemples. Cela dit, faut-il laisser tomber des pays mal gouvernés, où la démocratie n’est pas respectée ? Je ne le crois pas. Il faut les aider différemment. Il faut, évidemment, y poursuivre des efforts humanitaires… On n’a aucune raison de sanctionner les plus pauvres pour les erreurs de leurs chefs. Et d’autre part, il ne faut pas hésiter à accorder à ces pays de l’assistance technique… Tout ceci non seulement prépare le jour où des politiques différentes seront appliquées mais, peut-être, crée les conditions, fussent-elles lointaines, d’un changement…

MFI : Les Africains s’estiment marginalisés par la mondialisation, qui serait surtout à l’avantage des pays riches…
M. C. : J’observe que les Africains ne sont pas du tout frustrés par Monterrey, bien au contraire, puisque avec l’initiative du Nouveau partenariat économique pour le développement de l’Afrique (Nepad) de juillet 2001, ils avaient en quelque sorte préfiguré le type de partenariat que Monterrey essaie d’établir au plan mondial. On peut voir dans le Nepad, plébiscité à Monterrey, une sorte de banc d’essai d’un partenariat plus large. Tous, et pas seulement les chefs d’Etat africains, y ont reconnu une chance pour l’Afrique. La mondialisation à visage humain, c’est tout ceci : le partenariat, et l’idée que peut naître, à partir du Consensus de Monterrey, une responsabilité mutuelle qui place sur un même plan les pays pauvres et les pays riches.

MFI : Certains craignent que les Etats-Unis, qui ont déclaré la guerre au terrorisme, concentrent leur aide accrue sur les pays qui répondent directement à leurs intérêts. A-t-on discuté la question d’un lien éventuel entre pauvreté et terrorisme ?
M. C. : Ne faisons pas d’angélisme. Il est évident que les Américains, comme tous les autres, vont concentrer leur aide, en général, sur leurs amis. Mais l’essentiel est qu’ensemble, les pays industriels s’assurent que tous les pays aient les ressources nécessaires, quand il y a de bonnes politiques, pour financer les objectifs du Millénaire. Un bon tiers des travaux de la retraite des chefs d’Etat a été consacré à la question d’un lien possible entre pauvreté et terrorisme. Les uns niant ce lien, notamment le président Bush, le Premier ministre espagnol J.M. Aznar… Les autres disant, attention, il y un lien entre la pauvreté et la frustration qui engendre la violence qui elle-même peut, parfois, aboutir au terrorisme. En combattant la pauvreté, on réduit ce qui est terreau fertile pour la violence. Pour ma part, je partage entièrement ce point de vue.

MFI : Vous êtes le « sherpa » français pour la préparation de la réponse du Groupe des Huit (G8) au Nepad. Les Africains s’attendent à une réaction positive lors du prochain sommet au Canada, fin juin…
M. C. : Le travail auquel je suis associé comme représentant personnel du président et du chef du gouvernement me donne l’espoir que, en effet, le prochain G8 marquera une nouvelle étape dans l’approfondissement de ce partenariat et de cette responsabilité mutuelle. D’ici là, nous allons continuer activement nos travaux.


Propos recueillis par Jan Kristiansen

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