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30/05/2002
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Afrique du Sud : Quels résultats pour le Black empowerment ?
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(MFI) Depuis la fin de l’apartheid, un vaste programme de transfert de pouvoir économique des Blancs vers les Noirs est engagé en Afrique du Sud. Les bénéficiaires du black empowerment, cependant, ne sont pas tous à la hauteur. Leurs erreurs commencent à se traduire par des pertes financières. Mais le gouvernement est décidé à poursuivre son programme.
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La Commission de promotion économique des Noirs (Black economic empowerment commission, BEEC) ne cache pas ses ambitions. Elle vient de publier ses objectifs chiffrés à l’horizon 2012. Créé après la fin de l’apartheid pour favoriser l’émergence d’une classe d’hommes d’affaires noirs et desserrer l’emprise des Blancs sur la société sud-africaine, cet organisme public prévoit de transférer 30 % des terres et des PME à la majorité raciale. Pour la BEEC, 25 % des actions de la bourse de Johannesburg doivent passer entre des mains noires, et à la tête de ces compagnies, on devrait compter 4 directeurs généraux noirs sur 10.
Ce n’est pas tout : d’ici à 2012, la commission réclame des places pour les administrateurs noirs dans le top management des entreprises, un pourcentage minimum de Noirs dans les formations professionnelles de haut niveau, et un contingent de commandes publiques pour les entreprises pilotées par la majorité raciale. « Les efforts entrepris jusqu’ici ont porté leurs fruits, une nouvelle classe d’entrepreneurs talentueux émerge, prouvant que les Noirs sont capables de faire au moins aussi bien que les Blancs », se félicite la BEEC. Et de citer en exemple Zitulele Combi, un ressortissant du Cap qui a remporté l’année dernière le Trophée mondial de l’innovation dans la gestion, une distinction accordée par le cabinet d’audit d’origine américaine Ernst & Young.
Dans tous les secteurs
On ne compte plus le nombre de grandes entreprises implantées en Afrique du Sud qui ont cédé d’importantes participations, voire des filiales entières à des actionnaires noirs. A l’instar de la société minière Gold Fields, ou de l’agence de publicité Ogilvy & Mather Rightford IBM, qui emploie par ailleurs 35 % de Noirs sur place. Les industries pétrolières sud-africaines se sont déjà engagées à transférer 25 % de leurs actifs à des mains noires. La privatisation n’a pas oublié les Noirs : dans les secteurs de la foresterie et des transports notamment, plusieurs compagnies de création récente ont été favorisées.
Les entreprises issues du black empowerment, bénéficiaires de prix bas pour l’acquisition d’actions, de crédits publics et de soutiens logistiques de l’Etat sont maintenant dans la plupart des secteurs d’activité. Datacentrix dans l’informatique, Mvelaphanda Strategic Investment dans le capital risque, Arise communications, fondée par des femmes de couleurs, qui a racheté l’une des plus grandes imprimeries du continent… De son côté, Icassa a pris une participation dans la téléphonie. On assiste même à la création des premiers conglomérats noirs, à l’image de Sekunjalo Investments qui se développe dans la pêche, l’équipement sanitaire et l’informatique (14,24 millions de dollars de chiffre d’affaires). Pour la seule année 2001, 101 opérations d’empowerment ont été réalisées, pour un montant total de 2,39 milliards de dollars, soit 5 % de l’ensemble des fusions et acquisitions d’après Ernst & Young. Les pouvoirs publics n’ont pas lésiné. Ainsi, la province du Limpopo (nord du pays) n’a pas hésité à consacrer 50 % de son budget 2002, qui s’élève à 1,4 milliard de rands (131 millions de dollars) au black empowerment !
Premiers revers boursiers
Ce déferlement de moyens produit-il les effets escomptés ? En partie seulement. Certaines grandes entreprises passées dans les mains des Noirs ont dû se restructurer. Trop grandes, montées à la hâte et trop ambitieuses, certaines ont réduit la voilure et réorganisé leur actionnariat. A l’exemple du géant des médias Johnnic, la plus importante des sociétés concernées. Des voix s’élèvent parmi la communauté noire pour critiquer le mode de sélection des candidats à la reprise de sociétés détenues par des Blancs. Certaines ont dû se retirer de la bourse, pour cause de mauvais résultats. Depuis 1996, le nombre de sociétés de l’empowerment cotées a diminué de moitié, tombant à 26. De même, selon la société d’études financières BusinessMap, la capitalisation boursière de ces sociétés est passée de 0,24 milliard de dollars à 0,17 milliard.
Sipho Seepe, professeur à l’université de Vista près de Johannesburg, estime que trop d’anciens militants politiques ont été du jour au lendemain convertis en hommes d’affaires, comme Tokyo Sexwale, ancien prisonnier de Robben Island, aujourd’hui investisseur dans les mines. « Nous avons fabriqué une vingtaine de millionnaires, alors que le reste de la communauté noire continue de souffrir », a-t-il déclaré au magazine Iafrica. Edy Maloka, directeur de l’Institut d’Afrique du Sud basé à Pretoria, évoque même le risque de voir l’Etat se transformer en « père Noël » alors que 35 millions de Noirs vivent encore dans la pauvreté, avec un taux de chômage d’environ 25 %.
Pour redresser la barre, la BEEC préconise de nouvelles mesures, comme l’obligation pour les entreprises d’effectuer une partie de leurs achats auprès des sociétés de l’empowerment, ou encore l’obligation d’investir en partie dans les quartiers noirs défavorisés. Reste à voir si les entreprises se prêteront de bonne grâce à ces nouvelles exigences.
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Yolande S. Kouamé
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