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29/08/2002
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Aide humanitaire : un vrai marché dont l’Afrique veut profiter
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(MFI) L’objectif premier de l’aide humanitaire n’est pas de générer du commerce. Il n’empêche : les donateurs sont bien obligés de recourir à des consultants, des fournisseurs d’équipements, de nourriture, des transporteurs… Ce marché se chiffre en milliards de dollars. Les entreprises africaines souhaitent en capter une part. On commence à les entendre.
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L’aide humanitaire est un marché. La preuve : il a sa foire internationale, au même titre que l’automobile, la mode ou le tourisme. Le premier du genre s’est tenu en janvier 2002 à Genève, à l’initiative du groupe anglais Winchester. Un millier de visiteurs dont des administrateurs d’organisations internationales, des leaders d’ONG et des chefs d’entreprise s’y pressaient. Tandis que 200 exposants, parmi lesquels des fabricants d’éclairage, de vêtements, de produits pharmaceutiques, de thermomètres et même d’articles de papeterie, vantaient leurs produits. « Ce marché est loin d’être négligeable », note Caroline Maguire qui gère ce salon – Aide internationale et commerce – promu par Winchester.
En 2002, l’Union européenne dépensera 442 millions d’euros pour l’aide humanitaire et l’assistance d’urgence aux pays pauvres. Le programme humanitaire des Etats-Unis atteindra 1,7 milliard de dollars. L’Afrique étant un des principaux bénéficiaires, une bonne partie des flux iront vers le continent noir. D’après les prévisions des Nations unies, l’Angola devrait recevoir 232 millions de dollars d’aide humanitaire cette année, la République démocratique du Congo 194, l’Erythrée 120, la Sierra Leone 89, la Somalie 84. Liste non exhaustive, bien sûr.
Pourquoi importer de loin des produits qu’on peut fabriquer sur place ?
Mais les consultants, fabricants, transporteurs, logisticiens ou assureurs qui bénéficient du marché sont presque tous européens, japonais, américains. Les entreprises africaines souhaiteraient qu’une partie au moins de la manne leur profite. Aidées par les ONG, elles commencent seulement à se faire entendre. Encore qu’elles ont de sérieux handicaps, notamment leur petite taille. Il est vrai que tout doit aller vite : l’aide humanitaire a besoin de fournitures de qualité, à bas prix, disponibles en grand nombre et immédiatement. Leurs appels d’offres écartent de fait les fabricants africains. « Les agences d’aide n’ont pas confiance dans la capacité des entreprises africaines à fournir du matériel et des services à prix compétitifs », déplore Hendrik Roelofsen, qui dirige la coopération technique à la Chambre de commerce internationale (CCI).
Ces dernières années toutefois, un nouveau modèle économique se fait jour : au lieu d’acheter des équipements loin du lieu de leur distribution, de payer des frais de transport et d’assurance élevés, pourquoi ne pas faire fabriquer sur place, en économisant sur les coûts logistiques ? L’idée fait son chemin. Certains pays donateurs, comme le Canada, obligent désormais leurs fournisseurs à réserver une part de la sous-traitance aux sociétés locales. L’agence danoise Danida recommande de faire appel aux consultants locaux pour l’évaluation des projets. D’autres abaissent le seuil à partir duquel se déclenche la procédure d’appel d’offres. C’est le cas du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), qui passe des marchés de gré à gré jusqu’à 20 000 dollars, tandis que la Croix rouge descend jusqu’à 12 500 dollars.
Des couvertures kényanes pour les réfugiés du Kosovo
Parmi les premières sociétés locales à profiter de ces facilités figure Kaluworks, une PMI kenyane spécialisée dans la fabrication d’ustensiles de cuisine. La Croix rouge, le HCR, le Programme alimentaire mondial et l’ONG britannique Save the children lui passent régulièrement des ordres d’achat. Montant du carnet de commande : 30 millions de dollars par an. « Il n’y a dans notre succès ni bon sentiment, ni favoritisme, souligne le patron de l’entreprise. Nous sommes mieux qualifiés que n’importe quel concurrent au monde sur ce marché », souligne le directeur général de la société basée à Nairobi. Autre exemple d’entrée fracassante dans le secteur : celle de Spinners & Spinners, également basée à Nairobi. Cette entreprise s’est imposée sur le marché des couvertures à destination des réfugiés grâce à la qualité et la compétitivité de ses produit ainsi qu’à sa capacité de réaction. Spinners & Spinners fournit les camps de réfugiés du Soudan, de Namibie, du Burundi, d’Ethiopie, de Somalie, d’Ouganda, du Liberia, de Tanzanie. La société a même fait une première incursion hors d’Afrique en livrant ses couvertures au Kosovo.
Les consultants africains, eux, se regroupent pour peser sur les attributions de marché. C’est le cas du Groupement des consultants sénégalais, du Collectif des bureaux d'études de Sikasso (Mali) ou de l’Association des consultants spécialisés dans les études de développement BACED au Burkina. Les progrès commencent à se faire sentir. Sur 60 millions de dollars d’achats de biens et services au bénéfice de l’Afrique australe et orientale, l’Unicef a confié près de 20 millions de dollars à des fournisseurs locaux. Pour amplifier le mouvement, il reste encore à former les chefs d’entreprise pour qu’ils présentent au mieux leurs propositions, en analysant davantage les procédures d’appel d’offres, en utilisant l’outil Internet et en peaufinant leurs dossiers. Le Programme des Nations unies pour le développement et la CCI, entre autres, ont initié des formations spéciales à leur intention.
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Yolande S. Kouamé
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