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19/09/2002
Les faux-monnayeurs réapparaissent en Afrique

(MFI) Les fabricants de faux francs CFA avaient été découragés par les nouvelles coupures, aux signes d’authentification sophistiqués, apparues dans les années quatre-vingt-dix. Mais aujourd’hui, ils ont trouvé des failles. Les banques centrales de la zone sont en alerte.

Côté cour, le respectable cabinet Consultec, basé à Port-Gentil, est une société de conseil qui emploie des spécialistes du marketing. Côté jardin, c’est un atelier de faussaire. Le pseudo-cabinet disposait de tous les équipements nécessaires à la parfaite photocopie de billets de 10 000 francs CFA : scanners, imprimantes haut de gamme, papier filigrane… Pendant plusieurs mois, les complices ont inondé la ville gabonaise de leurs coupures factices, avant d’être découverts à l’occasion d’un banal contrôle de police. La police a trouvé un pactole de quelques millions de francs CFA, mais ignore la quantité de billets encore en circulation. Le Gabon n’est pas le seul pays de la zone CFA victime des faux billets : le Bénin, le Togo, le Burkina, la Côte d’Ivoire et le Sénégal sont aussi touchés. Les grosses coupures, celles de 10 000 francs et de 5 000 francs, pourtant de fabrication récente, sont les plus contrefaites.
Depuis le début de cette année, les banques centrales d’Afrique de l’Ouest et du Centre sont sur les dents. Elles ont déjà intercepté plus de 100 millions de faux CFA, qui ne représentent sans doute qu’une faible partie des coupures en circulation. « C’est la première fois que notre monnaie est attaquée par une contrefaçon aussi avancée », avoue Lansina Bakary, directeur pour la Côte d’Ivoire de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BECEAO). « Les faux billets, s’ils sont nombreux, peuvent désarticuler l’économie de notre pays », s’inquiète son homologue burkinabé Célestin Zallé. Les opérateurs économiques s’inquiètent aussi du phénomène. Mor Talla Kane, secrétaire exécutif du patronat sénégalais, prévient : si rien n’est fait, c’est tout le système économique qui risque d’être déstabilisé. Mais banques et services de police ont d’autant plus de mal à juguler le phénomène que les filières sont nombreuses.


Grâce aux marabouts multiplicateurs de billets…

Méthode la plus rudimentaire : l’écoulement direct, via des achats dans le commerce. Un jeu d’enfant dans des économies où le paiement en liquide est la règle. Sûrs de leur fait, certains contrefacteurs n’hésitent pas à venir déposer leur fausse monnaie dans les banques ! Il y a quelques mois, un ressortissant libanais, Ali Nassr, a été interpellé au guichet d’Eco-Bank Lomé, alors qu’il venait tranquillement déposer sur son compte 18 millions de francs CFA qui sont autant de photocopies de billets. Il avouera avoir déjà fait le même coup au Bénin voisin, pour un montant de 500 millions de francs.
Une autre méthode de recyclage des faux CFA consiste à livrer les stocks de contrefaits aux pseudo-marabouts. Ces derniers n’ont aucun mal à convaincre qu’ils sont capables de « multiplier » des billets à coup de prières. Le principe est simple : le charlatan achète son stock de faux billets au dixième de sa valeur. Il propose ensuite à ses clients de « multiplier » par cinq ou dix toute somme qu’ils lui confieront. En réalité, il refile des faux billets et en récupère des vrais. Les gogos qui s’aperçoivent de la supercherie n’ont plus que leurs yeux pour pleurer. Les autres, sans le savoir, font circuler les faux billets. La police sénégalaise a récemment démantelé plusieurs de ces réseaux. L’un des mieux organisés, qui opérait à Kaolack, disposait d’un stock évalué à un demi-milliard de francs !


En Europe depuis l’introduction de l’euro…

Un troisième circuit de faux billets s’organise à partir des capitales européennes : Paris, Londres, Lisbonne… Explication : depuis le lancement de l’euro, en janvier 2002, il n’est pas possible d’échanger directement du CFA contre la monnaie européenne. Au grand dam des immigrés qui cherchent à envoyer de l’argent liquide à leurs familles restées au pays, sans pour cela payer des frais de change bancaire. Les faux monnayeurs ont flairé le bon coup. Ils viennent proposer des (faux) billets de CFA à cette « clientèle » qui se recrute dans les foyers de transit, les résidences universitaires ou encore à la sortie des usines. Les malheureuses victimes se font escroquer et envoient, innocemment, des billets factices à leurs familles. Alertée par plusieurs affaires de ce genre, la police française a démantelé deux gangs qui opéraient en région parisienne. Montant du magot saisi : 14 millions CFA.
Les campagnes de sensibilisation se multiplient. Les autorités s’évertuent à rappeler les signes élémentaires de reconnaissance des faux billets : teinte, qualité d’impression, texture du papier… Toutefois, l’impact de ces campagnes est limité. Comment distinguer les vrais des faux quand les coupures sont froissées, serrées dans des nœuds de pagnes, tachées d’huile ? A Ouagadougou, la BCEAO a même cru bon de rappeler que « les billets sont des biens publics, destinés à la circulation, qu’il faut manipuler avec un minimum de soin. Il est inutile d’écrire son nom dessus ». A Dakar, la Confédération nationale des employeurs (CNES) réclame des détecteurs : « Il faut que tous ceux qui reçoivent de l’argent et font des transactions puissent être dotés de moyens de contrôle pour vérifier les billets », estime la confédération. Il est vrai que les signes d’authentification irréfutables des billets CFA ne sont pas visibles à l’œil nu. Sans un détecteur, impossible de savoir si la bordure extérieure d’un billet suspect est bel et bien remplie de chiffres. Impossible de vérifier que les noms des pays membres de la BCEAO sont bien inscrits sur le motif principal comme ce doit être le cas, notamment sur la tour qui figure sur les coupures de 10 000 francs. Le problème, c’est que ces appareils coûtent relativement cher, et on voit mal comment chaque échoppe pourrait en être dotée.
Reste à renforcer la répression. Les autorités s’accrochent à cette dernière solution. De Dakar à Libreville, elles affirment qu’elles appliqueront la loi avec rigueur. Mais la prison à perpétuité, peine maximale encourue par les faussaires, suffira-t-elle à décourager les gangs ? Rien n’est moins sûr.


Yolande S. Kouamé

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