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15/01/2003
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Les hommes d’affaires africains s’organisent en réseaux
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(MFI) Isolés, les entrepreneurs africains sont impuissants face à l’instabilité des lois, aux tracasseries administratives ou à la pénurie de capitaux. Regroupés en clubs, réseaux et associations, ils constituent des lobbies efficaces qui favorisent les réformes. Les entrepreneurs commencent à se rassembler, suivant des critères régionaux ou thématiques, et pèsent davantage.
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Titan Impex, conglomérat d’origine thaïlandaise, cherche des distributeurs en Afrique pour ses divisions transports, construction, télécommunications et énergie. Integral, société d’origine ghanéenne implantée en Italie et spécialisée dans le sourcing, veut aider des importateurs africains à trouver des fournisseurs. Quant à Environmental products & technologies corp, implantée en Belgique, exportatrice de matériels médicaux et vétérinaires, elle compte trouver des représentants sur le continent. Tous ces opérateurs ont publié leur annonce sur le site du réseau des entrepreneurs d’Afrique de l’Ouest (REAO en français, WEAN en anglais). Ce réseau est le premier du genre en Afrique. Créé en 1993 à l’initiative de la coopération américaine (US Aid) et de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), il a pour objectif de sortir les créateurs et chefs d’entreprises privées de leur isolement.
« Dans le contexte économique et politique africain, diriger une entreprise est un véritable parcours du combattant. Outre la pénurie de capitaux, il faut faire face à la difficulté d’accès aux informations, aux tracasseries administratives et à l’instabilité des lois régissant les affaires », explique un adhérent de la première heure du REAO. En se regroupant, les chefs d’entreprises parviennent à faire passer des messages aux dirigeants politiques et à échanger leurs expériences locales. Ils sont actuellement 350, originaires de 13 pays, à adhérer au REAO à travers des clubs nationaux. Trois secteurs sont particulièrement dynamiques : l’import-export, la banque et l’expertise comptable. Il ne s’agit pas, comme on le voit trop souvent en Afrique, d’une association chargée de recueillir des subventions auprès des organismes internationaux, mais d’un club d’hommes d’affaires qui parle business et autofinance ses actions.
Actions locales et revendications globales
Ni lobby ni syndicat, le réseau parvient toutefois à infléchir les politiques économiques nationales. Au Nigeria, les membre du REAO ont lourdement pesé dans la réforme du code des investissements, trop pénalisant pour les entreprises. Au Mali, le ministre des Finances a associé le réseau aux négociations d’ajustement structurel avec le Fonds monétaire international (FMI). Depuis, la Banque mondiale ne prend pas de décision cruciale pour le pays sans consulter les hommes d’affaires membres du REAO. Au Ghana, une des actions les plus significatives a consisté à assouplir les règles d’introduction des entreprises étrangères à la bourse d’Accra.
Aux actions locales s’ajoutent des revendications plus globales. Comme celle portant sur la fiscalité des équipements de haute technologie, dernier cheval de bataille du groupe. « Les gouvernements doivent baisser les taxes », estime le Sénégalais Mabousso Thiam, président du réseau, aussitôt approuvé par la Banque africaine de développement (BAD) qui vient d’annoncer la création d’un fonds spécial destiné à l’information et aux télécommunications, mais dont le montant reste à définir.
Le rapide succès du REAO a inspiré les hommes d’affaires d’Afrique australe. En 1998, ils ont, à leur tour, créé un réseau régional, baptisé Southern Africa enterprises network (SEAN). Il couvre l’Angola, le Botswana, la Namibie, le Lesotho, Madagascar, le Malawi, le Mozambique, l’Afrique du Sud, le Swaziland, la Zambie et le Zimbabwe. Et rassemble 105 membres, dont les plus nombreux sont les Zambiens et les Angolais. Le réseau se focalise principalement sur l’intégration régionale, avec le soutien des organisations intergouvernementales. Mais le principe de fonctionnement est le même que celui du REAO : autofinancement de toutes les actions et échanges d’opportunités d’affaires. Les gouvernements locaux et occidentaux ont vite compris l’intérêt qu’ils pouvaient tirer du SEAN : le réseau fédère ce qui se fait de mieux en matière d’entreprise privée dans une région qui compte 130 millions d’habitants et totalise 150 milliards de dollars de produit intérieur brut. Ils sont nombreux à solliciter l’attention de ces investisseurs locaux, modestes individuellement mais qui, pris dans leur ensemble, pèsent lourd.
Favoriser l’accès des privés africains à des matériels industriels d’occasion
Les entrepreneurs de la diaspora aussi commencent à se mobiliser pour tisser des liens nord-sud entre hommes d’affaires. Parmi les derniers réseaux créés par ces hommes d’affaires qui agissent depuis Paris, Montréal, New York ou Londres, on peut citer le Club Africagora, business club créé à Paris par l’Ivoirien Dogad Dogoui. Son activité reste pour l’instant limitée à l’organisation de rencontres d’affaires. Dans le même créneau, trente entrepreneurs africains originaires de Guinée, du Sénégal, du Gabon, du Tchad, du Burkina, du Cameroun et du Togo ont créé, à l’issue d’un forum d’affaires qui s’est tenu à Montréal il y a quelques mois, le Réseau des entrepreneurs Canada-Afrique (RECA) qui comprend aussi des hommes d’affaires africains vivant au Canada. « Nous sommes avant tout un réseau de communication et d’entraide », explique le président du RECA, Madamou Oumar Dembele.
On voit même émerger les premiers réseaux d’entreprises autour de thématiques précises. Exemple : le réseau Confiance, qui a pour unique ambition de favoriser l’accès des investisseurs privés africains à des matériels industriels d’occasion. « Le matériel remisé, qui représente 20 % des achats des industriels africains, est souvent moins fragile que le matériel neuf sophistiqué, peu adapté aux conditions de travail en Afrique », expliquent les promoteurs de Confiance. Autre réseau thématique : le Pan Africa bicycle information network, dédié à l’univers du vélo. Importateurs et fabricants y trouvent des occasions d’affaires. D’autres embryons de réseau se développent dans les secteurs de l’agroalimentaire et de la maroquinerie. Le mouvement de regroupement n’en est qu’à ses débuts.
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Yolande S. Kouamé
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