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20/01/2003
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Machines à sous : la folie s’empare des villes africaines
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(MFI) C’était l’apanage des hôtels de luxe. C’est devenu une industrie du mirage, du piège à gogos. Les machines à sous prolifèrent presque partout en Afrique. Elles enrichissent surtout les exploitants, quelques gagnants et moins sûrement les finances publiques. Elles sèment surtout beaucoup de désolation.
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Prolifération de machines à sous : on en compte 9 000 dans la seule province sud-africaine du Cap ! Inauguré en grande pompe il y a deux ans, le casino Grand West (dont la salle de jeux a coûté 225 millions de dollars) en abrite 1 750 à lui seul. L’hôtel Sun City, dans la province du Nord-Ouest, en compte 850. Au Graceland, implanté à Secunda (à 150 km de Johannesburg), on en trouve plus de 400.
Au Ghana, le gouvernement se flatte d’avoir favorisé la construction, près du port de Tema, d’un immense complexe de jeux, où les machines à sous tiendront la vedette. Montant de l’investissement, consenti par une société chinoise : 1 million de dollars. A peine sorti de la guerre civile, le Burundi vient d’inaugurer aussi son premier casino où la principale attraction est… la batterie de machines à sous. Même dans les pays à majorité musulmane (l’islam proscrit les jeux de hasard), ces appareils ne sont pas rares. Au Maroc, ils font recette dans les hôtels Mamounia et Saadi de Marakech. A Agadir, on en trouve au Mirage. Même tendance en Egypte. Seule précaution dans ces pays : la discrétion. « Les casinos n’existent que dans les hôtels 5 étoiles et restent interdits aux nationaux. On ne peut pas y accéder sans montrer son passeport », soulignent les autorités égyptiennes.
Le « casino du pauvre »
Mais, de plus en plus, ces appareils ne sont plus l’apanage des riches. Les « bandits manchots» (ainsi appelés parce que, face à eux, on a plus de chance d’être dépouillé que de faire fortune) prolifèrent dans les quartiers les plus populaires des villes africaines. Curieusement, on retrouve parfois, aux commandes de ces « casinos du pauvre », les mêmes sociétés qui exploitent les salles chics pour touristes fortunés. Exemple : la société Lydia Ludique, qui exploite le casino officiel au Burundi en collaboration avec l’Etat burundais, mais aussi des salles poussiéreuses au Sénégal et au Bénin. Au Cameroun, le groupe Feutheu fait le cheminement inverse. Il s’est enrichi par les salles de jeu populaires et se lance maintenant dans l’hôtellerie et les casinos de luxe.
L’Afrique entière commence à ressembler à Macao. A Douala (Cameroun), 4 000 machines à sous installées dans des locaux sommaires attirent tous les jours une foule compacte de candidats à la fortune. Dans les quartiers les plus grouillants de Cotonou et de Porto-Novo, les deux principales villes du Bénin, des milliers de joueurs se pressent autour des mêmes engins, espérant décrocher le jackpot. Même les petites villes de l’intérieur du pays, comme Allada, sont concernées. Au Sénégal, les « bandits manchots » trônent dans des salles de quartier des banlieues les plus populaires mais aussi au cœur de Dakar.
Les petites annonces proposant des appareils d’occasion fleurissent. Pour les siennes, la société belge Gaming Technology recherche « des représentants locaux dans toute l’Afrique ». Un véritable trafic s’organise autour de l’importation clandestine. En mai dernier, la police kényane interceptait un trafiquant de Durban qui s’apprêtait à livrer 50 machines à des tenanciers douteux.
Quelques chanceux, beaucoup de gogos
Certes, il y a quelques gagnants. Un impressionnant tapage est d’ailleurs fait autour des gains relativement importants ! Le porte-parole du casino de Durban n’a pas ménagé ses efforts pour faire savoir haut et fort qu’un enseignant à la retraite venait de toucher un jackpot de 2,3 millions de rands (253 250 euros, 1 rand sud-africain = 0,11 euro) devant une machine de l’établissement. La fréquentation a aussitôt fait un bond. Même effet lorsqu’un agent de police et une mère de famille empochent chacun un million de rands (110 113 euros) au casino Sun International de Polokwane.
Mais pour quelques heureux, combien de victimes ? Partout, la liste des braves gens ruinés par les « bandits manchots » s’allonge. Le cas d’une mère de famille a particulièrement ému l’opinion sud-africaine. Faute de pouvoir payer les frais de scolarité de ses enfants, Cunny Munro a joué toutes ses économies à la machine à sous. En désespoir de cause, elle a commencé à jouer avec l’argent de son employeur. L’affaire s’est achevée devant le tribunal correctionnel du Cap. Au Bénin, des joueurs malchanceux ont tenté de trafiquer des machines à sous. Ils se sont retrouvés derrière les barreaux. Autre effet, plus anecdotique, vécu à Douala et à Yaoundé : des pénuries… de pièces de monnaie !
Violences, prostitution, bagarres se multiplient autour des salles
Il n’est pas sûr que la fièvre du jeu enrichisse les finances publiques. Attaqués sur ce thème, les gérants des 29 principaux casinos sud-africains ont aussitôt publié une évaluation des taxes qu’ils ont versées en 2001 : 439 millions de rands (48,3 millions d’euros). Au Cameroun, l’Etat a institué des taxes, mais seules les salles légales les paient. Quant aux autres… Pour se donner bonne conscience, certains exploitants se lancent dans le sponsoring. Tel le casino de Kampala qui offre des bourses aux étudiants nécessiteux. En chœur, les gérants de salles de jeu insistent aussi sur les créations d’emplois. Le Grand West du Cap rappelle qu’il en a créé 15 000. Le casino du Burundi brandit fièrement ses 500 embauches.
Mais cela ne suffit pas à faire oublier le relent de mafia et de blanchiment d’argent qui flotte autour des machines à sous. Dans les villes africaines, les effets néfastes de cette prolifération sur la population se font sentir. Violences, prostitution, bagarres se multiplient autour de ces lieux de vice. A tel point que les autorités religieuses s’émeuvent de cette dépravation. A Pikine, une des banlieues de la capitale sénégalaise touchées par le phénomène, les habitants tentent de s’organiser pour mettre fin à cette drôle d’industrie qui entraîne bruit, bagarres et relâchement des mœurs. Même début de rejet au Bénin. Le Forum national de mobilisation de la société civile contre la corruption a solennellement demandé aux pouvoir publics de fermer les salles de jeux. Sans pour autant être entendu…
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Yolande S. Kouamé
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