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04/02/2003
Les familles africaines entre les griffes des usuriers

(MFI) Ce sont de vrais rapaces, qui ruinent les familles et nuisent aux banques sans enrichir les finances publiques. Les usuriers prêtent, à des taux excessifs, de l’argent aux familles démunies ou déjà surendettées. En cas d’incapacité de remboursement, ils font main basse sur les maisons, les voitures, les champs et même les enfants !

On l’appelle « Baba Jonquet ». Ce propriétaire foncier est sans doute un des hommes les plus haïs de la ville de Cotonou, mais aussi l’un des plus sollicités. Son métier : usurier. Fort des recettes financières de ses multiples immeubles, ce sexagénaire s’est improvisé banquier dans le secteur informel. A longueur de journée, il reçoit des demandeurs de crédit : fonctionnaires en attente de leurs arriérés de salaire, marchandes victimes de leur propre mauvaise gestion, pères de famille déjà endettés auprès des banques. Baba Jonquet pratique des taux élevés : 20 % à 40 % par mois selon la tête du client. A prendre ou à laisser. Ici, pas de dossier administratif à fournir, mais le montant du prêt est à la mesure du gage fourni : titre foncier, motocyclette, meubles, voiture, bijoux, montres ou garde-robe.
Ils sont plusieurs dizaines à exercer ce métier dans la capitale économique du Bénin. Et ils ont des homologues dans toutes les grandes villes africaines. Au Congo (Brazzaville), ce sont les petits commerçants, les « boutiquiers » qui constituent la cible privilégiée des usuriers. Après avoir été pillés lors des événements politiques qui ont agité le pays, ces « boutiquiers » cherchent en effet des ressources pour relancer leurs affaires. Impossible de s’adresser aux banques, elles-mêmes en piteux état. Les prêteurs sur gage sont alors entrés en en scène…

Sur un terrain laissé vacant par les banques

De Dakar à Blantyre, les usuriers occupent ainsi le terrain laissé vacant par les banques, qui accordent rarement de petits prêts et ne s’intéressent pas aux personnes qui évoluent dans le secteur informel. Ce juteux business intéresse de plus en plus de prêteurs. Hommes d’affaires véreux, ex-fonctionnaires au chômage, commerçants libanais ou pakistanais s’improvisent banquiers. Trop heureux de trouver de l’argent frais, les « clients » ne s’aperçoivent de leur malheur qu’à l’heure de payer. Ruinés par des taux qui vont jusqu’à 50 % par mois, ils sont contraints de céder des champs, des voitures, des maisons pour quelques bouchées de pain.
En République démocratique du Congo, certaines factions rebelles utilisent même les prêts sur gage pour recruter des enfants soldats. Comment ? On prête de l’argent aux parents, les enfants servant de « gages ». En cas d’incapacité de remboursement (ce qui est très souvent le cas), les enfants sont enrôlés pour une période qui varie selon la dette contractée. Jusqu’à ce que l’Unicef tire la sonnette d’alarme, des usuriers béninois et burkinabè utilisaient la même technique pour recruter des enfants, envoyés comme ouvriers dans les plantations de café et de cacao des pays voisins !

Timides réactions des autorités

Après avoir longtemps fermé les yeux sur ce véritable trafic qui nuit aux banques et pénalise les finances publiques, les responsables se décident enfin à réagir. En effet, dans certains pays, les usuriers drainent jusqu’à 40 % de l’épargne populaire et faussent le jeu normal de l’économie. Aux dégâts financiers s’ajoutent les drames humains. Au Malawi, c’est la recrudescence des suicides qui a provoqué la levée de bouclier. Selon Olivier Soko, porte-parole de la police, on compte en moyenne trois suicides par jour dans le pays, dont une bonne part est due à la pression des usuriers. « Maints débiteurs se donnent la mort après avoir constaté qu’ils ne peuvent plus se soustraire aux serres de leurs usuriers », souligne la police. Au Sénégal, le problème des usuriers se trouve périodiquement au centre du débat politique. L’opposition accuse le gouvernement « d’abandonner les paysans aux mains des prêteurs véreux ». Certains syndicats réclament des poursuites judiciaires contre ces pratiques d’un autre âge.
Autant de réactions qui ont abouti à des mesures officielles encore timides. Ainsi, au Kenya et au Maroc, les textes réglementant le crédit à la consommation et les taux d’intérêt ont été renforcés. Paradoxalement, ces dispositions ne s’appliquent qu’aux banques, et non aux prêteurs plus ou moins clandestins. Au Togo, des rondes de police sont organisées aux alentours du marché central de Lomé, haut lieu des transactions usuraires. Mais personne n’est dupe : les affaires peuvent se conclure dans le secret des appartements. Au Bénin, des associations de défense des consommateurs invitent les endettés à déposer des plaintes, mais par peur des représailles, les spoliés se gardent bien de poursuivre leurs bourreaux.

Légaliser la pratique ?

Aussi certains spécialistes africains proposent-ils la légalisation de cette pratique. C’est notamment la conviction du sociologue burkinabé Jonas Ouédraogo et de l’économiste camerounais Michel Gotto. Les deux experts estiment qu’au lieu d’interdire cette forme de crédit de proximité et de poursuivre les opérateurs, il vaudrait mieux l’encadrer d’un minimum de règles. En attendant, il est urgent de raviver les organismes de microfinance, seuls capables de combler les insuffisances des banques commerciales, sans mettre les famille en péril. « Le problème, fait observer un spécialiste des Mutuelles communautaires de croissance (Cameroun), c’est que nous accordons des prêts pour des projets, et non pour organiser des baptêmes somptueux. Cela, seuls les usuriers le font. »

Yolande S. Kouamé

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