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18/02/2005
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Bourses de coopération : la corruption s’accentue
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(MFI) Au moment où les pays occidentaux durcissent leurs législations sur l’immigration, les bourses qu’ils offrent deviennent de précieux sésames pour les Africains qui rêvent de poursuivre leurs études en Amérique du Nord ou en Europe. Conçues à l’origine pour encourager l’excellence, ces bourses dites de coopération semblent aujourd’hui parfois consacrer la médiocrité, avec la bénédiction de certains hauts responsables africains.
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Beaucoup de candidats, mais peu d’élus. La bourse de coopération – attribuée chaque année par certains pays développés et organismes internationaux aux ressortissants de pays africains, pour leur permettre de poursuivre les études à l’étranger – ressemble de plus en plus à une ravissante jeune fille, convoitée par nombre de prétendants, mais qui finit par s’abandonner dans les bras d’un seul. Souvent un imposteur. Les raisons de cette excitation populaire autour de la bourse de coopération sont de plusieurs ordres.
Une clé d’entrée sûre dans les pays occidentaux
De toutes les bourses octroyées sur le continent noir, elle est celle qui pose le moins de problèmes aussi bien au niveau financier qu’au plan administratif. La bourse de coopération peut être perçue, à juste titre, comme une clé efficace pour ouvrir les portes de l’Europe ou de l’Amérique du Nord. D’autant que ces portes se ferment plus ou moins hermétiquement, pour cause de nouvelles politiques d’immigration. Dès que les listes définitives de bénéficiaires d’une bourse de coopération sont publiées, le processus de délivrance des visas s’enclenche au niveau des consulats.
Bien plus, les organismes internationaux (Unesco, Organisation de la conférence islamique, Agence universitaire de la Francophonie, etc.) et les pays riches (France, Canada, Belgique, etc.) qui l’attribuent mettent un point d’honneur à entretenir convenablement ses bénéficiaires. « Les étudiants africains bénéficiaires d’une bourse de coopération perçoivent en temps et en heure leurs indemnités forfaitaires, pour l’installation à l’arrivée et l’acquisition de manuels et fournitures scolaires, ainsi que leurs allocations mensuelles », souligne un responsable du Programme canadien de bourses de la Francophonie. Pas surprenant donc qu’elle soit sollicitée par les étudiants issus de toutes les couches sociales. Pas surprenant, non plus, qu’elle devienne une importante source d’enrichissement illicite dans de nombreux pays.
La grosseur du portefeuille remplace parfois l’excellence
Le nombre de bourses octroyées par les pays occidentaux et les organismes internationaux étant limité, et celui des candidats important – le rapport peut être estimé de 1 à 100 –, la compétition est rude. Et le risque de corruption grand. « Un de mes collègues s’est vu proposer, l’année dernière, trois millions de francs CFA par un homme d’affaires qui tenait à faire passer le dossier de son fils », témoigne ce membre d’une commission nationale de présélection au Cameroun. Et d’ajouter : « Au cours de l’examen des dossiers, le collègue a fait du forcing pour imposer le dossier ; il est même allé jusqu’à graisser la patte à quelques-uns d’entre nous, pour réussir. » Dans de nombreux pays francophones, la grosseur du portefeuille tendrait à supplanter le critère de l’excellence lors de la présélection des dossiers. « Ici, au Niger, le mot “mérite” n’a plus de sens ; ce qui compte, c’est l’argent », reconnaît un responsable de l’Agence nigérienne des allocations et des bourses.
Conscients de ce que la liste définitive des boursiers est établie par des commissions de sélection siégeant dans les pays occidentaux, les candidats corrupteurs mettent toutes les chances de leur côté, en se faisant fabriquer des dossiers très convaincants. Dès le départ, ils réduisent leur âge. Certains maires véreux leur établissent un nouvel acte de naissance par lequel ils diminuent l’âge réel. « J’ai un ami qui est aujourd’hui mon cadet de six ans, alors qu’il y a deux ans, il était mon aîné d’un an », s’indigne Pierre, un Gabonais. En outre, avec l’aide de chefs d’établissement corrompus, ils se font confectionner des bulletins de notes sur lesquels figurent des moyennes et des mentions impressionnantes. Alors, jeunes et brillants sur le papier, ces candidats se voient parfois octroyer des bourses de coopération. Et ce n’est qu’en Europe ou au Canada, lors de leur cursus académique, que la supercherie est démasquée. Mais trop tard.
Quelques rares pays du continent commencent à prendre la mesure du phénomène. La République centrafricaine, exclue pendant cinq ans du circuit des bourses de coopération à cause de la corruption, vient d’y être réintégrée. « Pour l’année académique en cours, la France a mis à notre disposition une dizaine de bourses », confirme Karim Meckassoua. Et le ministre d’Etat chargé de l’Education nationale d’expliquer : « Nous sommes de nouveau fréquentables, parce que nous avons pris des mesures fortes pour limiter les fraudes et les fuites aux examens. Nous avons par exemple verrouillé le baccalauréat : nous avons fait garder les sujets par des sœurs religieuses. »
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Gervais Nitcheu
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